Dans la bouche de Nathalie Arthaud, cernée par l’enchaînement des déplacements et des meetings entre deux jours de cours, le même gimmick qu’Arlette Laguiller, sextuple candidate à l’élection présidentielle dont elle a pris le relais: l’invocation constante des travailleurs. Et quand elle nous reçoit, veston vert et foulard bariolé, c’est en tant que travailleuse, comme professeure au lycée Le Corbusier d’Aubervilliers. Elle y enseigne depuis trois ans, à quelques hectomètres de Pantin où Lutte ouvrière, dont elle est porte-parole depuis 2008, a son siège.
Congé électoral
En accord avec son proviseur et le rectorat, aucun journaliste n’assistera à un de ses cours, pour ne perturber ni leur déroulement ni les élèves. Pour ne pas enfreindre la neutralité de l’Education nationale. Cocasse pour une révolutionnaire, au sens propre, d’extrême-gauche.
Sollicité, le rectorat de l’Académie de Créteil n’a pas donné suite à nos questions sur cette situation un peu particulière. Le proviseur, Bruno Bobkiewicz, préfère également ne pas aborder le sujet: «En accord avec Nathalie Arthaud, je ne m’exprimerai pas sur son travail.» «On s’est mis d’accord, cordialement, pour que la presse reste à l’entrée de l’établissement», confie Nathalie Arthaud en nous retrouvant à la sortie de ses cours avant d’accepter de nous faire visiter les lieux, un lycée moderne construit il y a six ans en face de la maison de retraite.
Ce lundi-là, elle vient de prodiguer son avant-dernier cours avant de bénéficier du congé électoral que lui accorde le droit du travail. «C’est un droit mais je ne suis pas sûre que beaucoup de candidats à la présidentielle le prennent. Ils n’en ont pas tous besoin», rigole-t-elle. Elle dispose ainsi de vingt jours fractionnables que son temps partiel —70%, soit deux jours de cours par semaine— va lui permettre d’étaler de janvier à avril pour se consacrer à sa campagne. Ou plutôt à la deuxième phase de celle-ci, ouverte par un grand meeting le 3 février —«présidé par Arlette Laguiller», précise-t-elle— comme le montrent les deux affiches électorales à son effigie collées sur l’enceinte extérieure du lycée, où elle est pour le moment la seule à figurer.
«Moi je
suis communiste, pas Mélenchon»
Devant nous, un élève, qui ne l’a pas comme professeur, l’apostrophe:
«Madame, vous, c’est une branche à Mélenchon?»
«Non, moi je suis communiste, pas lui», lui rétorque-t-elle du tac-au-tac, fière de sa formule. Candidate «antisystème capitaliste», ce que n’est pas Marine Le Pen, précise-t-elle aussitôt, elle souhaite qu’un courant communiste s’exprime car «au-delà de la personne de Sarkozy, c’est tout un système qu’il faut combattre». Mais qu’entend-elle par communisme?
«Je n’ai pas de doute sur le fait que tôt ou tard une révolte va éclater. Nous sommes communistes, nous sommes révolutionnaires, nous pensons que les travailleurs peuvent transformer les choses en se battant, par leurs luttes. Etre communiste, c’est avoir le programme d’exproprier la classe capitaliste. Et ce n’est sûrement pas parce qu’il y a eu cette caricature qu’est le stalinisme et qui a dénaturé cet idéal, qu’il faut s’interdire de faire le bilan du capitalisme.»
Salle 209
Après avoir déambulé dans les couloirs et les escaliers, flanqués de deux militants de LO, dont un prof à Drancy, et de l’attaché de presse du parti, on s’assoit au deuxième étage, salle 209. La prof en campagne ne prend pas place derrière son bureau, s’installant sur une simple chaise face au pupitre d’élève qui nous sert de table pour bavarder.
Dans cette salle où les murs sont bordés d’ordinateurs, la classe de terminale Gestion des Ressources Humaines a cours deux fois par semaine avec la candidate à l’élection présidentielle. Dix heures hebdomadaires en tête-à-tête avec la nouvelle Arlette Laguiller. Une situation particulière, comme le reconnaissent ses élèves qui trouvent ça «spécial», «marrant de la voir à la télévision» et qui, pour certains, voteront peut-être pour elle car ils savent «qu’elle défend les travailleurs et les ouvriers». Et «parce qu’il y a un côté sentimental aussi». Aussi. Et Lutte ouvrière? Ils n’en savent pas grand-chose et affirment que la candidate à la révolution ne leur parle jamais de Sarkozy.
Enseigner est-il alors un acte politique? «Un acte politique, non. Militant, oui.» Même si elle explique, terre à terre, que sa profession est «d’abord et avant tout un gagne-pain», Nathalie Arthaud concède qu’il existe une forme de militantisme dans cette vocation. Celle de «transmettre, non seulement les connaissances, mais aussi les capacités aux jeunes de juger la société, d’être conscient de son organisation. La conscience est le premier pas vers plus de liberté».
«L’éducation, c’est développer l’esprit critique»
Cette passionnée d’histoire de 41 ans, fille de «parents qui ne sont pas des intellectuels, qui n’ont pas fait de grandes études», sait de quoi elle parle. «L’école m’a ouvert énormément de portes», confie l’agrégée en économie-gestion, qui a débuté sa carrière dans l’Education nationale à Saint-Denis après avoir passé le concours en région lyonnaise. Un chemin qu’elle empruntera en sens inverse, lorsque, après être revenue vers la capitale des Gaules, elle demanda sa mutation à l’académie de Créteil. «Cette mutation, je l’ai obtenue beaucoup plus facilement que dans l’autre sens», observe-t-elle, dubitative.
Alors, à ces élèves des «quartiers dits sensibles», elle ne parle pas du «rétrécissement des options et des possibilités» qu’elle constate dans l’Education nationale. Pas de diatribes politiques ou d’appel à la révolte, tout juste insiste-t-elle sur l’importance de suivre l’actualité. Son cours, lui, porte sur «les questions liées au recrutement, à la durée du temps de travail, au droit à la formation dans un parcours professionnel»...
«C’est concret, ça nous parle», explique Alexandra, 19 ans, et élève de la terminale GRH, devant le lycée. L’enseignante-candidate s’en tient au programme, assure-t-elle, même si elle déplore qu’ils «soient faits sur mesure»:
«Il n’y a pas de chapitre et il n’est nullement question de la crise. Il n’est bien sûr pas question d’une économie planifiée ou de type communiste… Mais les élèves posent des questions, sont critiques. Ils ont un appétit de comprendre et de savoir. Quand la crise des subprimes a éclaté, ils m’ont demandé ce que c’était. Je leur ai répondu d’où cette crise venait et livré l’analyse sur la spéculation. Dans ces cas-là, j’essaye surtout de les faire se forger leurs propres opinions. L’éducation, c’est aussi développer l’esprit critique.»
Sébastien Tronche