A la mort du Cher dirigeant Coréen, les messages de condoléance de diplomates de différents Etats (dont le Japon et la Corée du Sud) ont afflué. Mais pas la France. Le Quai d’Orsay ne s’est pas ému outre mesure du décès de Kim Jong-il et n’a pas présenté de condoléances officielles.
Si les relations diplomatiques entre la France et la Corée du Nord sont conflictuelles, d’autres acteurs se mobilisent pour tenter d’améliorer les relations entre les deux pays ainsi que l’image de la Corée du Nord en France. Lumière sur ces hommes qui œuvrent dans l’ombre pour dédiaboliser la République populaire démocratique de Corée (RPDC).
Les soutiens fantômes
Ils ont profité de la mort de Kim Jong-il pour se faire connaître. Depuis le 19 décembre, le Parti juchéen de France (PCJF) a augmenté sa visibilité, au moins sur le Net. Ce parti pro-Corée du Nord existe-t-il ou est-ce une vaste fumisterie?
Groupuscule d’obédience Marxiste-léniniste, se revendiquant du Juche, l’idéologie du régime nord-coréen, il multiplie les provocations sur Twitter, menaçant d’attaquer des médias français en diffamation et annonçant l’inscription de candidats à l’élection présidentielle.
Problème, le PCJF n’est pas déclaré en association et encore moins en tant que parti politique. «Notre demande a été refusée en 2010 pour manque de crédibilité, justifie Gildas M., qui se dit porte-parole du parti. Il y a peu de chances que nous présentions un candidat mais nous jouons la carte de la provocation pour nous faire connaitre et peser sur la présidentielle», ajoute-t-il. Mais le PCJF peine à dépasser le stade des pitreries en ligne.
On ne trouve trace de leur existence que sur divers sites internet (ici et ici) et sur les forums où le «parti» apparait depuis 2009. En dehors de la toile, seul un article d’une revue d’extrême droite évoque une possible candidature du PCJF aux régionales 2010. Le candidat ne s’est au final pas présenté. «Le décès de Kim Jong-il a mis en lumière une coquille vide», reconnaît Gildas.
Les «trente membres dont une dizaine d’actifs» se sont rencontrés dans les universités parisiennes d’Assas ou de l’Inalco. Ce groupe de joyeux drilles entend sortir de l’Europe et faire de la France une Démocratie populaire calquée sur le modèle nord-coréen mais «adaptée au contexte local».
Par ailleurs, ils défendent l’honneur de Kim Jong-il, qui n’est «pas un dictateur», et dédramatisent la portée des atteintes aux droits de l’homme en Corée du Nord. «Les réfugiés sont récupérés par des sectes évangélistes sud-coréennes qui les payent pour délivrer de faux témoignages. Les médias sont manipulés», assure Gildas.
Cet homme dit visiter la Corée du Nord deux à trois fois par an, voyages en partie financés par les autorités locales. Il assure que le PCJF est en contact avec des officiels nord-coréens, notamment avec les Jeunesses Kim il-Sung.
Sauf que le PCJF est inconnu dans les cercles franco-coréens. «Les diplomates coréens ne les connaissent pas et nous ne les avons jamais vus, ni en Corée du Nord, ni lors des fêtes nationales organisées à la délégation générale à Paris (voir plus bas), estime Patrick Kuentzmann, secrétaire général de l’Association d’amitié franco-coréenne. Pour moi, ce n’est qu’un groupe d’adolescents qui cherche à créer le buzz.»
Malgré un discours travaillé et une activité notable sur internet, le PCJF peine à convaincre de son existence réelle, mais, ses membres auront au moins réussi à faire parler d’eux. Si ses membres semblent être de réels convaincus du marxisme-léninisme à la sauce nord-coréenne, leurs relations avec la RPDC et leurs ambitions politiques relèvent du fantasme.
Les diplomates de l’ombre
La France n’ayant pas de relations diplomatiques officielles avec la Corée du Nord, l’Association d’amitié franco-coréenne (AAFC) a décidé de prendre les choses en main et fait de la «diplomatie parallèle». En contact avec le Quai d’Orsay, elle entretient des relations de confiance avec les diplomates coréens à Paris et Pyong Yang et dispose d’une certaine influence en Corée du Nord. Elle appuie par exemple les demandes de journalistes désireux de réaliser un reportage en RPDC.
Créé en 1969, l’AAFC compte 150 membres (élus, hommes politiques, citoyens…), dont une bonne partie de militants communistes. Comme le précisent ses statuts, l’association a été créée pour encourager la réunification de la Corée, normaliser les relations diplomatiques entre Paris et Pyong Yang et informer sur la Corée du Nord.
Elle agit comme un lobby et présente son site comme un «média alternatif». «Nous voulons changer l’image de la Corée du Nord», explique Benoit Quennedey, vice-président de l’association, qui fustige les reportages de journalistes se contentant de valider leurs préjugés, sans toujours se rendre sur place.
