Culture

La modernité à marches forcées

Temps de lecture : 2 min

L’événement culturel de ce début d’année, ce n’est pas la rentrée littéraire de janvier, mais l’explosion des ventes de liseuses électroniques.

The Books Room / Photos8.com
The Books Room / Photos8.com

En matière de progrès, les Français ont une caractéristique que l’on retrouve à toutes les époques et dans tous les domaines: ce vieux peuple conservateur rechigne longtemps à la nouveauté, traîne les pieds, prend du retard par rapport à ses voisins, et, tout d’un coup, s’y précipite avec la fébrilité des nouveaux convertis, parcourant en un temps record un chemin que d’autres ont avant eux tranquillement emprunté. Comme si, pour eux, la modernité était un repoussoir avant d’être un engouement.

On le constate une fois de plus avec le livre numérique. Alors que 12% des Américains possèdent déjà une liseuse électronique et ont téléchargé plus de 150 millions de titres l’année dernière, les Français étaient encore à la traîne: 1% seulement étaient outillés de cette tablette magique.

Mais, depuis décembre 2011, la révolution est en marche. Les ventes de liseuses ont explosé au cours des achats de Noël. Il faut dire que les fabricants ont mis le paquet: Amazon, la plus grande librairie du monde, proposait son Kindle, la Fnac son Kobo, Booken son Cybook Odyssey…, le tout à des prix fort abordables (entre 100 et 300 euros) pour des engins capables d’emmagasiner chacun des dizaines de milliers de titres. L’offensive a payé: en 2011, les Français auront ainsi acquis plus de 100.000 liseuses contre 30.000 l’année précédente, même si aucun chiffre officiel n'a été donné.

Le mouvement est irréversible et il ne cessera de prendre de l’ampleur: il y a fort à parier que dans vingt ans nous serons une majorité à lire des livres en version numérique.

Qu’est-ce que cela change, au fond? On trouvera toujours des esprits chagrins ou de doctes sociologues pour nous expliquer que la mort annoncée du papier est une catastrophe, qu’on ne lit pas de la même façon un livre numérique et un livre édité, que c’est un coup porté à la réflexion, et donc à la culture. D’autres, au contraire, pour prédire que le «ebook» verra l’apparition de livres d’un genre nouveau, mêlant l’écrit, l’image et le son, et se gargariser de cette révolution, plus profonde encore, affirment-ils, que le passage au XVe siècle de la copie manuscrite à l’ère de l’imprimerie.

L’invention de Gutenberg, et, bien plus tard, celle du livre de poche, ont évidemment joué un grand rôle dans la diffusion des œuvres. Mais ont-elles profondément modifié l’imaginaire des écrivains? Ont-elles transformé la littérature? En d’autres termes, un auteur écrit-il différemment s’il sait que son œuvre sera accessible à un plus grand nombre - ce que permet la liseuse électronique en abaissant considérablement le coût d’un livre? C’est cette question que l’on peut se poser, en partant de l’écrivain, et non du lecteur. Ce n’est pas la commodité de lecture qui fait l’œuvre. C’est une autre alchimie, qui ne doit rien à la technique, ni au commerce, ni à celui qui la reçoit. En revenir à l’œuvre, qui s’élabore toujours dans la solitude, même si elle doit être lue par des millions de personnes.

Reste une nostalgie: celle du papier, de son odeur, de son toucher, des pages cornées, salies, déchirées, bref du côté sensuel et périssable du livre. Ce contact donnait l’impression d’entretenir un lien particulier avec l’auteur et son œuvre. Le livre numérique est anonyme, et immortel. Mais quoi! Depuis la machine à écrire et le traitement de texte, les auteurs ont abandonné la plume et le stylo: il n’y a plus entre eux et les mots ce crissement rageur ou hésitant sur le papier. Ils étaient scribouilleurs, ils sont devenus tapoteurs. Aux lecteurs à présent de changer. Ce que n’auront même pas à faire les moins de trente ans, qui sont nés avec un ordinateur dans les mains…

Hervé Bentégeat

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