On l'avait souvent annoncé comme le pendant du discours fondateur de la porte de Versailles de Nicolas Sarkozy, le 14 janvier 2007. Comme pour le candidat de l’UMP il y a cinq ans, le discours prononcé par François Hollande au Bourget (Seine-Saint-Denis) dimanche 22 janvier a été l’occasion d’exprimer une vision de l’histoire de France, de tisser une tapisserie d’événements avec pour objectif de «renouer le fil» en cas de victoire, de s'inscrire ainsi dans une continuité légendaire. Détricotage.
Date fondatrice, Résistance et Kennedy
Afin de retracer leur parcours, les deux candidats ont fait référence à un même temps fort historique vécu personnellement: une campagne présidentielle. Pour François Hollande, celle victorieuse de 1981 («L'alternance, enfin, le bonheur de la victoire»). Pour Nicolas Sarkozy, celle malheureuse de 1974, sous la forme d’un hommage à Jacques Chaban-Delmas («Son dernier grand combat politique fut pour moi le premier»).
Ils ont également rendu hommage à des figures tragiques de la Résistance avec lesquelles ils entretiennent un rapport intime. Nicolas Sarkozy avait rappelé la mémoire de Jean Moulin, Guy Môquet et surtout Georges Mandel, un de ses prédécesseurs Place Beauvau, fusillé par la Milice le 7 juillet 1944 et à qui il avait consacré une biographie en 1994. François Hollande a lui rendu hommage à des résistants sans «célébrité» mais qui ont marque l’histoire de son fief, la Corrèze: les 99 pendus de Tulle du 9 juin 1944.
De manière curieuse, enfin, les deux candidats ont tous deux transposé la légendaire formule du discours d’investiture de John Kennedy, le 20 janvier 1961: «Ne vous demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, mais demandez-vous ce que vous pouvez faire pour votre pays.»
Dans la bouche de Nicolas Sarkozy, cela donnait: «Arrêtons de demander toujours à notre pays ce qu’il fait pour nous et réfléchissons aussi à ce que nous avons à faire pour lui.» [1] Dans celle de Hollande, un éloge de la «France du civisme, où chacun demandera non pas ce que la République peut faire pour lui, mais ce que lui peut faire pour la République».
Le pays et la République
Le pays d’un côté, la République de l’autre: une différence qui est loin d’être un détail. Si François Hollande a appelé en début de discours à «prolonger l’histoire de notre pays, qui vient de loin, avant la République, avec la République», ses références remontent moins loin que celles de Nicolas Sarkozy, qui avait pioché jusqu’au Moyen-Age et à la Renaissance. Son rêve français est celui «que tout au long des siècles, depuis la Révolution française, les citoyens ont caressé, ont porté», c’est à dire un «récit républicain».
Républicain, et surtout de gauche, même si «le récit de la République […] n’appartient pas qu’à la gauche». En 2007, Nicolas Sarkozy avait placé son récit historique sous le signe de «ceux qui ont cru en [la France], qui se sont battus pour elle», et était allé chasser sur les terres de la gauche, évoquant la France «des travailleurs qui ont cru à la gauche de Jaurès et de Blum et qui ne se reconnaissent pas dans la gauche immobile».
François Hollande, lui, a placé son récit sous le signe de l’égalité et est resté sur les terres de la gauche, en scandant les grandes dates: abolition des privilèges de 1789, révolution de 1848, réformes sociales et laïques de la IIIe république, Front populaire, création de la Sécurité sociale en 1945 (époque où De Gaulle était au pouvoir, mais les socialistes et communistes au gouvernement), élection de Mitterrand en 1981, gouvernement Jospin...
Camus, symbole de la méritocratie républicaine
Seule figure de droite citée, le général de Gaulle: mais là où, dans sa lettre aux Français du 3 janvier, Hollande s’était inscrit dans la lignée de sa prise de pouvoir, pourtant contestée par la gauche («Comme en 1981, comme en 1958, ce qui est en jeu dans cette élection et dans le choix que feront les Français, c’est [...] l’indispensable redressement de la Nation»), il a choisi là un épisode plus consensuel, le traité de l’Elysée franco-allemand de 1963.
Et s’il n’a pas chassé à droite, il a en revanche répliqué implicitement à Sarkozy. Il y a cinq ans, le candidat UMP reprochait à la gauche de ne plus «entendre la voix de Camus»; Hollande l’a pris pour modèle de la méritocratie républicaine, «enfant orphelin de père élevé par une mère pauvre, sourde et illettrée», devenu prix Nobel. Le candidat a également cité positivement le programme du Conseil national de la résistance (qu’un de ses soutiens, Stéphane Hessel, a accusé Sarkozy de trahir) et Mai-68 (dont le chef de l’Etat avait promis de liquider l'héritage).
Au pouvoir, Mendès plus que Mitterrand
Hollande, enfin, a dialogué avec l’histoire de son propre parti. Deux passages de son discours ressemblaient à du Mitterrand dans le texte, version Epinay 1971, quand il critique les «puissances d’argent» et quand il décrit sa cible:
«Mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance.»
Chez Mitterrand, cela donnait:
«Le véritable ennemi, j'allai dire le seul, parce que tout passe par chez lui, [...] c'est le monopole! Terme extensif... pour signifier toutes les puissances de l'argent.»
«En dépit des apparences, je n'ai guère aimé Mitterrand. Sa pratique du pouvoir m'a souvent scandalisé», lâchait pourtant le candidat en octobre dernier. Significativement, François Hollande n’a pas ouvert la dernière partie de son discours sous le patronage de François Mitterrand mais sous celle de Pierre Mendès France et sa phrase «La vérité doit forcément guider nos pas».
Or, l’éphémère président du Conseil (juin 1954-février 1955) faisait notamment partie de ceux qui, avant mai 1981, avaient mis François Mitterrand en garde contre des promesses jugées déraisonnables. Et avait, au moment de son investiture, pris l’engagement de résoudre sous trente jours le dossier le plus brûlant, la paix en Indochine. Hollande, lui, a fait une triple promesse à très court terme en cas de victoire: engagement du retrait d’Afghanistan, rencontre en Allemagne avec Angela Merkel et lancement «des premières mesures contre la finance et pour la réforme bancaire» avant les législatives.
Jean-Marie Pottier
[1] Curieusement, nous n'avons pas trouvé cette formule dans les transcriptions du discours en ligne, mais on peut l'entendre à 6'45'' sur cette vidéo. Revenir à l'article