Google vient tout juste de casser son moteur de recherche. Et sous couvert d'une amélioration en plus: la volonté de croiser des résultats traditionnels avec des trucs trouvés sur votre réseau social. Dans les heures qui ont suivi l'annonce de ce changement, Google s'est fait incendier par les spécialistes du secteur, comme par ses concurrents.
Le gros des critiques portait sur la mise en œuvre du bouzin qui, au lieu d'indexer le contenu de divers réseaux sociaux, verra les nouveaux résultats de Google reposer solidement sur son propre réseau, Google+.
Comment ce nouveau Google, pas amélioré du tout, pourra-t-il bien fonctionner? Je viens tout juste de chercher «Mitt Romney New Hampshire», et parmi mes résultats, j'ai trouvé une poignée de posts et d'images partagés par mes amis et collègues sur Google+. Mes habitués savent que Google+ est un dépotoir pour moi, et que je l'ai laissé pour mort. D'un autre côté, je suis constamment sur Twitter et Facebook – mais avec ma recherche sur Romney, je n'ai rien obtenu de ce que les gens partagent sur ces sites.
En même temps, comme le fait remarquer Danny Sullivan, de Search Engine Land, si vous cherchez «Facebook», Google va désormais vous suggérer de suivre la page fantôme de Mark Zuckerberg sur Google+. Sur Internet, l'avant-poste le plus actif de Zuckerberg se trouve sur Facebook. Si Google ne vous parle pas de la page Facebook du PDG de Facebook, alors c'est que Google est cassé.
Google a expliqué rapidement pourquoi les autres réseaux sociaux n'étais pas davantage présents sur ce nouveau service, appelé «Search, plus Your World» [la recherche, plus votre monde]; comme d'autres, ces explications m'ont parues faibles et confuses. Mais contrairement au reste de la presse technologique, mon plus gros problème avec cette nouvelle fonctionnalité ne vient pas de son côté auto-promo.
Je cherche l'avis d'experts, pas celui de mes amis
Certes, si Google se met à inclure les réseaux sociaux dans ses résultats de recherche, je préférerais que les réseaux sociaux que j'utilise le plus souvent soient eux aussi visibles. Mais j'ai une autre idée, bien meilleure: et si on incluait aucun truc de mon réseau social dans mes résultats de recherche – qu'importe que cela provienne de Google+, de Twitter, de Facebook ou de n'importe quoi d'autre?
Depuis plus de dix ans, la recherche sur Google n'a jamais été «sociale». Quand je cherchais une nouvelle voiture, un hôtel européen ou la meilleure façon de déboucher des toilettes, Google me fournissait des résultats traduisant un point de vue recueilli auprès de tous les utilisateurs d'Internet. Et cela fonctionnait parfaitement!
Pas une seule fois durant toutes ces années, je ne me suis retrouvé face aux résultats de Google en y déplorant l'absence des avis de mes amis, que ce soit sur la voiture que j'aurais dû acheter ou l'hôtel que j'aurais dû réserver. Mes amis ont beau être des individus prévenants et avisés, leurs opinions sur les dizaines de milliers de petites et de grandes requêtes que je présente à Google chaque année sont quasiment toujours hors sujet.
Si mes toilettes sont bouchées, je cherche l'avis d'un expert – plombier, de préférence, mais je me contente aussi de l'inconnu qui a rédigé ce post eHow. Je ne veux pas savoir quel lien mon patron a bien pu consulter lorsque ses toilettes étaient bouchées.
Je parie que je ne suis pas le seul. Google s'est mis à intégrer ce qu'il appelle la «recherche sociale» depuis 2009 et a commencé, il y a un an, à mettre en avant des liens partagés par vos amis. Ces partages ont progressivement été utilisés par le moteur de recherche pour déterminer la hiérarchie de tels liens. A la fin 2010, avec Facebook, Bing s'est lancé sur une initiative sociale comparable.
Recherche personnalisée contre recherche sociale
Je me souviens avoir pensé que ces liens sociaux pouvaient être utiles à mes recherches, en théorie, mais en pratique, je ne peux me souvenir d'un seul lien partagé par un ami qui ait été la réponse parfaite à une de mes requêtes. Pas vous?
Maintenant, je comprends que des requêtes différentes obtiennent plusieurs types de résultats. Parfois, votre requête est ambiguë, et le seul moyen pour Google de savoir ce que vous cherchez est de s'appuyer sur ce qu'il a appris par le passé. Google a ainsi commencé à «personnaliser» ses résultats de recherche en 2005 et, depuis 2009, c'est par défaut que vous obtenez ces résultats personnalisés.
Aujourd'hui, quand deux personnes différentes font la même requête sur Google, elles vont probablement obtenir des résultats légèrement différents, en fonction du lieu où elles se trouvent, de leurs requêtes antérieures, de l'appareil qu'elles utilisent, et d'autres paramètres encore.
Je n'ai aucun problème avec la recherche personnalisée – Google devrait en effet utiliser ce qu'il sait de moi pour améliorer mes résultats. Ce qui me turlupine, c'est cette «recherche sociale» se servant de ce que Google sait d'autres gens pour déterminer quels seront mes résultats de recherche.
