La sortie de Twilight 4 a ravivé les sarcasmes des haters et les critiques des féministes contre la saga vampirique, dans laquelle l’abstinence avant le mariage est chaudement recommandée et l’avortement prohibé. Certains le considèrent comme un film pro-life. Le mot est lâché. Qu’est-ce que ça veut dire?
Au sens large, le mouvement pro-life recouvre plusieurs positions: anti-peine de mort, anti-euthanasie, anti-guerre et surtout anti-avortement. Tour à tour considérés comme progressistes lorsqu’ils s’opposent à la peine de mort ou à la guerre et réactionnaires lorsqu’ils s’insurgent contre l’avortement, les militants pro-life considèrent l’avortement comme un meurtre, et pensent que cette pratique doit être condamnée par la loi.
Certains films relaient leur pensée, de manière plus ou moins lisible. Est-ce à dire que les films pro-life sont tous réactionnaires ou principalement destinés à un public de mormons intégristes? Pas si sûr. Faire un bon film pro-life, c’est même possible. Petite revue de ce sous-genre en plein essor à travers ses multiples déclinaisons.
Le pro-life vampirique
C’est le premier exemple qui vient à l’esprit, car le plus mainstream. Star des cours de collège et du box-office mondial, Twilight revisite le mythe des vampires sous la bannière du teen-movie, pour le transformer en une sorte de Roméo et Juliette au fond très puritain.
Que raconte en substance la saga cinématographique adaptée des romans de la mormone Stephanie Meyer? Bella, une jeune fille mal dans sa peau aux parents divorcés tombe amoureuse d’Edward, un beau vampire végétarien à la famille soudée. Elle veut coucher avec lui, mais il se refuse à elle par peur de ses propres pulsions. Les trois premiers épisodes font de cette rétention sexuelle poussée à son paroxysme un argument narratif redoutable, exerçant, via la dilatation inouïe du marivaudage platonique et le report infini de la bagatelle, une véritable fascination.
Ça aurait pu continuer encore longtemps, mais dans l’épisode 4, tout s’accélère: Bella et Edward finissent par se marier, et peuvent dès lors, aux yeux de l’Amérique profonde et de ses valeurs conservatrices, coucher ensemble. Négligeant les moyens de contraception modernes avec la complicité naïve d’Edward, Bella tombe immédiatement enceinte. Elle veut garder l’enfant, pas lui. Twilight affiche alors sa couleur pro-life: contre l’avis de tous, et en particulier celui de ses deux prétendants (Edward le vampire et Jacob le loup-garou) Bella décide de ne pas avorter, à ses risques et périls.
Le choix qu’elle fait paraît à la fois irrationnel et dangereux (le bébé vampire risque de ronger son fragile corps humain avec ses petites quenottes pointues), et en même temps, il est présenté comme relevant avant tout de sa liberté de femme. De son «girl power». C’est toute l’ambiguïté de la saga, qui fait passer l’avortement pour un renoncement meurtrier («pas un fœtus, un bébé», dira la sœur de Bella), et le refus d’avorter pour un geste de courage et d’affirmation de soi au parfum féministe.
On peut voir ici un scandaleux retournement des acquis du féminisme sous les oripeaux glamour et trompeurs du soap opera. Néanmoins, Twilight 4 illustre ce discours pro-life par une imagerie qui en fait presque oublier le conservatisme latent: le visage de l’actrice Kristen Stewart est considérablement enlaidi, grimé en blanc tel un squelette.
La grossesse est montrée comme une épreuve horrifique, une difformité morbide, s’achevant dans un délire plus kitsch que gore, mais néanmoins assez dérangeant pour ne pas laisser aux jeunes spectatrices une image idyllique de la maternité et de l’enfantement. En cela, on peut dire que la saga Twilight fait de son fond ultra-puritain un argument fictionnel plus ambivalent que prosélyte, et donc passionnant.
D’abord parce qu’en reportant sans cesse l’action (si le sexe et l’avortement étaient d’emblée acceptés, Twilight n’existerait pas), Twilight intensifie du même coup chaque étape de l’histoire d’amour de manière spectaculaire, créant des poches de pur sentimentalisme, si étirées, si premier degré, qu’elles semblent réinventer le mélodrame de fantasy.
D’autre part, parce que le film, en prenant acte de l’esprit de son temps, fait du climat réactionnaire ambiant et du retour en force du puritanisme (essor du Tea Party), non pas un instrument de prosélytisme ou une critique, mais un fertile terreau à personnages et à fiction.
La comédie pro-life
La comédie américaine grand public compte également quelques spécimens qu’on peut considérer comme pro-life. Prenons les récents Juno et En cloque, mode d’emploi par exemple, tous deux sortis en 2007. Les deux films racontent l’histoire d’une grossesse accidentelle, se soldant par un refus d’avorter.
