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En Russie, Internet en fer de lance de la contestation anti-Poutine

Temps de lecture : 4 min

Les manifestants anti-Kremlin utilisent les réseaux sociaux mais restent minoritaires.

Manifestation anti-Poutine le 24 décembre 2011 à Moscou. REUTERS/Denis Sinyakov
Manifestation anti-Poutine le 24 décembre 2011 à Moscou. REUTERS/Denis Sinyakov

Dans les rues de Moscou, le 4 décembre dernier, ils étaient 5.000, le 10, 50.000, le 24, 100.000. «Mécontents», «indignés», «opposants», «citoyens», «patriotes», autant de qualificatifs relayés sur médias pour identifier cette masse contestataire grossissante tout en tentant de discerner les principaux acteurs de ce mouvement inédit sous l’ère Poutine. Une résonnance nationale pour un courant minoritaire.

Sur la scène installée le 24 décembre au milieu de l’avenue Sakharov, leaders de l’opposition, anciens ministres, figures de la société civile prennent la parole à tour de rôle. Parmi eux, le blogueur et avocat Alexeï Navalny, figure du mouvement qui vient de recouvrer la liberté.

Orateur à la plastique indéniable, Navalny est plébiscité. Ayant rappelé l’importance de la Constitution russe, il martèle agressivement la seule source légitime du pouvoir: le Peuple.

L’auteur du qualificatif de «parti des escrocs et des voleurs» à l’adresse de Russie Unie, le parti de Poutine, ne manque pas d’ambigüités. Le chevalier blanc est très actif sur son blog, sur Rospil —sa plateforme de dénonciation des faits de corruption— et sur Rosvibori, son dernier projet en date, un système d'organisation de l'observation citoyenne lors des scrutins électoraux.

Le juriste incarne d’une part la lutte contre la corruption à tous les niveaux de l’appareil d’Etat et des grandes entreprises. Mais il est aussi un animal politique aux thèses proches de l’ultranationalisme, dont la présence à plusieurs manifestations extrémistes lui vaut l’exclusion de la formation démocrate Iabloko en 2007.

Navalny est à l’image la contestation: civique, ambivalent et minoritaire.

Mouvement inédit

Le mouvement naît au lendemain du scrutin législatif auquel Russie Unie enregistre un score confortable, bien qu’en chute libre, de 49%. Pour les ONG comme «Grajadanin Nablioudatel» (citoyen observateur, ndlr), les urnes ont été massivement bourrées, notamment dans la capitale où le parti majoritaire, après un sondage le jour J, ne dépassait pas les 20% d’intentions de vote. Des observations similaires fuitent des milliers de bureaux de vote, et sont relayées sur Internet de Kaliningrad à Vladivostok.

Moscovites et autres citadins descendent dans la rue au lendemain des élections pour dénoncer la mascarade. Un rassemblement a lieu à nouveau le 10 décembre, place Bolotnaïa à Moscou, où plus de 30.000 personnes se retrouvent après s’être donné rendez-vous sur Facebook.

Le réseau social dont le Premier ministre avouait encore récemment se désintéresser s’affirme comme contre-pouvoir. Inédit, le 24 décembre sur l’avenue Sakharov, le web prouve sa capacité à fédérer 100.000 manifestants dans la rue. Le mouvement est relayé à la télévision, une première depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine.

Les revendications sont claires: libération des prisonniers politiques dont Mikhaïl Khodorkovski et son associé Platon Lebedev, démantèlement des structures de police et de sécurité, réforme du système judiciaire, annulation des résultats et tenue de nouvelles élections législatives, démission du président du comité électoral Vladimir Chourov, et vote d’une nouvelle législation sur la reconnaissance des partis.

En d’autres termes, la rue demande la mise à mort du système Poutine fondé sur un pouvoir autocratique verrouillé par les forces de l’ordre et les structures de sécurité, afin d’organiser les conditions de l’avènement d’un Etat de droit démocratique et transparent.

Décabristes 2.0

Présentée par les médias comme une contestation née des réseaux sociaux, qui vaut d’ailleurs aux participants le qualificatif de «Décabristes 2.0», le mouvement ne compte pourtant que 37% de «réseauteurs» réguliers d’après le sondage effectué par le Centre Levada.

Ces 37% sont effectivement des internautes actifs et militants dont la veille permanente structure les échanges sur la Toile. Facebook, Vkontakte ou encore Twitter permettent logistiquement l’organisation de la contestation mais ne s’imposent pas pour autant comme des forums politiques.

Les jeunesses pro-Kremlin de type «Nashi» ou encore «Jeune Garde» y ont d’ailleurs tout aussi recours pour assurer le succès de leurs meetings, et ce depuis plusieurs années déjà. Parmi les manifestants, tous fréquentent internet pour échanger et s’y informer. Ce qui est loin d’être le cas des 140 millions de citoyens de la Fédération dont beaucoup n’a pas de connexion à domicile.

Avenue Sakharov, 62% des manifestants sont diplômés du supérieur, et plus de 70% d’entre eux ont une position assimilable à celle d’un cadre ou d’un fonctionnaire de catégorie A. Ramené à la population de la capitale russe, 100.000 personnes représentent 1% de la population officielle de la ville. Les Décabristes 2.0 représentent une couche minime de la société russe dont l’action ne doit pas pour autant être minimisée.

Big Brother civique et orthodoxe

Preuve en est que le Kremlin, après avoir tenté de serrer la vis au moment des premiers symptômes, s’est finalement résolu à autoriser les manifestations. L’exécutif a même pris en considération les revendications des manifestants, même si Vladimir Poutine les a initialement identifiés comme des militants de la lutte contre le sida.

D’un côté, le président Dimitri Medvedev multiplie les annonces législatives en faveur d’une démocratisation du régime. De l’autre, Vladimir Poutine, candidat de la présidentielle de mars prochain, se met au web 2.0, lançant son site internet. Malheureusement l’opération tourne vite au désastre. Le site dont un onglet permet de recueillir les doléances citoyennes se voit assailli par des appels à la démission du Premier ministre.

Si les avis sont rapidement remplacés par des remerciements, les captures d’écran du blogueur «edvvvard» avant/après font rapidement le tour du web russe, mettant à nu les méthodes du candidat qualifiées de «soviétiques» et de «tchéquistes».

La Toile rigole et se fait un malin plaisir de proposer ses services en matière de stratégie web aux agents du feu KGB pour qui la conversion aux nouvelles technologies semble bien difficile.

Pour la première fois depuis plus de dix ans, la parole des Politkovskaïa, Limonov et autres Kasparov a sa tribune et a trouvé ses relais. Le réseau de veille militant constitué impose au pouvoir de revoir ses méthodes, célébrant l’avènement d’un «Big Brother» national aux visées civiques et orthodoxes. Pour autant, la société russe ne semble pas encline à sombrer dans le chaos d’une révolution colorée.

Pour preuve, les derniers sondages donnent Vladimir Poutine président dès le premier tour avec 63% des voix.

Louis-Antoine Le Moulec

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