Dans la ville de demain, les puces seront reines. Du moins si les géants des TIC parviennent à leurs fins. Car les IBM et autres Cisco –géant des routeurs informatiques– ont bien l'intention de truffer nos cités de millions de microprocesseurs communicants.
Capables, pèle-mêle, de réguler les transports en commun et les places de parkings; de détecter les fuites d'eau et d'économiser l'énergie; de contrôler la qualité de l'air, et les mauvaises odeurs; de limiter le passage des bennes à ordures au strict nécessaire ou d'anticiper les embouteillages; de prévoir l'ampleur des catastrophes naturelles et de gérer plus efficacement les situations d' urgence.
Des villes aussi smart que nos smartphones
En vérité, rien n'est plus simple: à chaque problème, sa «puce» communicante. Equipés d'un capteur, d'un microprocesseur et d'un modem sans fil, les compteurs d'eau et d'électricité mesurent en direct les consommations. Ainsi alerté, l'abonné –voire, s'il en a l'autorisation, le gestionnaire du réseau– peut donc en «effacer» en direct une partie –en baissant d'autorité la température d'une pièce par exemple, ou en interrompant l'alimentation d'un congélateur pendant un quart d'heure– lorsque la production ne suffit plus.
D'autres «puces intelligentes», placées dans les canalisations souterraines, vérifient qu'aucune fuite d'eau n'est en cours. «A Malte, où l'eau potable est fabriquée par dessalinisation –une technologie qui consomme beaucoup d'énergie– ces technologies ont permis d'éviter la construction d'une nouvelle usine», explique Sylvie Spalmacin-Roma, vice-présidente du programme «smarter city» chez IBM France lors du forum Innoveco du 8 décembre.
Le potentiel des TIC ne s'arrêtent bien entendu pas là: grâce à elles, aiment à raconter ses promoteurs, Stockholm s'est équipé d'un péage urbain couplé avec un système d'information en temps réel sur les transports qui a fait baisser la pollution atmosphérique de 12%, le trafic urbain de 20%, et le temps passé dans les embouteillages de 50%.
Rio arrive désormais à mieux anticiper –et donc prévenir– les dégâts humains et matériels provoqués par les pluies torrentielles qui régulièrement s'abattent sur la ville. Grâce aux capteurs «intelligents», le SIAAP (le service public d'assainissement francilien) contrôle même les mauvaises odeurs.
Vive le désordre
C'est sûr, avec ses millions de puces, la ville de demain sera plus intelligente, et enfin aussi «smart» que nos «smartphones». A condition toutefois d'être bien ordonnée! Et idéalement, coordonnée! Les partisans de ces «smarter cities» se font du reste fort de le souligner: «Les villes intelligentes ne sont pas seulement des villes qui ont des informations sur la qualité de l'air ou le système d'eau, mais celles qui ont la capacité de traiter ces informations pour aller vers l'anticipation et la participation», expliquait Sylvie Spalmacin-Roma.
Il y a fort à parier cependant que la réalité ne ressemblera guère au joli tableau qu'aiment à dresser les géants de l'informatique mondial.
Souvenez-vous de la carte à puce. Elle aussi devait tout faire: avec un seul document numérique, nous pourrions gérer notre argent, mais aussi nos achats, nos transports, notre santé, nos points de fidélité, voire notre identité. Quarante ans environ après sa création, la carte à puce a effectivement envahi notre portefeuille. Mais dans un beau désordre qui menace parfois de le faire déborder! Car il s'est avéré impossible, bien sûr, de fédérer tous les acteurs potentiellement intéressés par la technologie.
Chacun est allé à son rythme, avec ses propres services, ses propres partenaires, et le consommateur, du reste, semble se satisfaire de cette multiplicité de solutions: s'il s'irrite régulièrement à chercher dans son épais portefeuille la carte à puce qu'il lui faut, cette multiplicité lui laisse en revanche la liberté de mélanger ses points Fnac et sa carte vitale, ses miles Air France et sa carte bancaire. Ou pas.
La bataille des algorithmes
Car là réside bien le nerf de la guerre des puces: les citoyens risquent fort de devenir rapidement allergiques à ces petites bestioles s'ils ont l'impression que celles-ci servent surtout... à enrichir les base de données de leurs fournisseurs de service ou de solution technique. Voire, craignent les plus méfiants, à les fliquer. D'où la bataille de «l'open data», que livrent actuellement de nombreux mouvements citoyens et des férus d'informatique de part le monde: il s'agit d'obliger entreprises et pouvoirs publics à mettre sur la place publique toutes les données qu'ils récoltent.
Usman Haque, fondateur du britannique Pachube, est l'un d'eux. Son objectif? Mettre en relation des «données» d'un côté, collectées partout dans le monde, qu'il s'agisse des capteurs d'humidité dans la maison d'un particulier à Londres ou des radiations enregistrées près de Fukushima, et, de l'autre, des créateurs de services qui permettent d'utiliser et de rendre compréhensibles ces données. «L'important est que chacun puisse lui-même choisir s'il souhaite ou non rendre publiques ses données, et que d'autres puissent lui proposer un service intelligent pour les utiliser», explique Usman Haque.
Une vision où technophilie et respect des libertés se conjuguent, et que les initiatives comme celle, toute récente, du lancement du site data.gouv.fr commence à populariser. Nul doute cependant que la bataille entre partisans et opposants aux «puces» ouvertes sera longue.
Catherine Bernard