Et si, sous leurs dehors cool et sympathiques, ces films à succès étaient d’insidieux tracts anti-avortement? La presse s’était posée la question à l’époque, et notamment le Guardian, reprochant aux deux films de «présenter l’avortement comme quelque chose d’irraisonné, ou même d’impensable».
Ce procès parait un peu injuste, ou du moins, excessif. Juno est certes un film roublard. Il est d’ailleurs réalisé par Jason Reitman, qui a fait de la fausse subversion sa marque de fabrique avec des films tels que Thank You for Smoking et In The Air. Car derrière le portrait de l’adolescente rebelle et intelligente (elle aime les films d’horreurs et le punk) sur fond de pop délicieusement «indie», Juno retombe sur ses pattes conformistes à la fin, lorsque l’héroïne, jusqu’alors crédible dans sa double partition d’independent woman/mère précoce, rentre dans le rang en s’installant avec le père de l’enfant, en route pour le mariage, la maison et le chien.
Mais le film ne peut être considéré comme véritablement engagé pro-life, car il prend soin de présenter les arguments des deux bords, s’affirmant plutôt en cela comme un film pro-choice. L’avortement reste toujours une possibilité.
En cloque, mode d’emploi ne s’embarrasse lui pas d’ambivalence ou d’atermoiements bien longtemps: la question de l’avortement est rapidement évacuée, lorsque l’héroïne, jouée par Katherine Heigl, choisit de garder l’enfant, allant ainsi à l’encontre des conseils de sa sœur, mariée et mère de famille.
Le fait que le seul personnage en faveur de l’avortement dans le film soit une mère de famille jouée par la femme de Judd Apatow peut laisser présager de l’ouverture d’esprit du réalisateur à ce sujet. Mais on pourra toujours arguer que cette grande sœur est l’un des personnages les plus négatifs du film (son mariage tourne de l’œil en partie parce qu’elle étouffe son mari), ce qui lui confisque de fait un capital sympathie et donc toute légitimité prescriptive en terme de couple et de famille auprès du spectateur.
Mais ce serait un peu tiré par les cheveux, et surtout, hors-sujet. Car contrairement à l’hypocrite Juno, qui fait faussement rimer grossesse avec subversion, En Cloque, Mode D’Emploi s’intéresse moins à la maternité qu’au devenir adulte d’un éternel ado. Autrement dit, on a encore droit à l’histoire de la belle et du geek, mais du point de vue du geek cette fois.
Pour les besoins de la comédie, qui n’aime rien moins que la réunion des contraires, Apatow intensifie la situation: quoi de plus radical en effet pour un geek immature que l’arrivée d’un enfant? Sans grossesse, la love-story improbable entre Seth Rogen et cette fille trop belle pour lui n’aurait sans doute pas eu lieu.
Le réalisateur s’en sert comme d’un levier fictionnel gros comme une maison pour obliger son personnage à s’adapter, à s’extraire de son groupe de potes, à séduire, à se remettre en cause, à évoluer —là où la maternité de Juno ne changeait presque rien, si ce n’est la taille de son ventre, l’adolescente étant déjà très mature auparavant.
Le film d’auteur français pro-life
Mais Hollywood n’a pas le monopole du discours pro-life. Un étonnant film français vient en effet bousculer nos préjugés sur la question. Sorti mi-décembre, 17 filles, le premier long-métrage de Delphine et Muriel Coulin, raconte comment un groupe de lycéennes décide de tomber enceintes en même temps.
Le film, sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes en 2011, n’a pourtant rien d’un film pétri de puritanisme façon Twilight. Mais comme la saga vampirique, ou Juno, 17 filles retourne l’idéal féministe post-Mai 68 pour le reconfigurer dans une situation limite.
Adapté d’un fait divers survenu à Gloucester, Massachusetts, où 18 élèves étaient tombées enceintes simultanément en 2008, le film transpose l’action à Lorient, ancienne ville ouvrière gangrenée par le chômage. L’absence de perspective est le moteur même de ces lycéennes, qui, devant leur impasse professionnelle et existentielle, décident de s’inventer une utopie: celle d’une communauté de mères, vivant ensemble, envers et contre tous. L’idée paraît au mieux audacieuse, au pire, dangereuse ou absurde.
Dans le film, elle dérange les professeurs, les parents, les petits copains des 17 adolescentes, qui se demandent bien pourquoi ces filles-mères se privent ainsi, si tôt, d’un quelconque avenir professionnel. On comprend aussi que ce mode d’action puisse faire ricaner ou hérisser le poil des féministes qui se sont battues pendant des années pour le droit de la femme à la contraception et à l’avortement.
