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Hugo Chávez, converti au féminisme

Temps de lecture : 5 min

Latin lover ou militant féministe? Le président mène une politique très active en faveur des Vénézuéliennes. Pour le Comandante, la femme est devenue «combattante», mais n'a jamais cessé d'être aussi une «mère admirable».

Hugo Chavez, discutant avec des femmes, le 27 décembre 2011 à Caracas. REUTERS/Miraflores Palace
Hugo Chavez, discutant avec des femmes, le 27 décembre 2011 à Caracas. REUTERS/Miraflores Palace

«Mon président, je t'aime!», crie une sexagénaire vêtue de rouge des pieds à la tête, en larmes, devant le palais présidentiel où vient d'apparaître Hugo Chávez. Un cri d'amour classique au Venezuela, où les femmes sont toujours majoritaires dans les rangs des manifestations pro-Chávez.

Quelle que soit l'occasion: discours depuis son balcon, déplacement en région, tournage de l'émission dominicale «Allo Président», les femmes se déplacent en masse pour l'acclamer. Et lui ne manque jamais de les saluer, de baiser galamment la main d'une jeune fille ou de prendre affectueusement une mère de famille en pleurs dans ses bras.

L'aspect le plus spectaculaire du succès du président et de sa politique auprès des femmes se retrouve dans les Missions, les programmes sociaux du gouvernement bolivarien. Même lorsque ces dernières ne les visent pas directement, les femmes sont sur-représentées parmi les bénéficiaires. «C'est impressionnant de voir que parmi les premiers inscrits à la Mission Savoir et Travail (NDLR: programme visant à réduire le chômage par la création de postes et la formation), 80% sont des femmes!», relève la sociologue spécialisée en psychologie sociale Carmen Elena Balbas, de l'université catholique Andrès Bello (Ucab).

Les Missions améliorent considérablement le quotidien des femmes les plus démunies, grâce à des aides financières, mais aussi des aliments bon marché, des soins gratuits... Or les femmes «qui décident» au Venezuela, les femmes «chefs de famille» sont en majorité issues des quartiers les plus pauvres.

«Dans ces familles, la femme vit souvent seule avec des enfants de pères différents, dont elle doit assurer l'éducation et la vie quotidienne», décrit la sociologue. Au Venezuela, 60% des mères sont célibataires selon l'Association vénézuélienne pour une sexualité alternative (Avesa). «Le projet de Chávez prend en compte ces femmes pauvres comme personne ne l'a jamais fait.»

Reconnaissantes des efforts de l'État en leur direction, et désireuses de sortir du rôle traditionnel de mère au foyer, les Vénézuéliennes participent aujourd'hui activement aux instances locales de pouvoir, dans des proportions significatives: les conseils communaux, ces groupes de décisions communautaires destinés à redonner le pouvoir au peuple, sont à 70% dirigés par des femmes.

«Chávez laisse parler sa part féminine»

La ferveur féminine pour Hugo Chávez, «malgré son physique absolument pas attractif», explique Carmen Elena Balbas, se situe également à un niveau affectif, symbolique. «Avec la figure du président, ces femmes des quartiers populaires cherchent à combler l'absence de père, d'homme dans leur vie.» «Dans notre culture très orale, la force de Chávez c'est sa séduction par la parole», assure-t-elle, ajoutant que «contrairement au stéréotype des hommes vénézuéliens, Chávez laisse parler sa part féminine, n'hésite jamais à montrer ses émotions». Une particularité du président qui lui viendrait de son enfance. Fils de deux instituteurs modestes de la région rurale des Llanos, Hugo Chávez et son frère aîné Adan ont été élevés par leur grand-mère.

Mais outre les missions, qu'a vraiment fait Hugo Chávez pour ses compatriotes femmes en treize ans de pouvoir? Déjà, note la sociologue féministe Jessie Blanco, professeur de l'école de sociologie de l'université centrale du Venezuela, la Constitution écrite en 1999 contient plusieurs articles qui assurent l'égalité hommes-femmes, notamment l'article 76 qui protège le droit pour les couples de décider librement du nombre d'enfants qu'ils veulent concevoir, et de recevoir toute l'information à ce sujet, et qui établit la responsabilité partagée des parents sur l'entretien de leur progéniture.

Diverses instances publiques dédiées aux femmes ont aussi vu le jour depuis l'élection de Chávez en 1998, notamment le ministère de la Femme, et la Banque du développement de la Femme, qui distribue micro-crédits et formations gratuites.

