Un programme globalement bien bâti, mais qui pêche par les détails et qui montre sa faille: la croissance. Voilà en résumé l’impression que me donnent les 60 engagements du candidat socialiste. D’un regard général, deux points sont positifs et très marquants. D’abord, le programme est raisonnable. Pas de grandes promesses, pas de gros cadeaux. Ce n’est pas non plus un programme mou, genre le ni-ni de François Mitterrand en 1988. L’essentiel est que François Hollande annonce un quinquennat en deux temps: il rétablit d’abord les finances, ensuite, mais ensuite seulement, on essaiera de redistribuer du social. L’inverse donc du François Mitterrand de 1982, où la ligne du changement s’est brisée en dix-huit mois pour conduire à la rigueur. Cette fois les sacrifices sont annoncés pour le début. Les temps sont à l’effort, les Français l’ont compris.
Des priorités claires
Le deuxième point positif du programme est la définition claire des priorités. La croissance, la justice sociale, les jeunes, la république exemplaire: les têtes de chapitre sont simples et, à mon avis, bien choisies. Hormis la laïcité, le retrait des troupes d’Afghanistan, le droit au mariage et l’adoption pour les couples homosexuels, c’est un programme presque uniquement économique et social. C’est l’époque qui veut ça. La crise dominera le quinquennat. Dans ce cadre vouloir combiner croissance et justice sociale, c’est un clé qui devra séduire, elle conduit au le cœur du modèle français que veut rétablir le candidat socialiste.
Dans le détail, des doutes apparaissent et des gros
Par exemple sur le logement: libération du foncier et annonce «de plus de constructions» avec un blocage des loyers. Voilà la poursuite d’une politique qui a échoué depuis cinquante ans en France (toujours en pénurie) alors qu’il aurait fallu ici inventer un réel changement.
Par exemple aussi sur l’Outre-mer, où la volonté «de lutter contre les marges abusives» et d’apporter «plus de moyens» ressemble mot à mot à de la vieille politique. Ou encore sur la santé, secteur qui va imposer des révisions déchirantes alors que le candidat rêve de «rétablir l’excellence» sans dire comment.
L’essentiel est néanmoins dans l’incertitude budgétaire. Promesse est faite de rétablir les comptes. Mais, comme d’habitude avec les hommes politiques, les dépenses sont sous-estimées et les recettes sur-estimées (en se leurrant sur la croissance durant les cinq ans). Les marchés financiers vont recalculer tout ça et les dérapages seront impitoyablement sanctionnés: la France n’est pas du tout assurée de ne pas subir le sort de l’Italie. Or les dérapages on les voit venir. On les voit surtout venir du côté de de la fonction publique, base électorale du PS. Si on bloque les non-remplacements à l’école et dans la police, où va-t-on couper dans les effectifs? Si la RGPP (révision générale des politiques publiques) est arrêtée, d’où viendra l’effort gigantesque de productivité nécessaire dans les services de l’Etat et des collectivités locales?
L’essentiel est aussi dans la compétitivité qu’on rétablit seulement par une Banque publique d’investissement. Rien n’est dit sur le coût du travail et sur le marché du travail. Rien non plus sur l’Europe, dont François Hollande attend un changement d’attitude comme par miracle. Comme si nos partenaires allemands hostiles aux eurobonds allaient devenir favorables d’un coup.
Au total, François Hollande n’en fait pas assez sur la croissance. Ce sera sa plus grande difficulté: il devra réaliser que l’appareil productif français est beaucoup plus faible qu’il ne le pense.
Eric Le Boucher