Cet auteur du livre L’Economie de la Corée déplore que la Corée soit vue seulement avec des yeux d’occidentaux, sans prendre en compte les spécificités du pays:
«On a entendu dire que le régime affamait volontairement sa population. C’est oublier que le climat est rude et le pays ne compte que 15% de terres arables. De plus, la Corée du Nord a subi un sacré choc avec l’embargo. Mais l’économie est en train de s’ouvrir, le fait que les trois fils de Kim Jong-il ont été formés en Suisse est sûrement un signe. Le pays a connu un certains nombres de succès. Un million de Nord-Coréens sont équipés d’un téléphone portable, on assiste à l’apparition d’une classe moyenne et le réseau électrique commence à se développer.»
Il ajoute que la RPDC compte de très bons programmeurs, réputés dans le domaine des jeux pour téléphones portables. Les dessins animés Pif le Chien et Corto Maltese sont aussi réalisés à Pyong Yang.
Les membres de l’association font parfois preuve d’une certaine complaisance vis-à-vis du régime autoritaire de Pyong-Yang. Rechignant à parler de dictature, Benoit Quennedey reconnaît que la RPDC n’est pas une démocratie. L’AAFC ne parle pas de camps de travail, mais de «camps de rédemption», où le condamné est envoyé avec toute sa famille pour y travailler dur.
«Les réfugiés sont des réfugiés économiques qui fuient la famine. Des témoignages de réfugiés passés au Sud montrent qu’ils ont une bonne image de leur dirigeant. Beaucoup repasseraient même au Nord une fois confrontés à la vie dans le système capitaliste de Corée du Sud», avance Benoît Quennedey. Une déclaration qui prend le contrepied des rapports d’associations humanitaires, comme celui d’Amnesty International, qui évoquent des «violations systématiques des droits humains».
Ils évitent également de prendre position sur des sujets sensibles comme la succession dynastique ou le culte de la personnalité du Cher Dirigeant, afin de ne pas compromettre leurs relations avec les Nord-Coréens. «La critique du régime serait contre-productive», justifie Benoit Quennedey.
Un petit bout de Corée du Nord à Paris
La France est le seul pays d’Europe, avec l’Estonie, à ne pas entretenir de relations diplomatiques avec la RPDC. Pourtant, un immeuble discret du XIVe arrondissement de Paris abrite la Délégation générale de Corée du Nord.
Cet ersatz d’ambassade tient lieu de relais diplomatique, commercial et culturel de la RPDC en France. Les diplomates sont chargés de chapeauter la communauté nord-coréenne présente en France (une cinquantaine de personnes dont une dizaine d’étudiants) et d’échanger avec leurs homologues français.
Ce bâtiment aux couloirs décorés de fresques à la gloire du régime sert aussi de lieu de réception pour les cérémonies comme les fêtes nationales ou, plus récemment, pour le deuil de Kim Jong-il. «Une trentaine de personnes, aux regards tristes, visiblement coréennes, se sont réunies devant un immense tas de fleurs blanches et un portrait de feu Cher Dirigeant», raconte une personne présente dans les locaux à ce moment.
Impossible d’en savoir plus sur les activités de la Délégation. Interrogés à plusieurs reprises, les responsables coréens, peu enclins à s’exprimer dans la presse, n’ont pas souhaité s’exprimer.
Les soutiens parlementaires
Ni pour, ni contre, bien au contraire. Le Groupe d’étude et de contact sur la RPDC, composé de sénateurs et députés, est le soutien français à la Corée du Nord le plus balancé. «Nous ne sommes pas là pour juger, mais pour comprendre la situation sur place et pour la faire connaître», explique le président du groupe, le sénateur socialiste Jean-Claude Frécon. Il reconnaît sans ambages les dérives autoritaires du régime. S’il reste lucide sur la situation humanitaire et politique, il souligne toutefois les progrès conséquents réalisés entre 2002 et 2011, dates de ses deux voyages sur place:
«La ville de Pyong Yang est plus propre, la circulation de véhicules a augmenté, les transports en commun se sont développés et des trottoirs ont remplacé les bas-côtés en terre. On voit maintenant des magasins d’alimentation, ce qui n’existait pas auparavant. Le secteur agricole s’est également modernisé, ils ont adopté une vison plus productiviste. J’ai pu voir des exploitations fruitières et des usines de transformation qui n’existaient pas il y a neuf ans.»
Intarissable au sujet du développement économique en RPDC, Jean-Claude Frécon se garde bien de s’exprimer sur les tensions entre les deux pays. «Je ne me permettrai pas de critiquer la diplomatie française», justifie-t-il. Ainsi, cet homme qui milite pour une normalisation des relations France-RPDC ne reproche pas au Quai d’Orsay de ne pas avoir présenté de condoléances aux dignitaires nord-coréens.
Mais, en contrepartie, il est allé signer le livre de condoléances à la Délégation coréenne, au nom du groupe parlementaire qu’il dirige. Cette subtile manœuvre lui permet de ne se froisser ni avec Paris, ni avec Pyong Yang. Il ne voudrait pas, en effet, briser le mince espoir de rapprochement amorcé en octobre dernier, par l’ouverture d’un bureau culturel français à Pyong Yang, qu’ils ont achevé de mettre en place.
Emmanuel Daniel