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Rugby: gays et gaillards

Temps de lecture : 6 min

Au rugby comme dans beaucoup d'autres sports, l'homosexualité reste en grande partie un tabou. Mais quelques clubs «gay friendly» commencent à s'installer dans le paysage du sport amateur.

Le club des Gaillards Parisiens à l'échauffement avant un match
Le club des Gaillards Parisiens à l'échauffement avant un match

Peut-on être rugbyman et homosexuel? La question est aussi caricaturale et stupide que la vision que donnent les télévisions françaises au soir de chaque gay pride, où il s’agit toujours de vous servir sur un plateau d’argent la provocante drag queen, l’incontournable transsexuel(le) et le nom moins célèbre SM fesses à l’air s’échappant de son pantalon de cuir.

S’il faut de tout pour faire un monde homosexuel, les médias ont toujours préféré regarder du côté du folklore qui conforte une partie du grand public dans ses certitudes sur le sujet au détriment d’une population plus banale et plus nombreuse, mais facilement occultée.

Pourtant, oui, contrairement à la croyance populaire, il y a donc aussi des rugbymen qui sont homosexuels et défilent lors de la Marche des fiertés au sein du cortège de la Fédération sportive gaie et lesbienne (FSGL), regroupement de toutes les associations sportives dites gay friendly.

Des hommes comme vous en voyez dans toutes les grandes équipes de rugby avec son lot de grands minces vifs et rapides et son contingent de gros balèzes lourds et percutants, même s’il est vrai que dans ces rangs amateurs les poignées d’amour sont toujours un peu plus généreuses que sur les terrains du Top 14.

Pour certains, en ce samedi de janvier battu par le vent et les grains, ce petit matelas abdominal protecteur n’est d’ailleurs pas un désavantage au sein de la vingtaine de joueurs présents de l’équipe des Gaillards, première équipe de rugby gay friendly à avoir vu le jour en France, et qui s’entraîne, ce matin-là, en enchaînant les séances de touches et de mêlées.

Pour jouer dans la boue d’un terrain bosselé situé dans le Bois de Vincennes, de bons crampons, et certainement pas des talons aiguilles, sont de rigueur. La passion du ballon ovale doit être chevillée au corps pour aimer se dépenser de la sorte dans la froidure avec la ferme volonté de progresser pour battre ses prochains adversaires.

Même si les choses ont légèrement évolué avec le temps, sport et homosexualité continuent de ne pas aller vraiment de soi en France et ailleurs. Le sport professionnel, surtout, a du mal à se défaire d’une forme de loi du silence qui empêche les champions de sortir du rang en affirmant sans fard leurs préférences sexuelles par crainte de représailles du public et de sponsors soudain refroidis par une image qui ne collerait plus à leur message. A l’instar d’Amélie Mauresmo, les femmes ont toujours été plus courageuses ou audacieuses dans ce domaine.

Peu de modèles chez les professionnels

Chez les hommes, dans les sports dits les plus virils et populaires comme le football ou le rugby, aucun joueur de renom n’a osé braver ce risque en cours de carrière. Olivier Rouyer, ancien joueur de l’équipe de France de football devenu consultant pour Canal Plus, a ainsi attendu la venue de la cinquantaine pour dire la réalité de sa vie affective et évoquer son compagnon. Il est bien resté le seul en France.

Footballeurs, rugbymen, mais aussi tennismen, basketteurs, handballeurs continuent de préférer la plus grande discrétion afin de ne choquer personne, quitte à souffrir de cette obligation d’enfermement personnel.

Au Pays de Galles, un rugbyman a spectaculairement franchi le Rubicon et a été salué à travers le monde pour sa franchise. Et pas n’importe lequel. En 2009, Gareth Thomas, 100 sélections au compteur en équipe nationale, a fait sensation en libérant sa conscience après avoir envisagé de se suicider. «J’allais marcher sur les falaises près de chez moi, à Bridgend, en m’approchant chaque fois un peu plus du vide, avait-il dit à L’Equipe Magazine. Au dernier moment, je trouvais toujours une excuse pour ne pas sauter. Fashanu (NDLR: un ancien joueur de football anglais de Nottingham Forest qui s’était suicidé après son «coming-out»), a renoncé à la vie parce qu’il avait révélé son secret. Moi, j’ai retrouvé goût à la mienne en le faisant.» De la sorte, il avait ajouté une légère nuance entre le football et le rugby:

«Je ne crois pas que le foot soit plus macho que le rugby. La différence, c’est le public. En rugby, la foule soutient son équipe, quoi qu’il arrive. En foot, les tribunes donnent leur avis, se manifestent, jusqu’à déraper parfois. Mais il suffirait d’un seul exemple pour que les mentalités évoluent. Moi, si j’avais eu un modèle quand j’ai commencé à jouer, j’aurais fait mon “coming-out” beaucoup plus tôt

Clubs gay friendly

Dans le sport amateur, que ce soit en ville ou dans les villages, faire état de son homosexualité dans un club sportif demeure également une gageure et c’est ainsi qu’ont fini par naître des clubs gay friendly un peu partout en France, la natation et le volley-ball ayant été des sports précurseurs en la matière. Gay friendly veut dire que ces clubs sont, bien sûr, ouverts avant tout aux homosexuels, mais qu’ils sont aussi accessibles aux hétérosexuels et bisexuels.

Comme pour d’autres, c’est le modèle choisi par Les Gaillards, club né en 2004 et qui s’est d’abord constitué par le biais d’un Yahoo! groupe à une époque où les réseaux sociaux étaient embryonnaires. «Nous étions quelques gays passionnés de rugby et nous avons été plusieurs à discuter de la sorte par le biais d’Internet jusqu’au grand jour où nous avons décidé de nous rencontrer sur un terrain sans s’être vus auparavant, raconte Cyril, l’un des plus anciens du club. La première fois, nous étions huit.»

Depuis, le club a grandi pour passer à une soixantaine de membres. Exclusivement gay à ses débuts, il ne l’est plus désormais que pour moitié avec, au fil du temps, la venue de copains de copains etc. Brassant tous les âges et tous les milieux professionnels, il s’est structuré en association avec son comité directeur et son président, Greg, son trésorier, Alban, son chargé de communication, Jérôme, son secrétaire, Fabrice…

Et il participe régulièrement à un championnat corporatif face à des équipes issues de comités d’entreprises ou d’anciennes écoles qui les traitent ni plus ni moins comme toutes les autres équipes. «Au début, il y a peut-être eu un ou deux froncements de sourcil, explique Jérôme. Mais nous avons été considérés très vite si ce n’est aussitôt comme une équipe comme les autres. En huit ans, nous n’avons subi aucune remarque homophobe.»

«Avant tout des joueurs de rugby»

Les Gaillards, qui ont milité pour la signature en faveur de la charte contre l’homophobie proposée par Rama Yade, ont vu émerger des petits frères gay friendly à Paris et en province: les Coqs Festifs, une autre équipe parisienne, les Los Valents à Montpellier, les Rebelyons à Lyon, la Mêlée Alpine à Grenoble, les Tou’Win à Toulouse.

L’occasion de se retrouver une fois l’an entre soi lors d’un tournoi national pour célébrer les fameuses valeurs du rugby martelées par Greg, le président des Gaillards, qui ne veut pas que ces clubs sportifs soient pris pour ce qu’ils ne sont pas:

«Nous sommes là pour jouer au rugby et pour progresser. C’est le but premier de ce club au-delà du lien social que nous voulons créer en faisant notamment venir vers nous des gays qui voudraient sortir de leur isolement grâce au rugby. Mais nous sommes avant tout des joueurs de rugby.»

Depuis quelques années est ainsi née une coupe du monde de rugby gay: la Bingham Cup en hommage à Mark Bingham, joueur de rugby américain et homosexuel, l’un des héros du 11 septembre en tant que passager du vol 93 de la United Airlines qu’il aurait aidé, avec d’autres, à éviter de s’écraser sur un objectif déterminé (la Maison Blanche ou le Capitole) en envahissant le cockpit et en faisant dévier l’appareil de sa trajectoire.

La prochaine Bingham Cup aura lieu à Manchester, début juin, avec certains membres des Gaillards qui pourraient faire partie d’un Team France. Des Gaillards qui recrutent —avis aux amateurs— comme tous les clubs de sports gay friendly du pays et s’amusent aussi en organisant bientôt, au Tango, à Paris, un tea dance afin de réunir des fonds en association avec le Paris Foot Arc En Ciel, l’un des deux clubs de foot de la Capitale. Les troisièmes mi-temps existent aussi chez les gays, mais personne n’en doutait à vrai dire…

Yannick Cochennec

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