La perte du triple A par la France pourrait, si l'on s'y
prend bien, devenir une très bonne nouvelle. Elle pourrait constituer le
déclic, en soi dérisoire, qui nous fera enfin comprendre la gravité de la
situation, nous indigner contre celle-ci et refuser de nous y soumettre. Il
faudrait pour cela qu'à la résignation succède la résistance.
Il faudrait positiver.
Trop de mauvaises nouvelles nous assaillent. Depuis des
années. Trop de catastrophes et de menaces économiques, sociales, financières,
écologiques. Avec leurs conséquences humaines, fracassant des entreprises et
des vies, menaçant chacun de nous d'un irréversible déclassement. Face à ces
menaces, le monde semble trop vaste, la France, trop petite. Le marché semble
trop puissant, la démocratie, trop fragile. Les tentations sont alors grandes
d'abandonner, de renoncer, de baisser les bras, de fuir.
C'est ainsi que s'amorcent toujours les grandes faillites
individuelles et collectives. C'est ainsi que, sans en avoir conscience, les
plus belles civilisations commencent à disparaître. C'est ainsi que les
prophéties les plus noires se réalisent. Il faut, pour l'éviter, prendre toutes
ces mauvaises nouvelles comme autant de défis. Et, pour y parvenir, nous devons
retrouver l'élan vital, le désir d'affronter les coups du sort et de les
vaincre. Et ressentir qu'au-delà du danger la vie et la France en valent la
peine.
Ce sentiment doit se nourrir d'une nostalgie et d'une espérance, de courage et de respect de soi-même. Alors, seulement, on trouvera la force de ne pas se résigner, de ne pas fuir. On réussira à considérer l'adversité comme une bonne nouvelle parce qu'elle forcera à se dépasser.
Chacun de nous a été ou sera confronté, à un moment de sa vie, à ce genre de situation. Elle est presque toujours réversible. Et, lorsqu'elle ne l'est pas, c'est seulement parce que la fin arrive. Or, pour une nation, il n'y a pas nécessairement de fin. Un pays peut être immortel, s'il s'en donne les moyens, s'il sait donner du sens, une raison d'être, à ses habitants, pour qu'ils y restent, qu'ils y créent, qu'ils y bousculent les pouvoirs, y aient des enfants, y inventent un avenir.
La perte, attendue, du triple A doit
donc être considérée comme une bonne nouvelle pour la France: enfin, on ne va
plus pouvoir se contenter de craindre l'avenir. Enfin, on ne va plus pouvoir
éviter de se prendre en main et on devra réagir.
Tous ensemble. Au plus vite. Sans même attendre qu'un
nouveau pouvoir se mette en place en juin.
En tout cas, j'espère que nous trouverons en nous-mêmes
l'élan vital pour le vouloir. Comme nous l'avons trouvé dans d'autres moments
dramatiques de notre Histoire.
Parce que la France en vaut la peine. Et parce que tous ceux qui l'ont amenée jusque-là, en quinze siècles, ne nous pardonneraient pas de ruiner en dix ans un si bel héritage.
Jacques Attali
Cet article a été également publié par L'Express