Monde

Chine: vive le porno amateur, Internet et la démocratie!

Temps de lecture : 4 min

Les mots «sexe » et «pornographie» sont bannis de la toile chinoise. Sans grand succès, car cela leur donne le goût de l'interdit. Entretien avec Katrien Jacobs, auteur d'un livre sur le sujet.

Destruction de CD piratés et X à Pékin, en avril 2011. REUTERS/Petar Kujundzic
Destruction de CD piratés et X à Pékin, en avril 2011. REUTERS/Petar Kujundzic

Loin des fantasmes de nombreux Occidentaux, la Chine n’est pas l’Empire du sexe. Pas de concubines aguicheuses à chaque coin de rue, ni de gogo bars comme en Thaïlande, ou de lolitas en uniformes d’écolières comme au Japon. En Chine, le sexe fait ceinture. Du moins officiellement puisqu’il ne s’affiche pas.

Sur Internet comme dans les magazines ou au cinéma, le porno est interdit en Chine. Les principaux sites comme sextube.com ou adultfriendfinder.com sont bloqués. Le mot «sexe» est aussi tabou sur la toile chinoise que dalaï-lama ou Falungong.

Résultat: cliquer sur un site pornographique a le goût de l’interdit. Excitant pour de nombreux jeunes chinois. «En voulant interdire le sexe sur internet, le gouvernement chinois n’a fait que le rendre plus attractif, plus excitant notamment pour les jeunes Chinois. Ils ont le sentiment de violer la loi en regardant ces sites et plus encore en postant sur internet leurs propres photos et vidéos. C’est intéressant parce que les jeunes Chinois ne parlent jamais de sexe en public et on l’habitude généralement de cacher leurs émotions », explique Katrien Jacobs.

«Signe de changement évident»

Dans son très sérieux ouvrage People's pornography, ce professeur qui enseigne à l’Université de Hong Kong et tient un blog réputé met en lumière la prolifération du porno amateur sur Internet:

«J’ai constaté que de plus en plus de jeunes Chinois réalisent leurs propres vidéos pornographiques dans des endroits secrets ou isolés. Ce type de porno est vraiment “made in China”. Et on le télécharge avec un goût évident pour le côté amateur de ces productions. Ce mouvement est très éparpillé, et on peut le qualifier de juvénile. Mais je pense que c'est un signe de changement évident.»

Il existe, bien sûr, une industrie illégale du porno en Chine. Des producteurs vendent leurs vidéos ou payent des jeunes filles pour s’exhiber nues devant des webcams. Il y a aussi des sites de prostitution, souvent hébergés sur des serveurs étrangers pour éviter la police, et qui changent régulièrement de noms de domaines pour éviter d’être repérés. Mais la plupart des images pornos passent par les réseaux sociaux et le peer-to-peer, explique Katrien Jacobs:

«Les jeunes gens ici sont assez tentés de le faire car pour eux c’est une façon de rester dans le coup. D’être branchés, de suivre les tendances sexuelles du moment. C’est comme cela qu’ils se renseignent et ils ont le sentiment d’être des jeunes comme les autres, comme des Occidentaux. Avec leurs vices et leur séduction. Internet est le seul moyen pour eux de le faire. Et puis, surtout, ils peuvent se cacher facilement derrière leur ordinateur et leurs parents n’en savent rien ».

Opération «poison jaune»

Mais attention, le gouvernement, lui, reste inflexible et combat le porno avec la même force que la dissidence politique. Il a ainsi lancé cette année l’opération «poison jaune» qui a déjà conduit à la fermeture de 60.000 sites pornographiques en Chine et à l’arrestation de plus de 2.000 personnes. Et les autorités chinoises ne plaisantent pas: mettre ses vidéos coquines sur le net peut vous coûter jusqu’à dix ans de prison!

Cette prolifération du sexe amateur —comme dans les pays occidentaux, même les sites classiques mettent en avant le côté «girl next door» et «amateur»— en Chine est tout à fait révélatrice d’un changement de mentalité, selon Katrien Jacobs:

«Lorsque les jeunes réalisent des vidéos, le fait d'avoir des rapports sexuels quelque part, de se filmer, de le télécharger et de le partager alors que c'est totalement interdit en Chine leur donne un sentiment de grande puissance. Il ne faudrait pas le considérer comme une forme de libération politique, puisqu'après tout ces gens ne font que s'amuser. Mais ils enfreignent la loi en faisant ce qu'ils veulent sexuellement et en le partageant sur Internet. Leur excitation se nourrit de cette rébellion.»

Résultat: malgré ou en raison de cette censure, le porno prolifère sur le net chinois, malgré la surveillance des censeurs. C’est comme un jeu. Il faut faire attention, éviter les sujets trop politiques, utiliser toute une batterie de VPN et des moyens illégaux ici, mais sinon tout est possible. «Les Chinois finissent par développer une double facette. D’un côté on ne parle pas de sexe, on se cache. On oublie sa libido. Mais de l’autre on exprime ses émotions et son plaisir une fois à l’abri derrière son ordinateur.»

Fin de la rhétorique de la culpabilité

Comme dans les pays occidentaux il y a quarante ans, une jeune génération, très différente de la précédente, se découvre une attitude beaucoup plus positive et curieuse au sujet du sexe. «Ils sont toujours assez timides et réservés, estime Jacobs, mais ils ont laissé tomber la rhétorique de la culpabilité et de l’abstinence de leurs parents. Bien sur c’est un phénomène que l’on retrouve partout. Mais en Chine, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir en terme de droits sexuels».

Ce goût du risque, l'artiste chinois Ai Wei Wei l'a incarné à merveille dans son cliché où il pose en tenue d'Adam entouré de femmes nues:
weiwei
Une photo publiée en novembre dernier qui lui a valu une accusation de pornographie, la police chinoise n'appréciant guère ce genre d'exhibition. Résultat, des dizaines de Chinois lui ont emboîté le pas, posant à leur tour nus dans toutes les poses imaginables pour une série intitulée La nudité n'est pas la pornographie. Exhibition, provocation et transgression... En Chine le sexe et la politique sont intimement liés.

Sébastien Le Belzic

Photo d'Ai Wei Wei: REUTERS/Zhao Zhao.

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