Économie / Politique

AAA, la dégradation qui vient

Temps de lecture : 5 min

La perte annoncée par la France de son AAA n’est plus une affaire d’Etat. Nicolas Sarkozy et ses ministres en réduisent la portée. Ou quand le thermomètre redevient accessoire...

A Quiberon, le 16 décembre 2011.REUTERS/Stephane Mahe
A Quiberon, le 16 décembre 2011.REUTERS/Stephane Mahe

Changement de ton au gouvernement, après la volte-face de Nicolas Sarkozy sur la dégradation de la France par les agences de notation. On avait compris que le maintien de la note maximale du AAA constituait pour le président de la République un objectif majeur, au moins jusqu’à l’élection présidentielle, afin de pouvoir se présenter devant les Français fort d’un bilan économique qui aurait été jugé crédible par ces mêmes agences.

Pas sûr que les Français auraient apprécié que des agences privées soient prises comme juges arbitres des efforts demandés dans le cadre d’une politique d’austérité. Toutefois, Nicolas Sarkozy, ainsi légitimé dans sa politique, aurait pu marquer son action du seul sceau de l’efficacité et du courage politique à l’approche d’un grand rendez-vous électoral.

Quand le malade oublie le thermomètre…

Mais coup de tonnerre: le triple A français ne devrait pas tenir jusque là. Il faut donc banaliser l’information à venir, désamorcer le pétard qui sera lancé sur les marchés financiers pour que l’onde de choc épargne l’image du futur candidat. Le nouvel axe de communication se dessine dans les propos de Nicolas Sarkozy:

«Ce qui compte avant tout, c'est la crédibilité de notre politique économique et notre stratégie déterminée de réduction de nos dépenses».

Fini, le triple A; seule compte la conviction d’avoir raison.

Alors que toute la classe politique avait les yeux rivés sur le thermomètre, il devient soudain accessoire. Il faut, pour le gouvernement, préparer l’opinion. Et signifier que la France n’est touchée que comme élément de la zone euro, pour ne pas braquer le projecteur sur sa propre politique. En attendant, l’abaissement de la note de la dette souveraine de la France est pour bientôt, si on en juge par l’empressement des membres du gouvernement à en banaliser l’importance.

Ainsi, derrière Nicolas Sarkozy qui ne juge plus «insurmontable» la perte du triple A, le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé considère maintenant que cette situation «ne serait pas un cataclysme». Et François Baroin, ministre de l’Economie qui appelait début décembre à «l’unité nationale» pour faire front contre une dégradation, met maintenant l’accent sur la nécessaire indépendance à l’égard des agences et se focalise sur la qualité de la signature de la France. Après tout, toute décision des agences de notation n’est qu’un «avis technique», selon le terme du Premier ministre François Fillon.

La mécanique des taux d’intérêt sur la dette souveraine

On peut regretter l’influence des marchés et des agences économiques dans les décisions de politique économique, aussi bien dans la zone euro qu’aux Etats-Unis où la perte du triple A en août dernier a sanctionné l’apparente paralysie de Washington à procéder à d’importantes réformes. On ne saurait pour autant balayer d’un revers de main les effets d’une dégradation.

Même si un recul d’un ou deux crans ne signifie absolument pas que la France ne serait plus solvable, elle perdrait malgré tout de son crédit auprès des créanciers internationaux. Il s’ensuivrait une hausse des taux d’intérêt, qui, dans les faits, est déjà pratiquée.

Ainsi, alors que l’Allemagne peut emprunter à 2% sur les marchés, la France doit actuellement consentir des taux de plus de 3,2% pour des emprunts à 10 ans... alors que les deux pays partagent la même monnaie. Au lendemain d’une dégradation, les taux devraient se tendre un peu plus. La question étant: jusqu’où?

On n’envisage pas qu’ils atteignent les niveaux que connaît aujourd’hui l’Italie, de l’ordre de 6,7%. Mais tout relèvement a un coût exorbitant puisque le différentiel se répercute sur les intérêts de cet emprunt pendant toute la durée de son remboursement.

Un point de hausse, 10 milliards d’euros sur cinq ans

Par exemple, en 2011, le besoin de financement de l’Etat établi par l’Agence France Trésor aura été de 187 milliards d’euros. Et la dette en cette fin d’année atteint 1.760 milliards d’euros. Le service de la dette, c'est-à-dire les intérêts versés, se seront élevés à 47 milliards d’euros en 2011, et ils devraient dépasser 49 milliards en 2012.

Mais une hausse d’un point du taux d’intérêt l’an prochain alourdirait de l’ordre de 10 milliards d’euros le montant cumulé des intérêts servis sur cinq ans. Des montants qu’on ne peut passer par pertes et profits, tant ils amputent le budget national: le service de la dette est devenu le deuxième poste de dépenses de l’Etat, après l’Education nationale (61 milliards d’euros).

En quatre ans de crise, la dette française a augmenté de 45%

Bien sûr, l’opposition s’empare de cette perspective de dégradation. Pour François Hollande, elle signera l’échec de la politique Sarkozy. Après avoir reproché au gouvernement de se soumettre à la pression des marchés financiers dans la conduite du pays, voilà que le PS se saisit lui-même de la notation des agences pour fustiger sa politique.

Il est vrai que, lorsque Nicolas Sarkozy accéda à l’Elysée en 2007, la dette publique de la France dépassait à peine 1.200 milliards d’euros et représentait quelque 64% du PIB. La crise bancaire n’était pas encore passée par là. Quatre ans et une crise plus tard, le compteur affiche donc ces 1.760 milliards d’euros: la dette s’est alourdie de 45% en 48 mois, et pèse dorénavant 86% du PIB!

Nicolas Sarkozy n’est pas responsable de la crise. Et il n’est pas le seul concerné lorsque les observateurs jugent l’approfondissement de l’Europe insuffisant pour surmonter cette crise: la chancelière allemande compte plus que lui, et c’est la relation franco-allemande qui est analysée.

Mais il peut être attaqué sur sa politique fiscale, et sur l’absence d’une réforme dont il avait été question et qui ne se limitait pas à mettre fin tardivement au bouclier fiscal en compensant la mesure par une réduction de l’ISF. Le saupoudrage des mesures d’économies prises par le gouvernement ne fait pas fonction de politique, et le rabotage des niches fiscales donne toujours aussi peu de résultats.

Or, à situation exceptionnelle, moyens exceptionnels. Par exemple, pour appeler à l’union nationale, il ne suffit pas de vouloir rallier l’adversaire à ses propres thèses; encore faut-il en créer le contexte et être prêt à des délégations de pouvoir.

Une distribution des rôles assez déroutante

On soulignera aussi que la crise bancaire et la crise de la dette publique sont une seule et même crise. Le problème est que ces même agences qui jugent et notent les Etats comme les entreprises, n’ont pas vu voir venir la crise bancaire et n’ont pas joué leur rôle d’alerte. Les investisseurs internationaux qui se fient au jugement des agences et se paient aujourd’hui sur le dos des Etats, auraient eux-mêmes disparu si ces Etats ne s’étaient eux-mêmes endettés pour empêcher le blocage du système.

Les opérateurs financiers ont-ils manqué de discernement face au gonflement de la dette publique qu’ils ont contribué à alimenter? Ils se sont surtout sortis de l’ornière en laissant les Etats s’endetter. Et maintenant, les agences tirent la sonnette d’alarme.

On perçoit, dans la distribution des rôles, comme des contradictions que les responsables politiques n’ont jusqu’à présent pas résolu.

Gilles Bridier

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