Car c’est là un parfait contre-pied: la liberté n’est plus individuelle mais passe d’abord par la communauté, la ré-appropriation du corps féminin est moins vecteur ici de plaisir sexuel que de prise de contrôle, d’indépendance. Le renouveau passe par l’enfantement. A la fois pro-life et révolutionnaire, féministe à sa manière et un peu hippie dans l’esprit aussi, 17 Filles pose plus de questions qu’il n’assène de message.
Le pro-life chrétien
C’est le plus caricatural, le plus dogmatique et aussi le moins intéressant des sous-genres dits pro-life. Cinéphiles anti-cléricaux, s’abstenir: avec le pro-life chrétien, on est dans le pro-life movie assumé, considéré comme un genre en soi, au même titre que le polar ou le porno.
C’est avant tout une économie de niche, visant un public précis. Un site comme Ma boutique chrétienne propose ainsi «d’offrir à tous les croyants le plus large éventail possible de ressources chrétiennes (audio, textes et vidéos) et leur donner ainsi les moyens de vivre chaque jour dans la Victoire de la Résurrection et d’être équipés pour changer leur monde».
Rien de moins. Mais si l’on trouve dans ses rayons électroniques des films jugés «chrétiens» tels que le biopic Luther – La vision d’un homme a changé le monde, les péplums bibliques Abraham le Prophète ou Quo Vadis, ou encore The Tree of Life, le dernier Terrence Malick, il ne dispose pas de sous-section pro-life. Le site américain Christian cinema propose, en revanche, des DVD spécialisés dans le pro-life.
Des films comme Tough Choice y sont vendus en ligne, avec ce texte de présentation censé aiguiser l’appétit du cinéphile anti-avortement : «Tough Choice [Choix difficile, NDLR] est l’histoire de quatre amis lycéens qui, alors qu’ils sont confrontés à des décisions cruciales de leur jeunesse, font des choix différents qui séparent profondément leurs destins. En traitant de sujets tels que l’abstinence, l’avortement, et la foi, ce bouleversant drame, illuminé par la grâce de Dieu, éclaire d’une lumière rédemptrice le chemin de ces jeunes amis».
Ce film est vendu au sein d’un coffret de 4 DVD «traitant du problème de l’avortement d’un point de vue chrétien.» Sur le même site, on trouve une section «documentaires pro-life», aux titres évocateurs: Unborn in the USA et It was wrong.
Le pro-life gore
C’est la méthode bas-du-front. Le pro-life gore choque pour convertir les esprits, un peu comme certaines spots militants pro-life: selon une rhétorique alarmiste bien connue, la star Latino Eduardo Verastegui récite par exemple les chiffres de l’avortement aux Etats-Unis et exhorte les gens à cesser ce «massacre» sur fond d’images choquantes de fœtus sanguinolants. C’est gore et interdit au moins de 18 ans.
Des films comme The Life Zone utilisent les mêmes procédés. Alors qu’elles s’apprêtaient à avorter, trois femmes sont kidnappées par un homme qui veut les faire accoucher. C’est le scénario improbable du premier film gore anti-IVG. Sur le modèle (avoué) de la saga horrifique Saw, The Life Zone orchestre un suspense crapoteux dans lequel les trois futures mères sont séquestrées et mises à l’épreuve par un mystérieux geôlier.
Elles reçoivent notamment un enseignement sur les dangers de l’avortement, magazines et vidéos à l’appui, chargé de les faire changer d’avis, et potentiellement, de convaincre le spectateur que l’IVG, c’est très très mal. Le producteur et scénariste de ce film, Kenneth Del Vecchio, est un ancien juge bien connu pour ses idées ultra-conservatrices. Candidat républicain aux sénatoriales du New Jersey en 2011, il a fait de la controverse autour de The Life Zone une tribune à peu de frais pour sa campagne.
Interrogé sur le message du film (présenté en juin au Festival d’Hoboken qu’il dirige!), Del Vecchio s’est défendu de tout prosélytisme pro-life, assurant de son impartialité au site NewJersey.com:
«Le public ne saura pas déterminer la position du réalisateur, il donne la parole aux deux parties.»
On peut en douter, venant d’un homme qui inscrit sur son site de campagne, non loin d’un lien vers la bande-annonce de The Life Zone:
«Le plus grand mal auquel on fait face aujourd’hui, dans le monde entier, est l’avortement: meurtre de masse quotidien.»
A fin de The Life Zone, alors qu’un twist scénaristique nous apprend que cette geôle glauque était en fait le Purgatoire, deux héroïnes seulement se laissent convaincre d’enfanter. Elles vont au Paradis, tandis que l’autre, considérée comme une meurtrière, est recalée en enfer.
Difficile de faire plus clair. Rappelons que Kenneth Del Vecchio s’était déjà illustré dans le film propagandiste en 2009 avec O.B.A.M’s Nude, un tract anti-Obama dans lequel le personnage principal signait un accord avec le diable pour devenir président des Etats-Unis.
Eric Vernay