France / Politique

La taxe Sarkozy sur les transactions financières, ou le retour d'une taxe supprimée en 2008?

Temps de lecture : 5 min

Une taxe sur les opérations financières a existé en France jusqu’en 2008. La même majorité est-elle prête à voter une loi qui contredirait une décision prise il y a trois ans?

REUTERS/David Gray
REUTERS/David Gray

On ne s’attendait pas à voir réapparaître aussi vite un projet de taxe sur les transactions financières, après l’échec du G20 de novembre dernier sur le dossier. Mais le périmètre du projet n’est plus le même: il ne s’agit plus de tenter de rallier les vingt pays de la planète à la création d’une taxe au bénéfice de l’aide au développement des pays pauvres, mais d’essayer de convaincre l’Allemagne de suivre la France dans une démarche très politique, manifestement calée sur le calendrier électoral français, à des fins probablement très éloignée de l’assistance aux pays pauvres.

On connaît les réticences d’Angela Merkel contre toute avancée dans cette direction qui ne serait pas européenne, et la volonté affichée de Nicolas Sarkozy de prendre la tête du mouvement, quitte à anticiper en lançant la France seule dans la création d’une telle taxe. Un texte de loi devrait même être présenté en février… avant l’élection présidentielle.

Un impôt de bourse en France jusqu’en 2008

La création d’une taxe sur les transactions financières ne serait pas une première en France, bien au contraire. Les professionnels n’ont pas oublié que, jusqu’au 1er janvier 2008, existait un impôt sur les opérations en bourse institué à la fin du XIXe siècle, et qui ne survécut pas à l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Elysée.

Cet impôt était progressif et ne se déclenchait que pour les opérations d’un montant supérieur à 7.668 euros; le «droit de timbre» se montait à 0,3% en dessous de 153.000 euros, et 0,15% au-dessus. Dans ces conditions, les ordres de bourses étaient le plus souvent tronçonnés, pour que les montants soient taxés au plus bas. Aussi, le rendement de cet impôt était-il limité, de l’ordre de 260 millions d’euros par an.

La disparition de cet impôt devait restaurer la compétitivité de la place parisienne, d’autant que, comme le fit remarquer Philippe Marini, rapporteur général à l’occasion du débat au Sénat, il était de plus en plus contourné par les professionnels de la finance qui opéraient depuis des places étrangères. Cette taxe aurait donc été à l’origine de délocalisations qui auraient induit «une perte de recettes fiscales et sociales».

Chantage aux délocalisations

C’est d’ailleurs l’argument repris aujourd’hui par l’association Europlace qui rassemble les acteurs financiers de la place parisienne:

«Si cette taxe était appliquée seulement en France, elle entrainerait inéluctablement une délocalisation des activités concernées des banques, sociétés d’assurance et sociétés de gestion, au profit des grandes places financières mondiales, et réduirait en conséquence la maîtrise des conditions de financement de notre économie et le rôle de la place de Paris dans l’économie européenne et mondiale».

Chacun est dans son rôle.

Il n’y a donc pas si longtemps que la place financière française n’est plus soumise à l’impôt. Des arguments comme le manque à gagner occasionné par l’existence d’un impôt de bourse (plus de dix milliards d’euros en 2007, selon les députés Yves Censi et Gilles Carrez) devraient peser plus lourd lors d’un éventuel prochain vote à l’Assemblée nationale que la perspective d’une recette fiscale plus modeste. On pourrait discuter longtemps sur la crédibilité des chiffres avancés. Mais on peut faire confiance au lobby financier pour faire monter la pression.

Toutefois, le chantage à l’emploi n’est pas n’est pas forcément judicieux. Car s’il est évident qu’une taxe n’est pas un élément favorable à la compétitivité d’un secteur, on n’a pas remarqué non plus que l’extinction de l’impôt de bourse en France se soit traduite par un rapatriement d’emplois qui auraient été délocalisés auparavant.

Les acteurs financiers répondront que la crise n’a pas permis à la place parisienne d’enregistrer tous les avantages de cette disposition. Peut-être… sauf que les établissements financiers sont sortis de la crise qui les frappait plus spécifiquement sans qu’on n’observe aucune relocalisation.

Concurrence avec Londres

Tous les yeux sont bien sûr tournés vers Londres, où s’expatrient les acteurs financiers compte tenu du rayonnement international de la place. En réalité, le leadership historique de la place londonienne tient à bien d’autres éléments qu’un impôt de bourse, surtout depuis que l’ancien opérateur de la bourse parisienne Euronext a fusionné – en 2006 - avec le New York Stock Exchange. A cette occasion, la place parisienne faisait son deuil de toute grande ambition internationale parmi les places financières. Les opérateurs devaient en tirer les conclusions.

Par ailleurs, l’existence d’une taxe sur les transactions financières ne préjuge pas du succès d’une place financière, si on en juge par l’exemple de Londres. Il existe en Grande Bretagne une taxe qui frappe l’achat d’actions anglaises, le «stamp duty» pour les transactions utilisant un formulaire papier, ou le «stamp duty reserve tax».

Certes, ce droit de timbre, instauré lui aussi à la fin du XIXe siècle, ne s’applique par à toutes les opérations financières; il ne concerne que les achats d’actions d’entreprises britanniques et doit être acquitté par tout acheteur, qu’il soit résident britannique ou non. En plus, des exemptions sont prévues.

Mais son taux est élevé, de 0,5%. De sorte qu’il génère une collecte de l’ordre de 3 milliards de livres par an. Le droit de timbre britannique est donc plus lourd que ne l’était l’impôt de bourse français sans qu’il n’ait jamais été question de délocalisations de Londres à Paris, bien au contraire.

Tout dépend de la nature de la taxe et de son assiette, c'est-à-dire des opérations qu’elle vise. D’autres taxes existent d’ailleurs à Taïwan, en Corée du sud, en Afrique du sud et à Hong-Kong, autre grande place internationale. Et dans une étude très documentée réalisée à l’initiative de l’organisme Unitaid, on note que «les pays disposant de taxes importantes sur les transactions financières ne semblent pas subir des délocalisations fiscales d’entreprises nationales plus fréquentes que les pays dépourvus de taxes sur les transactions financières».

Renforcer la zone euro

Il est clair, toutefois, qu’une taxe à l’échelle européenne éviterait d’exacerber la concurrence entre les différentes places à l’intérieur de l’UE. Mais la distance prise par Londres dans la recherche de solutions à la crise de la dette publique dans la zone euro, éloigne cette perspective.

Jean-Pierre Jouyet, à la tête de l’Autorité des marchés financiers (AMF) et partisan d’une taxe sur les transactions financières au moment du G20 de novembre, est maintenant plus mesuré. «Il n’y a pas de solution pour une taxe dans la zone euro si Londres s’en affranchit», déclarait-il récemment à l’Association des journalistes financiers.

Pour rouvrir le dossier sans Londres, il faudrait selon lui «que la zone euro devienne un nouveau marché intérieur renforcé», c'est-à-dire que Paris et Berlin notamment resserrent leurs liens en matière de coordination financière. C’est le sens de la démarche de Nicolas Sarkozy auprès d’Angela Merkel, attentive sur ce dossier à défendre la place financière de Francfort.

Une question, alors, se pose: la majorité actuelle à l’Assemblée nationale votera-t-elle pour l’instauration d’une taxe… qu’elle a supprimée il y a trois ans?

Gilles Bridier

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