Quand le 22 novembre dernier, tout le gratin de l’institution militaire s’est réuni à l’Ecole militaire de Paris pour célébrer 2011, «année d’engagements opérationnels», les représentants du gouvernement présents ont décrit une armée française à la destinée presque humanitaire.
Plus que pour défendre les intérêts tricolores dans le monde, les déploiements militaires auraient eu pour but de «mettre en œuvre le droit international», pour reprendre les mots de Gérard Longuet, ministre de la Défense. Jean-David Levitte, conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, de témoigner: il était «impensable pour le Président d’être le témoin de l’impuissance internationale».
Et des déploiements, il y en a eu, et il y en a encore: Libye, Côte d'Ivoire, Afghanistan pour les plus visibles. Et il y a aussi des opérations plus discrètes : au Sahel, des soldats français participent à la formation des troupes locales dans leur lutte contre le terrorisme; en Somalie, outre le déploiement maritime, initié par la France et l’Union européenne, un soutien logistique aérien a été apporté au Kenya au début de sa campagne http://french.peopledaily.com.cn/96852/7626909.html
En Libye : «Passer à l’action malgré la charte des Nations Unies»
2012, comme 2011, va voir les efforts militaires et diplomatiques français se concentrer sur cette multitude de dossiers sensibles, sans compter ceux des crises économique et climatique qui mobilisent fortement le Quai d’Orsay dans des négociations internationales.
Alors que, crise économique historique oblige, Washington n’a plus vraiment les moyens de faire régner l’ordre, la place de gendarme du monde est à prendre. Sans doute pas le rôle de la France, mais Paris a pu montrer au monde sa capacité à rester en première ligne. Mais la France n’a pas les moyens de mener seule de telles campagnes. Pour y parvenir, elle doit mobiliser la communauté internationale, quitte à lui forcer la main. «Nous devons savoir mobiliser», résume le monsieur diplomatie de l’Elysée.
Exemple, la Libye. Si Mouammar Kadhafi gênait au sein de la Ligue arabe, il devenait plus encombrant que jamais pour les Occidentaux. Néanmoins, Paris a dû chercher des moyens pour «passer à l’action malgré la Charte des Nations unies», se souvient Jean-David Levitte. Il fallait réunir trois prérogatives afin d’intervenir: que des massacres soient avérés, que la population et les instances régionales appellent à l’aide et que les Nations unies prennent une résolution. Au prétexte de protéger les civils, comme le lui accorde finalement le Conseil de sécurité avec la résolution 1973, la France intervient directement dans ce conflit et apporte un important appui militaire aux rebelles libyens.
Les limites de l’armée française
Au début de son mandat, Nicolas Sarkozy peinait à trouver son style en matière de politique étrangère. Entre un Claude Guéant omniprésent sur les dossiers clefs et un Bernard Kouchner effacé aux Affaires étrangères, Paris ne réussit pas à s’imposer. Denis Bauchard, ancien diplomate et consultant à l’IFRI, se souvient d’une politique «confuse» et «d’initiatives intempestives» avec comme «point culminant les couacs sur la Tunisie en janvier 2011».
Avec l’arrivée d’Alain Juppé au Quai d’Orsay, «on retrouve la politique étrangère que la France a appliqué au fil des présidences successives». Le réseau diplomatique, l’un des plus vastes au monde, cherche alors à rattraper son retard. A la traîne sur tous les dossiers maghrébins, c’est avec la Libye que Paris parvient à retrouver sa stature. De nouveau, «la communauté internationale attend la voix de la France», se félicite le porte-parole du Quai d'Orsay, Bernard Valero. En première ligne, longtemps avant que des soldats tricolores ne se déploient, c’est en effet la diplomatie qui effectue le gros du travail.
L’armée française, elle, est limitée par des effectifs en constante réduction et fortement monopolisée par les opérations libyennes et afghanes. Entre ceux qui sont sur place et ceux qui se préparent à y aller, en Afghanistan ce sont en permanence pas moins de 6.000 à 7.000 hommes qui sont mobilisés. La marine nationale et l’armée de l’air ont elles fourni d’importants efforts en Libye. Après presque sept mois sur place, ils doivent à présent reconditionner personnels et matériels.
Désengagement militaire
«Une opération de sept mois en Libye, c’est autant de temps pour rattraper la formation et tout ce qui va avec», explique le général Hervé Charpentier, commandant des forces terrestres. Il décrit un «cycle en cinq temps» qui doit permettre de déployer des troupes «tout en préservant la vie personnelle». Il faut ensuite laisser les effectifs se régénérer, respirer et s’entraîner. Il faut également du temps pour permettre au matériel d’être remis en conditions.
«D’ici la fin 2011, on aura reconstitué à peu près nos stocks de munitions, nos capacités aériennes et maritimes», assure le général Didier Castres. Ce haut responsable de l’état-major des armées promet que «dès l’année prochaine, nous serons de nouveau capables de répondre à une série de crises similaires».