Globalement, l'intégration par Google et Bing de résultats sociaux me fait l'effet d'un gadget médiocre. Ces résultats n'améliorent en rien la hiérarchie des liens obtenus et, dans la mesure où ils prennent la place d'autres résultats pertinents, ils ne font qu'encombrer ma page.
Juste pour être bien sûr, j'ai passé une heure ce matin à naviguer dans mon propre historique de recherche Google, comptant plus de 52.000 requêtes accumulées au cours du temps. J'ai refait certaines de ces recherches de deux façons différentes – la première, en activant le nouveau service social-relou de Google, et la deuxième fois, sans lui. (Oui, heureusement, un bouton permet de désactiver la nouvelle fonctionnalité, mise en place par défaut).
Un bon résultat de recherche n'a rien à voir avec mes amis
Entre autres, j'avais sollicité les lumières de Google sur Emo Philips, une expression imagée, les recettes des biryanis pakistanais et d'un gâteau au chocolat sans farine, Mark Duplass, un grille-pain Dualit, Harold Camping, des piments verts, la prévention des accidents domestiques, Jerry Brown et les impôts, la nouvelle Kia Soul, ainsi que sur le plus grand hôtel d'Hawaï.
Sur plusieurs de ces requêtes, j'ai obtenu des liens partagés par mes amis, mais jamais je n'ai obtenu, sur la page sociale, un lien fantastique absent de la page non-sociale. Dans la plupart des cas, les résultats étaient identiques; les rares fois j'ai obtenu sur la page sociale des liens qui n'apparaissaient pas sur la page classique, ces liens n'avaient rien à voir avec ce que je cherchais.
Je me suis peut-être mal débrouillé. J'ai beau avoir choisi de nombreuses requêtes différentes, je n'ai peut-être pas opté précisément pour le bon type de requêtes, celles que la hiérarchisation sociale améliore le mieux. Il est aussi possible que mes résultats aient été affectés par le fait que je n'utilise pas trop Google+ – peut-être qu'en y étant plus souvent, Google aurait de meilleurs trucs sociaux à me proposer.
En même temps, les exemples mis en avant par les employés de Google ne m'ont pas non plus été d'un grand secours. Sur son blog, Matt Cutts, qui dirige l'équipe Webspam de Google, fait remarquer comment sa requête sur le poulet du Général Tao est améliorée par des liens sociaux. Sur Google +, il suit Jennifer 8. Lee, l'auteur d'un livre sur les restaurants chinois. Quand il cherche des informations sur ce plat, il tombe sur Quora et sur le post définitif que Lee a rédigé sur l'histoire de cette recette. Si Lee n'est pas dans vos cercles et que vous faites la même requête, vous ne trouverez pas cet article.
Mais je ne comprends pas la logique du truc. L'article de Quora sur le poulet du Général Tao n'est-il pas un bon résultat de recherche, que vous soyez ou non ami avec Lee? Et si cet article est pertinent, c'est parce que Lee est une experte dans ce domaine, pas parce qu'elle est votre amie ou votre collègue. Si tous ceux qui utilisent Google ne peuvent pas tomber sur le post de Lee – sans qu'il soit uniquement réservé à ceux qui ont eu la bonne idée de la cercler – cela sous-entend qu'il manque quelque-chose dans l’algorithme de Google. Vous ne devriez pas avoir besoin d'un copain plombier pour tomber sur un bon lien vous expliquant comment déboucher vos toilettes.
Moi contre le reste du monde
Amit Singhal, qui dirige l'équipe chargée de la qualité de recherche chez Google, mentionne un autre exemple où la recherche sociale peut se révéler utile. Quand il recherche des infos sur le chikoo – une sorte de fruit que Singhal adore – le moteur de recherche lui montre des photos de son chien, qu'il a nommé Chikoo.
Les images sont tirées de ses pages sociales et de celles de sa femme – en l’occurrence Google+ et ses albums Picasa. J'ai fait à peu près la même chose en cherchant le prénom de mon fils, Khalil. Comme on pouvait s'y attendre, sa photo (que j'ai partagée avec quelques-uns de mes proches sur Picasa) est apparue dans mes résultats. Mais si vous aviez cherché son nom, vous n'auriez pas vu cette photo (à moins que vous fassiez partie de ces proches).
C'est relativement sympathique, je suppose, mais c'est aussi visiblement un cas limite: avant, je n'avais jamais recherché le prénom de mon fils et si j'avais voulu voir ses photos, ce n'est pas sur Google que je serais allé en premier. Évidemment, Google veut que ça change – l'entreprise veut devenir votre premier réflexe, qu'importe votre requête, que vous cherchiez des images de mon fils Khalil ou du Khalil qui chante «Hey Lil Mama».
Mais cela me semble trop éloigné de l'usage que j'ai toujours eu de Google. Pour moi, les moteurs de recherche sont des passerelles vers le reste du monde, et pas un catalogue de trucs qui ne concernent que moi. Aller sur Google pour y trouver des photos de mon fils me fait le même effet que si j'avais à me rendre dans une librairie pour y trouver mon journal intime.
Google va peut-être réussir à nous faire voir les moteurs de recherche autrement, mais j'en doute. Cela fait longtemps que les résultats Google dépassent ma propre petite personne, et c'était merveilleux. Qu'on laisse mes amis et ma famille en dehors de ça.
Farhad Manjoo
Traduit par Peggy Sastre