Commençons par le courrier. Ouvert depuis un an à la concurrence, le secteur postal semble immobile. Le facteur conserve… 99% du marché des plis de moins de 50 grammes ! “Il n’est pas anormal que La Poste reste dominante, si elle fait bien son travail”, estime Emmanuel Combe, professeur à Paris 1. Cela pourrait changer mais rogner sur un timbre à l’heure du mail… Pour l’heure, « l'ampleur des investissements initiaux et des besoins en main-d’œuvre refroidit les ardeurs » des concurrents potentiels.
Energie: rentes monopolistiques
Dans l’énergie, «les investissements initiaux dans la production et les tarifs réglementés bloquent la concurrence», observe Alain Madelin, l'ancien ministre libéral de Jacques Chirac. L’exemple de Poweo, au bord de la faillite et racheté par Direct énergie, toujours déficitaire, montre qu’on ne s’attaque pas à EDF comme ça. D’ailleurs, afin de protéger l’entreprise dont il est actionnaire à 84%, l’Etat a soigneusement veillé à ne laisser que des miettes à ses concurrents.
Aujourd’hui, la «rente» nucléaire bloque l’entrée de tout fournisseur, sauf à ce qu’il achète de l’énergie à… EDF. C’est ce que la loi a rendu possible mais «c’est EDF qui a eu gain de cause sur le tarif auquel il doit vendre l’électricité à ses concurrents», explique Grégory Caret, directeur des études de l’UFC Que choisir. «Et le prix est probablement trop élevé». En vertu de la loi NOME, le prix de vente de l’électricité nucléaire est de 42 euros le MWh, censé couvrir les coûts d’EDF. Les concurrents d’EDF espéraient 35 euros, soit le niveau des tarifs de vente aux particuliers, comme l’expliquait Gérard Mestrallet, PDG de GDF Suez:
«La loi Nome doit permettre une vraie concurrence sur le marché des particuliers. Nous n'allons pas acheter l'électricité 42 euros, le prix demandé par EDF, pour la revendre 35 euros. C'est inacceptable!»
On observera simplement qu’un peu plus au nord, la Commission de régulation de l’énergie « considère que le coût de production de l’électricité des centrales nucléaires en Belgique est compris entre 17 €/MWh et 21 €/MWh ». Comment expliquer une telle différence ?
Concurrence libre et non faussée? Le doute est permis. Le constat s’impose aussi pour le gaz où les challengers de GDF Suez proposent de minuscules ristournes (de 5% en général). Le marché de l’énergie semble bloqué.
Un Free qui casserait le cartel des propaniers (ou des fioulistes), pourtant dénoncé par la timide DGCCRF, serait bienvenu: nul doute que les consommateurs prisonniers de contrats léonins l’accueilleraient à bras ouverts. Une fois que la citerne est installée dans votre jardin, il est presque impossible de la remplir avec le gaz ou le fioul d’un autre fournisseur. Le projet de loi Lefebvre vise d’ailleurs à fluidifier ce marché, en plafonnant la durée de ces contrats à cinq ans (article 4 bis).
Le train (de sénateur) de la concurrence
Ouvert à la concurrence depuis 2010, le transport ferroviaire reste ultra-dominé par la SNCF. Qui a déjà voyagé en Thello? Cette compagne, détenue par Trenitalia et Veolia Transdev, a fait circuler son premier train Venise-Paris en décembre 2011. Un Paris-Rome est prévu cette année. Quant à la Deutsche Bahn, elle devrait affréter des trains depuis Francfort jusque vers Paris et Marseille, au premier semestre 2012.
La concurrence reste limitée à quelques destinations. Inutile d’espérer un TGV à 5 euros entre Paris et Lyon un jour de pointe. «C’est un marché balbutiant où très peu de destinations seront rentables», estime Jacques Malécot, délégué général de l’Association française du rail, qui regroupe les concurrents de la SNCF. Un Free s’y casserait sans doute les dents: «il faut acheter du matériel qui s’amortit en 20 ans. Un TGV, c’est de l’ordre de 30 millions d’euros, il faut 4 à 5 ans pour le construire et l’homologuer…»
Dans le transport ou l’énergie, les marges de manœuvre des opérateurs alternatifs se limitent donc à des niches. Enercoop avec son modèle coopératif et écolo s’en sort plutôt bien. Alternative au rail, les déplacements en cars sont encore peu développés. Plus que sur les prix, ce sont «les services, comme la possibilité d’acheter son billet à bord», qui feraient la différence, souligne Jacques Malécot. A moins que le modèle low cost dans l’aérien fasse des émules...
La France a la culture des monopoles qu’elle associe aux services publics. Sans s’apercevoir que lorsqu’ils entrent dans des logiques de marché (France Telecom, EDF, GDF Suez…), ils deviennent des monopoles privés, horreur anticoncurrentielle, avec le sourire du service public d’antan.
Taxis : poésie malthusienne
S’y ajoutent des rentes de situation corporatistes, celle des taxis étant la plus connue. «Ah les taxis! C’est un poème… Il y avait 25.000 taxis à Paris après Guerre, il y en a 17.500 aujourd’hui», rappelle Emmanuel Combe. Divers rapports ont suggéré des pistes de réforme – en vain. A 180.000 euros la licence, le coût de la rente est top élevé pour un Etat impécunieux.
Résultat, le malthusianisme est contourné, via les motos-taxis, les minibus (shuttle) ou les taxis low cost (comme le réseau des easy taxis à Avignon) qui n’ont pas le droit de prendre quelqu’un dans la rue et doivent donc être réservés par téléphone. A Paris, quiconque trouve un taxi hurle de joie. Est-ce pour cela que la ville a créé Autolib’… au grand mécontentement des loueurs de voiture? On roule sur la tête…
Qu’il s’agisse des grandes surfaces ou des services publics, le consommateur a peu à attendre de la concurrence. Il vaut mieux explorer d’autres secteurs pour se refaire une santé en termes de pouvoir d’achat.
Alain Gerbault