Philippe Migault, chercheur à l’Iris spécialisé en politique de défense, remarque de son côté que l’heure est au désengagement. Nicolas Sarkozy a initié le retrait des troupes en Afghanistan. De même, les contingents déployés en Côte d’Ivoire ou au Kosovo sont régulièrement diminués. Des troupes fraîches disponibles pour soutenir la grandeur de la France et les libertés des peuples? Pas tout à fait:
«Nous allons récupérer des effectifs oui, mais ça ne sera pas plus facile pour autant. Dans l’ensemble le nombre d’hommes baisse: nous allons passer sous la barre des 100.000 soldats d’ici peu. Actuellement, l’instrument militaire français tourne à 110%. Les hommes continueront. Mais les matériels?»
Et pour quoi faire? Les deux dossiers diplomatiques du moment, l’Iran et la Syrie, ne sont pas la Libye. Face à Damas, Paris s’est allié à Ankara pour mener l’offensive aux Nations unies. Huit mois de dur labeur. Une bonne dizaine de régimes de sanctions contre Bachar el-Assad. Des réunions quotidiennes impliquant les équipes en Turquie, en Russie, en Chine, à New York, dans l’ensemble du monde arabe et à Paris. Tout ce petit monde s’échine à convaincre le Conseil de sécurité de voter une résolution contre Damas. La France, faute d’une capacité militaire équivalente à celle des Etats-Unis, doit convaincre et mobiliser ses alliés alors que Pékin et Moscou sont décidés à ce que le Conseil de sécurité ne soutienne pas d’action en Syrie. Bernard Valero regrette cette lenteur d’action:
«Il y a 20 ans, c’était facile, la diplomatie. Les méchants à l’Est, les pauvres au Sud, les riches au Nord. Maintenant, il faut prendre en compte les Etats, les grandes entreprises, les ONG, les réseaux terroristes ou criminels.»
Sur le dossier syrien, «la France a toujours été à l’initiative, tout le réseau est sous-tension et cherche à faire avancer les choses». «Nous nous battons contre le temps», analyse-t-il.
Ni la France, ni l’Europe n’ont plus la main sur le dossier iranien
Cette lenteur dans les dossiers est caractéristique d’une région agitée et complexe dans laquelle les intérêts se mélangent. L’Iran est un autre exemple de l’incapacité internationale à maîtriser un risque pourtant pris au sérieux par de nombreux acteurs. Alors que les initiatives se sont multipliées, tantôt de la part des Etats-Unis, tantôt de la part de l’Europe, Téhéran a encore montré fin novembre que l’Iran pouvait rester menaçant. Après l’invasion de l’ambassade britannique par des manifestants, Paris a rappelé son ambassadeur. Bernard Hourcade, spécialiste de l’Iran au CNRS, n’y voit qu’une «précaution», une «volonté de marquer le coup sans aller trop loin». Le dernier rapport de l’AIEA, seul document d’une organisation internationale à ce jour à déclarer que Téhéran a eu un projet nucléaire militaire, ne dispose que de preuves datant au mieux de 2003, constate encore le chercheur. Après, le régime est entré dans une phase de négociations complexes, principalement avec les Etats-Unis. Mais pour le chercheur, la France a déjà perdu la main sur ce dossier.
«La France, sous Jacques Chirac et Dominique de Villepin, avait une politique active vis-à-vis de l’Iran. Elle cherchait une solution par le haut. Nicolas Sarkozy, lui, a opté pour une politique beaucoup plus “bushiste”… mais au moment où Barack Obama est arrivé au pouvoir. Nous n’avons plus de politique autonome en Iran depuis quatre ans. Ni la France, ni l’Europe, n’ont plus la main sur ce dossier.»
Philippe Droz-Vincent, spécialiste du Monde arabe à Science Po, admet lui aussi que la communauté internationale restera «plus dans une logique de négociation plutôt que de conflit». Si les hypothèses sur une guerre potentielle contre l’Iran, notamment menée par Israël, sont régulièrement évoquées, lui n’y voit qu’un «exercice rhétorique» dont la réalité reste finalement assez peu probable. Au sens conventionnel du mot guerre en tous les cas.
La France ne devrait-elle pas suivre l'exemple américain? A l’approche des élections, Washington s’est fait plus discret sur la scène internationale. Au milieu de la crise économique générale, Barack Obama a tout intérêt à ne pas s’engager dans de nouveaux conflits. Pour Philippe Migault, il paraît «évident que nous n’allons pas prendre de décision importante en matière de politique étrangère ou de défense à six mois de la présidentielle».
Denis Bauchard prévoit lui aussi un ralentissement dans la visibilité française sur la scène internationale. «La politique de la France, après avoir été en première ligne, se fait plus prudente», constate-t-il. «Il est certain qu’il y aura des turbulences d’ici les élections et la diplomatie française restera certainement active mais sans doute avec prudence sans s’engager dans des interventions hasardeuses en Syrie ou en Iran». Comme tous les autres spécialistes de la diplomatie, il estime que les élections présidentielles et législatives ne se joueront pourtant pas sur les questions de politique étrangère. Surtout quand l’hexagone traverse une véritable tourmente économique et sociale.
Romain Mielcarek