Société

Le jour où Sarkozy a acheté la presse

Temps de lecture : 4 min

Après les Etats Généraux de la presse, le niveau des subventions a explosé.

Toute la nature de la relation de Nicolas Sarkozy aux médias était perceptible le 23 janvier 2009 lors de la présentation des mesures gouvernementales en faveur de la presse. Cette relation se résume à deux concepts: sujétion et léger mépris. Ce jour-là, sous les ors de l'Elysée, le président de la République détaillait les mesures que le gouvernement entendait tirer du fameux Livre Vert présenté quelques semaines plus tôt en clôture des Etats Généraux de la presse écrite (EGPE). S'écartant de son texte, le chef de l'Etat n'avait pu s'empêcher du jouer la provocation condescendante sur le thème, «votre indépendance, vous la mettez en berne un jour comme aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de venir quérir des subventions». Le body language était éloquent.

Nicolas Sarkozy consacre une idée simple, fondée sur le principe que les médias qui ne sont pas déjà dans des mains amies (Lagardère, Dassault, Bolloré) ne sont de toute façon pas indépendants en raison de leur précarité financière. Ce principe n'est pas dénué de fondement, certains de ces mêmes médias considérant à l'évidence les injections périodiques de capital comme un flux d'argent qui n'a d'autres vocations que de subir une érosion constante, mettant les contributeurs en position légitime de revendiquer une influence chèrement payée. De la même façon, le chef de l'Etat se sent autorisé à traiter avec hauteur des titres qui ont fait de l'anti-sarkozysme l'essentiel de leur projet éditorial tout en tendant leur sébile.

Au delà des espérance de la presse

Tout le contenu des Etats Généraux de la presse écrite qui se sont tenus entre le 22 octobre et la fin 2008 résultait de cette ambigüité: une presse exsangue, incapable de se réformer, ayant sacrifié ses performances économiques sur l'autel de la paix sociale avec des décennies de concessions extravagantes. Des dirigeants de presse qui arrivent donc aux EGPE avec un seul objectif: renouveler le bail des subventions qui pèsent pour 10% de leur chiffre d'affaires, le tout avec le minimum de concessions. Le gouvernement va leur donner satisfaction au-delà de leurs espérances.

Car pendant le déroulement des EGPE, la crise financière se développe avec brutalité. Tous les gouvernements comprennent qu'il va falloir payer des centaines de milliards de dollars et d'euros pour maintenir en vie le système bancaire. A l'Elysée, le raisonnement est vite fait: la presse française veut de l'argent? On va lui en donner. Elle va se faire tirer l'oreille sur les contreparties, le calendrier? Limitons-nous à des contreparties vagues et symboliques.

En tout, 600 millions d'euros sont débloqués sur une période de trois ans, avec quelques programmes forts comme le développement du portage, noyés dans des mesures symboliques comme l'abonnement gratuit à un quotidien pour tout jeune atteignant 18 ans, ou les dépenses de communication institutionnelle du gouvernement qui sont multipliées par deux. «J'espère que personne n'y verra une atteinte à son indépendance», lâche, facétieux, Nicolas Sarkozy. Rien sur les lois antédiluviennes qui asphyxient la distribution de la presse, rien sur la question des droits d'auteurs qui est un des principaux obstacles au développement de la presse en ligne en France. Tout juste s'en tiendra-t-on à des processus de négociation engagés depuis des années mais dont la célérité et les avancées sont sans rapport avec les enjeux de transformation de la presse.

C'est le satisfecit général et mutuel. «[Louis] Schweitzer [président du directoire du Monde] m'a dit, «tu as sauvé la presse française»», confie, modeste, Bernard Spitz qui assurait la coordination des EGPE. Pour lui, cette prodigalité étatique va permettre à certains journaux de passer le cap de l'exercice en cours. Ce qui est indiscutable. Pour le reste, vidibitur infra, on verra le moment venu. Après ces trois années folles de subventions, il est probable que le dispositif sera plus ou moins reconduit, les tenants d'un système limité dans le temps n'ayant pas obtenu gain de cause auprès de l'Elysée.

Dans le même temps, la France aura explosé son propre record de la presse la plus subventionnée avec un niveau d'aide publique par lecteur cinq fois supérieur à celui de la Suède par exemple, mais un taux de lectorat trois fois moindre.

Coût du départ d'un ouvrier du Livre : 466.000 euros

Seule contrepartie palpable, l'accélération des négociations avec le puissant syndicat du Livre qui devrait faire baisser les coût d'impression «de 30% à 40%», selon l'objectif officiel des EGPE. Où en est-on sur cet épineux dossier? Il porte sur le départ d'environ 300 ouvriers du Livre CGT. Cette réduction correspond à peu près à un tiers des effectifs actuels du Livre (on vient de 3.300 en 1993). L'espèce est donc en voie de disparition, mais au prix fort: 140 millions d'euros estimés pour l'opération, soit la somme de 466.000 euros par travailleur!

Il est vrai que les perspectives d'un reclassement dans des conditions équivalentes sont inexistantes. Les strates successives de concessions consenties par les éditeurs de presse font qu'un ouvrier du Livre gagne en moyenne 50.000 euros bruts annuels, et 90.000 euros pour un cadre du Livre. Le tout pour 32 heures par semaine — théoriques. Car dans la pratique, si un ouvrier est payé pour 260 «services» (journées, généralement des nuits, il faut le signaler) par an, il n'est présent sur son poste de travail que pour 164 «services». Le reste, ce sont les congés (8-10 semaines), les formations (une source inépuisable d'absentéisme légal), les accidents du travail, les récups, le tout optimisé avec la sophistication du remplissage d'un gros porteur. Dans l'imprimerie, le grain à moudre se compte par silos entiers (côté employés, s'entend).

Pas question d'ouvrir un nouveau front social

Evidemment, de telles conditions n'existent pas dans la vraie vie et le salarié d'une imprimerie dite «de presse» (donc contrôlée par le syndicat du Livre) qui se retrouverait à postuler dans une imprimerie de labeur (avec un syndicalisme pluriel et classique), devrait renoncer à 40% ou 50% de son traitement. Ce décalage explique le prix qu'il est envisagé de payer pour le départ des effectifs en surplus et la discussion un peu âpre sur qui, des éditeurs ou du gouvernement, va prendre l'essentiel de l'addition.

Officiellement, l'exécutif est satisfait de la façon dont se passent les discussions. Le Conseiller social de l'Elysée Raymond Soubie a donné instruction au ministère de l'Emploi de faire en sorte que les négociations s'effectuent sans accroc. Pas question d'ouvrir un nouveau front social, mêmes si les conditions de travail (et de départ) des ouvriers du Livre sont à des années lumières du quotidien des «Contis» ou des «Molex».

Le gouvernement ne veut à aucun prix d'un quelconque blocage des imprimeries de presse ou de la distribution des journaux qui énerveraient les éditeurs. Il a acheté une paix syndicale mais aussi patronale, sans que leur soit attaché un quelconque projet industriel crédible, et pour un montant faible au regard du sauvetage du système bancaire ou de l'automobile. Un excellent calcul, au fond.

Frédéric Filloux

Image de une REUTERS/Benoit Tessier.

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