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L'ONU a renforcé la dictature syrienne

Temps de lecture : 7 min

La défaite occidentale au Conseil de sécurité est cuisante. La Russie et la Chine n'entendent pas lâcher le sanglant Bachar et la survie de son régime renforce l'axe Téhéran-Damas bientôt rejoint par Bagdad et Beyrouth

Chars syriens de fabrication russe réprimant la révolte REUTERS
Chars syriens de fabrication russe réprimant la révolte REUTERS
Lors de la réunion du Conseil de Sécurité de l'ONU le 4 février, La Russie et la Chine ont mis leur veto à la résolution proposant le soutien du plan de la Ligue arabe pour mettre fin à la violente répression exercée en Syrie par le régime de Bachar el-Assad. Pourtant la résolution avait déjà été vidée de son contenu puisqu’elle ne réclamait pas explicitement le départ du président syrien, ne prévoyait pas d’embargo sur les armes et n’imposait aucune sanction.
Les Américains ont marqué leur déception. Hillary Clinton, secrétaire d’État a exprimé sa désapprobation: «J'ai offert de travailler de façon constructive, ça n'a pas été possible. Toute intervention militaire en Syrie était désormais absolument compromise». Les Russes, par la voix de l’ambassadeur Vitali Tchourkine, ont justifié leur position parce qu’ils estimaient que la résolution «ne reflétait pas la réalité de la situation en Syrie, appelait à un changement de régime et adressait un message déséquilibré aux deux parties, le régime et l'opposition».

Menaces syriennes

Pourtant l’horreur du régime continue de se manifester tous les jours. Les réfugiés syriens en Turquie accusent Bachar el-Assad d’avoir ouvert les barrages construits sur l’Oronte pour provoquer des inondations dans les camps de réfugiés en territoire turc. La chaîne de télévision «Al Jazeera» a montré les images de plusieurs dizaines d’hectares inondés en Turquie, entrainant la destruction des tentes hébergeant les réfugiés syriens. L’ouverture des barrages a pour but de détruire les cultures pour priver la population révoltée de ses revenus.

En dehors de leur volonté affirmée de soutenir le régime syrien, leur dernier allié au Proche-Orient, les Russes sont aussi sensibles au chantage de Bachar el-Assad menaçant de provoquer un cataclysme régional si tout est perdu pour lui. Ils craignent que Bachar al-Assad ne déclenche une escalade militaire régionale. Les services de renseignements ont été informés d’ordres donnés à certaines unités syriennes de se mobiliser et de mesures de préparatifs militaires du Hezbollah libanais. La flottille russe, dirigée par le porte-avions Amiral Kutznetsov et amarrée dans le port syrien de Tartous, a été mise en alerte.

Bachar el-Assad sait que les occidentaux craignent toute implication d’Israël dans un conflit régional qui déboucherait sur une guerre totale. Il est donc coutumier de ce genre de menace puisque le 9 août 2011, il avait averti la Turquie qu’il «détruirait Tel-Aviv et mettrait tout le Moyen-Orient en feu» si une attaque était lancée contre la Syrie. Cette menace avait été transmise au ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, lors de son voyage à Damas. Le 10 mai déjà, un proche du régime, le magnat Rami Makhlouf, avait prévenu que: «S'il n'y a pas de stabilité en Syrie, il n'y aura aucune en Israël. Nul ne peut être sûr de ce qui se produira s'il arrive quoi que ce soit au régime.»

Coup d’État éventé

Le président syrien a manifestement eu très peur d'une tentative de coup d'état par des unités de l'armée plus ou moins téléguidée de l'étranger et a pris des mesures en faisant revenir à Damas, le 30 janvier, la Garde Républicaine et la 4ème division blindée commandée par son frère Maher Assad. Certains services de renseignements l’ont informé qu’un commandant de division blindée, basé dans la capitale, avait été approché par les occidentaux pour préparer un coup d'État à Damas avec l’aide de 300 chars. Les conspirateurs devaient intervenir avant le vote de l’ONU pour être ensuite soutenus par une force américano-qatari-jordanienne.

Mais Bachar el-Assad est totalement soutenu par la Russie qui a fait comprendre au monde occidental que la Syrie ne sera pas la Libye et qu’elle refuse la solution occidentale de remplacer le président par un gouvernement d’union nationale dirigé par le vice-président Farouk al-Sharaa. Il a par ailleurs le soutien de la majeure partie de son armée et maintient son emprise sur la plupart des régions. Les rebelles de l’Armée Syrienne Libre n’ont pas réussi à prendre pied en Syrie et à mettre en danger le régime tandis que l’échec de la mission de surveillance de la Ligue Arabe le conforte dans son attitude d’ignorer les décisions de l’ONU.

Le veto russo-chinois au conseil de sécurité renforce le bloc Iran-Syrie-Hezbollah qui devrait être rejoint par l’Irak. Le Hezbollah libanais, qui avait montré des signes de faiblesse face à l’éventualité de la chute du régime de Damas, se retrouve revigoré et consolide son influence à Beyrouth. Trois pays, la Turquie, le Qatar et l’Arabie saoudite, qui avaient agi pour faire tomber Bachar el-Assad, se trouvent en situation d’échec malgré le financement des forces d’opposition syrienne, stérile face aux moyens mis par l’Iran pour sauver le régime de son allié. La Ligue Arabe a montré ses limites tandis que les palestiniens risquent, eux aussi, de ne pas en sortir indemnes. La Turquie, qui avait un temps bandé ses muscles, a préféré ne pas s’opposer à l’Iran. Enfin, l’armée syrienne est toujours le principal soutien du régime et n’a pas trop souffert de quelques défections.