Au plus haut niveau aussi, les femmes ont aussi pu s'imposer: 40 d'entre elles ont occupé des postes ministériels depuis 1998, contre 27 seulement dans les trente années suivant la fin de la dictature (1958-1998). En ce moment, le Tribunal suprême, la Commission nationale électorale, le Parquet général ou encore le groupe socialiste à l'Assemblée nationale sont dirigés par des femmes.

Le 28 juillet dernier sur son blog, le président écrivait:

«Il n'y a pas de véritable socialisme sans la femme, sans la libération de la femme. Vous savez que je me suis déclaré féministe

Le «féminisme» d'Hugo Chávez, quinquagénaire divorcé, père de quatre enfants, a cependant mis du temps à faire surface.

«Son langage était sexiste»

Lors de sa première élection en décembre 1998, «Chavez n'a nommé aucune femme dans son cabinet ni à aucun autre poste élevé», relèvent les sociologues Cathy Rakowski et Gioconda Espina [1]. «Son langage était sexiste et son comportement avec les femmes paternaliste.»

A cette époque, remarque Jessie Blanco, Hugo Chávez fait surtout référence à la beauté des femmes, les comparant fréquemment à des fleurs... Il annonce même une coupe budgétaire pour le Conseil national de la Femme, créé en 1992, de 80%.

Les mouvements de femmes réagissent aussitôt et obtiennent que soient écoutées leurs revendications au moment de la tenue de l'Assemblée constituante, mais, selon Jessie Blanco, ce n'est qu'en 2002, après le coup d'Etat qui le renversera 48 heures, qu'Hugo Chávez commence à considérer les femmes comme une force politique. Durant ces deux jours d'avril, «la participation héroïque et courageuse des femmes des quartiers populaires à la défense de la révolution a généré un changement dans la perception sociale que le président avait des femmes».

Dans les discours du Comandante, la femme est devenue «combattante», mais n'a jamais cessé d'être aussi une «mère admirable». Les Missions spécialement destinées aux femmes sont toujours vouées à encourager, ou du moins faciliter, la maternité. Dernier exemple en date, la Mission Fils de Venezuela, qui consiste en l'attribution d'une allocation mensuelle de 430 bolivars (environ 76 euros) par enfant pour les femmes aux ressources inférieures au salaire minimum (1.550 bolivars, 276 euros). Une mesure sensée réduire le taux d'extrême pauvreté dans le pays, la principale catégorie sociale touchée étant la mère jeune et seule (le Venezuela bat le record d'Amérique du Sud de grossesses adolescentes, 26% du total des grossesses selon l'ONU).

Des associations dénoncent l'objectif électoraliste de cette aide à neuf mois de l'élection présidentielle, son montant ridicule (à peine de quoi acheter les couches nécessaires pour un mois à un nourrisson), mais surtout le fait qu'elle élude le vrai problème.

Une vision machiste de la femme reconnaissante

«Le travail avec les mères adolescentes devrait viser à les rendre indépendantes, ce qui implique la prévention de nouvelles grossesses à cette période de leur vie, le développement d'une vie active, etc», souligne Magdymar Leon, porte-parole de l'Avesa. Jessie Blanco remarque que ces programmes gouvernementaux ne permettent jamais aux femmes de développer «une posture critique à l'égard de l'idéologie et de la société patriarcale vénézuélienne».

La relation «amoureuse» entre les femmes et leur président peut au contraire renforcer cette vision machiste selon laquelle l'homme donne à la femme qui, reconnaissante, reçoit:

«Vénérer Papa Chávez c'est de nouveau rendre invisible le rôle des femmes.»

Alors que de nombreuses associations féministes ont rejoint les rangs du pouvoir du fait de leur idéologie commune de gauche, elle milite quant à elle pour la création d'un mouvement féministe pérenne «autonome et critique» qui cherche à changer en profondeur la société vénézuélienne, notamment en visant la dépénalisation de l'avortement, dans un pays où deux femmes meurent chaque semaine en tentant d'interrompre elles-mêmes leur grossesse.

Faisant pour le moment la sourde oreille à ces exigences, le Comandante continue de jouer sur sa fibre féminine, déclarant lors d'une réunion du Parti socialiste vénézuélien:

«Quand je quitterai la présidence j'aimerais la remettre à une femme... Désolé Messieurs!»

Certains émettent l'hypothèse de sa fille aînée, Rosa Virginia, comme potentielle candidate.

Julie Pacorel

[1] C. Rakowski et G. Espina, Institucionalización de la Lucha Feminista/Femenina en Venezuela: Solidaridad y Fragmentación, Oportunidades y Desafíos. Cathy Rakowski est une sociologue américaine spécialiste de l'Amérique latine, enseignant à l'université publique d'Ohio. Gioconda Espina est professeur de Théorie féministe à l'université centrale du Venezuela (UCV). Retourner à l'article

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