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Paranoïa bien réelle autour des aliments génétiquement modifiés

Temps de lecture : 7 min

Quels risques y a-t-il à absorber des molécules végétales contenues dans des fruits modifiés génétiquement? Retour sur un article aux conclusions explosives... mais erronées.

Kiwi (fruit not bird) / Zach Dischner via Flickr CC License By
Kiwi (fruit not bird) / Zach Dischner via Flickr CC License By

Faites-vous partie des milliers de personnes à avoir lu l'article sur «les dangers bien réels des aliments génétiquement modifiés», publié début janvier dans The Atlantic?

Son auteur, le journaliste culinaire Ari LeVaux, entendait s'appuyer sur des découvertes récentes sur la biologie de la digestion d'éléments végétaux pour justifier une révision de la législation sur les aliments génétiquement modifiés aux États-Unis.

Mais l'aberration scientifique que représente son article, et l'absence de lien entre l'étude citée et un quelconque danger des OGM, ont poussé un certain nombre de journalistes spécialisés à taper du poing sur la table et à s'inscrire en faux.

Malheureusement, quand ces rectificatifs ont été diffusés, les lecteurs de The Atlantic avaient déjà partagé l'article initial 11.000 fois, rien que sur Facebook. Un danger qui n'avait rien de «bien réel» s'était transformé en une soi-disant bombe à retardement génétiquement modifiée qui, selon LeVaux, allait «faire exploser» les arguments favorables au statu quo législatif.

Mais en regardant de plus près ces données scientifiques, on y trouve au contraire un argument pour que les trois agences fédérales impliquées dans le dossier des OGM (la FDA, l'EPA et le Ministère de l'agriculture) s'en tiennent au cadre législatif souple et factuel en vigueur.

En cause: des molécules végétales dans le sang humain

Les composants explosifs provenaient d'une étude publiée dans Cell Research sur l'identification dans le sang humain de minuscules molécules végétales. Notre organisme recèle de nombreuses versions humaines de ces molécules chargées de réguler la production de protéines, les microARN, (ou miARNs).

Personne n'avait encore fait état de la découverte de miARNs végétaux dans le corps humain, jusqu’à ce que Lin Zhang et ses collègues de l'Université de Nankin se penchent attentivement sur des consommateurs de riz et d'autres aliments végétaux.

Selon cette étude, des molécules végétales se retrouvent dans notre sang et d'autres tissus. Et les miARNs de ces plantes ne sont pas là pour faire joli: dans d'autres tests, les chercheurs ont observé que l'une de ces molécules inhibait la production d'une protéine normalement chargée de débarrasser le sang du mauvais cholestérol.

Concernant le riz, pour résumer, les scientifiques ont montré comment un miARNs issu d'une plante non-OGM agissait sur une protéine, chez des souris de laboratoire et sur des cultures de cellules cancéreuses hépatiques humaines. Ces conclusions doivent encore être confirmées, mais ouvrent la porte à des problématiques intéressantes sur les effets des miARNs naturels et alimentaires sur la santé humaine.

Mais combinez-les à la complexité et à la portée émotionnelle du débat sur les aliments OGM, et vous comprendrez comment une telle réaction en chaîne a pu se propager sur les réseaux sociaux, et pourquoi les rectificatifs n'ont rien pu faire pour rattraper l'avance de la désinformation, partie à la vitesse de la lumière.

Une version corrigée qui entretient la confusion

LeVaux a depuis amendé son article de quelques corrections judicieuses, la nouvelle version est accessible sur AlterNet et The Atlantic. (Pour la première version, c'est ici).

Dommage que la riposte, diffusée elle aussi sans attendre via les réseaux sociaux, n'ait pas été plus efficace.

Dans sa seconde tentative, LeVaux a certes corrigé certaines de ses erreurs sur sa description initiale des miARNs, tout en ajoutant quelques mises en garde sur le caractère non-répliqué des résultats, mais il a tout de même conservé la majeure partie de son propos initial et répété que ses détracteurs s'étaient trompé de cible. Puisque j'en faisais partie, j'ai réitéré mes objections.

Les reproches faits à LeVaux soulignaient non seulement ses erreurs scientifiques, mais montraient aussi combien il se fourvoyait en essayant de lier les conclusions de Zhang uniquement aux aliments OGM, plutôt qu'à tous les aliments d'origine végétale. Dans les OGM actuels, personne ne touche aux miARNs, ce qui fait qu'à cet égard ils sont parfaitement identiques aux plantes non-OGM.

Et pourtant, sa deuxième version fait toujours état d'un tel lien et passe complètement à côté des implications réelles de l'étude. LeVaux se concentre sur l'«équivalence substantielle», un principe d'évaluation des risques qui veut que si un OGM possède les mêmes caractéristiques qu'un non-OGM (les mêmes profils protéiques et contenus nutritionnels, par exemple) il doit répondre aux législations alimentaires standard. Le corollaire, évidemment, c'est qu'une non-équivalence requiert davantage de tests.

Sur quels principes baser une refonte de la législation?

Selon LeVaux, les découvertes sur les miARNs invitent à une refonte de ce cadre législatif, tant elles révèlent une action possible des OGM sur la santé humaine. Mais l'étude ne dit pas cela, vu qu'elle porte sur des aliments non-OGM et un type de molécules qui n'est pas altéré dans les OGM actuels.