L'indéfectible soutien Russe

La Russie et la Chine ont gagné en crédibilité au Moyen-Orient et infligé un échec aux États-Unis et aux occidentaux. Moscou pourra continuer à vendre ses armes tandis que la Chine peaufinera de nouveaux accords économiques et militaires avec les Émirats du Golfe. Les Israéliens, qui s’attendaient à une chute du régime syrien, qui ne les enchantait pas en raison du risque d’installation d’un régime islamique, vont devoir analyser le resserrement de l’étau militaire iranien autour d’eux.

Enfin, les Palestiniens sont amenés à revoir leur copie sur leur réconciliation qui subit des ratés. Le Fatah de Mahmoud Abbas croyait pouvoir compter sur la décision du Hamas d’Ismaël Haniyeh de prendre ses distances avec l’Iran. La stratégie palestinienne est remise en cause puisque le premier ministre de Gaza a décidé de rencontrer à Téhéran les dirigeants iraniens et que le représentant du Hamas à Damas, Khaled Mechaal, a décidé de retarder son départ de Syrie et son installation en Égypte.

En Syrie, la greffe du «printemps arabe» n’a pas pris et le dictateur tient bon au prix d'exactions toujours plus insupportable. Cet échec de l'opposition s’explique par les intérêts souvent contradictoires mais bien réels, de la Russie, la Chine, Israël, l’Europe et les États-Unis à maintenir un statu quo précaire.

Intérêts communs

Les Syriens dépendent de l'ex-URSS pour la quasi-totalité de leurs équipements militaires. Les Russes ont joué un rôle primordial dans la reconstitution de l’armée syrienne après les défaites de 1967 et 1973 au prix d’un investissement de 13 milliards de dollars, couverts par des prêts consentis auxquels ils ne sont pas prêts à renoncer. Moscou s’inquiète donc de l’avenir de ses exportations d’armes et veut maintenir ses bonnes relations avec son dernier grand client au Moyen-Orient.

Pour contrer l'influence occidentale et pour assurer son approvisionnement énergétique, la Chine entend peser et exister au Moyen-Orient et commence à le faire. Cela explique son vote. Sur le plan politique intérieur, les Russes et les Chinois prennent au sérieux une éventuelle contagion du printemps arabe au sein de leurs populations musulmanes, au Daguestan et en Tchétchénie. Par ailleurs les Chinois s’inquiètent des revendications des révolutionnaires arabes qui trouvent un écho à Pékin. Les critiques sur la corruption, le népotisme, l’inflation, l’absence de débouchés pour les jeunes diplômés, les inégalités sociales et le manque de libertés d’expression ont donné à penser que la place Tiananmen n’avait rien à envier à la place Tahrir. La Chine craint qu’en appuyant la chute du régime de Syrie elle favorise des contestations comme celles qui ont eu lieu au Tibet en 2008 et à Xinjiang en 2009.

A cette alliance de fait entre la Syrie, la Chine et la Russie, s’ajoute une alliance passive entre Damas et Jérusalem. Israël ne voit aucun intérêt à faire tomber Bachar el-Assad car le renversement de son régime risque d’amener au pouvoir au mieux les islamistes du Hezbollah, au pire ceux d’Iran. D’autres raisons objectives se trouvent dans le calme permanent à la frontière du Golan où, depuis 1973, pas un seul coup de feu n’a été tiré. Le chef d'État-major Benny Gantz avait pris position dans l’affaire syrienne puisqu’il avait déclaré devant la commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset : «La chute d'Assad portera préjudice à la communauté alaouite. Nous devons, nous, être prêts à accueillir des réfugiés sur le Golan». Il faisait allusion au fait que le président Assad était membre de la minorité alaouite et que cette minorité, installée au Golan, pouvait servir, avec les druzes syriens, de zone tampon face aux alliés chiites du Hezbollah.

Le jeu israélien

Il y a un certain cynisme à maintenir en vie un régime dictatorial sanglant mais il constitue un rempart contre l’intégrisme islamiste libanais et iranien. La survie du régime syrien les réconforte, d’une certaine manière, sur l’usage de l’important stock d’armes en possession de Damas, notamment chimiques. Le général Amir Eshel, responsable de la division de la planification de Tsahal, s’en est inquiété ouvertement: «La question se posera quand le régime d'Assad tombera, et non pas si. C'est une inquiétude majeure parce que je ne sais pas qui va mettre la main sur les armes le jour d'après. Quelle est la part qui sera transférée au Hezbollah et aux factions syriennes?» Il n’est donc pas question pour Israël de favoriser la chute du régime syrien qui entrainerait une dissémination d’armes de destruction massive.

La situation en Syrie est nettement plus complexe que dans les autres pays où la révolution a réussi. Mais se lamenter sur les morts syriens n'efface pas les réalités régionales et géopolitiques.

Jacques Benillouche

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