Dans tous les cas, se passer de l'équivalence substantielle serait une erreur. L'innovation biotechnologique semble aller quasiment aussi vite que la désinformation sur les réseaux sociaux et, à un rythme aussi effréné, l'équivalence substantielle demeure un principe suffisamment souple. En lui préférant un ensemble de législations fédérales, tatillonnes et maladroites, on sera forcément en retard sur l'état réel de la science.

Un autre choix, le principe de précaution, a beau être souple en théorie, il est employé dans un contexte où les «et si?» sont préférés aux preuves factuelles, ce qui le rend stérile et incohérent.

L'administration Obama l'a récemment appliqué en revenant sur le décret de la FDA autorisant la mise sur le marché de Plan B, une «pilule du lendemain» vendue sans ordonnance et en justifiant cette initiative sans précédent par le fait que ses fabricants ne pouvaient pas «établir de manière concluante» son innocuité sur des fillettes de 11 ans.

Une telle décision illustre une faille majeure du principe de précaution: il ne pondère pas l'incertitude par des risques connus, qui sont substantiels pour une fillette de 11 ans tombant enceinte.

Les molécules végétales ont toujours fait partie de l'alimentation

Mais qu'importent ces cadres législatifs. En attendant des études complémentaires, ces récentes découvertes indiquent que les humains, comme d'autres animaux, ont vécu depuis longtemps en ingérant des miARNs végétaux. Rien ne prouve l'existence de miARNs modifiés dans les OGM actuels, ce qui fait que les OGM commercialisés aujourd'hui n'affecteront en rien cette relation de longue date.

En essayant de faire un lien entre miARNs et OGM, LeVaux semble confondre ces petites molécules avec d'autres qui régulent aussi la production de protéines dans nos cellules.

Certains OGM ont en effet été conçus pour produire du «petit ARN interférent», ou siARN. Par exemple, lors de sa courte existence, la tomate OGM Flavr Savr, commercialisée en 1994, générait artificiellement des siARNs bloquant spécifiquement la production d'une protéine normalement responsable du vieillissement des tomates.

LeVaux semble ainsi exagérer les dangers de l'un en prenant des exemples de l'autre. Certaines plantes ont été modifiées pour créer des siARNs, voire des ARNs plus longs, inhibant chez les insectes qui les consomment certains gènes d'assimilation des toxines. Mais elles ciblent précisément ces insectes, et aucune étude n'a repéré ces molécules issues de plantes OGM dans des tissus humains.

De plus, les siARNs et les miARNs ne sont pas si facilement interchangeables. Ils peuvent avoir des effets similaires, mais les cellules les assimilent et les utilisent différemment.

Certains groupes (sans aucun lien, pour l'instant, avec le secteur industriel) mènent effectivement des recherches sur une technologie de miARN artificiel capable de modifier certaines caractéristiques végétales, et ce même si son application agro-alimentaire reste hypothétique.

Si des OGM aux miARNs artificiels deviennent une réalité, est-ce que les données de Zhang feront «exploser» l'équivalence substantielle? Non, l'équivalence substantielle demandera qu'on fasse d'autres tests.

Une tomate avec des gènes de poisson

En parlant de tests, LeVaux s'interroge sur «une tomate avec des gènes de poisson? (…) Pour moi, il s'agit d'une nouvelle plante et elle doit être testée. Nous ne devrions pas avoir à deviner à l'ancienne si elle est venimeuse ou allergisante, surtout compte-tenu du caractère ultramoderne de cette science».

Mais l'équivalence substantielle ne veut pas dire «non-testée». Des chercheurs ont en effet développé une tomate dans laquelle ils ont inséré le gène d'une limande arctique pour que la plante puisse résister au froid.

Mais la tomate a échoué aux tests de tolérance au froid. Si elle les avait réussis, selon un rapport d'experts, «des tests environnementaux et de sécurité supplémentaires auraient été menés» afin de démontrer l'équivalence substantielle – comme dans le cas de la tomate Flavr Savr. Comme le souligne ce rapport, tous les OGM commercialisés aux États-Unis ont subi un examen réglementaire complet.

Certes, tous ces tests ne sont pas des essais cliniques à grande échelle sur des volontaires humains, mais ils évaluent la toxicité et le caractère allergisant des OGM dans des procédures comparables à ce qui se passe lors de l'évaluation de la sécurité non clinique des médicaments.

De plus, grâce aux avancées dans tous les domaines en «-omique» permettant de comparer les génomes, les protéines et les métabolites de divers organismes, ces tests peuvent désormais intégrer des comparaisons entre les profils moléculaires des OGM et des plantes conventionnelles, et ce afin de détecter n'importe quelle différence significative pouvant justifier des enquêtes plus approfondies.

Dans tout cet alarmisme anti-OGM, ce sont les réelles implications de l'étude de Zhang sur le miARN qui sont passées à la trappe. Les versions humaines de ces minuscules molécules jouent de nombreux rôles dans le développement et les maladies, et il semble aujourd'hui que certains miARNs végétaux puissent survivre à la digestion et passer dans notre flux sanguin. Quelle influence, le cas échéant, ont-ils sur notre santé?

La voilà la question à ne pas perdre de vue, et ce même au milieu des shrapnels de l'obus socio-médiatique lancé par LeVaux.

Emily Willingham
B
iologiste et blogueuse science sur The Biology Files et Double X Science.

Traduit par Peggy Sastre

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