La guerre entre les régions Bretagne et Pays de la Loire est relancée. L’Assemblée nationale a adopté le 21 décembre un amendement déposé par neuf députés (majoritairement bretons) qui vise à simplifier la procédure de rattachement du département Loire Atlantique à la Bretagne.
Dorénavant, pour que la réunification soit effective, seuls les habitants de la région Bretagne et de Loire-Atlantique doivent se prononcer majoritairement par référendum. Cet amendement vient modifier la réforme de 2008 qui spécifiait que les habitants des deux régions devaient être consultés. De ce fait, le principal obstacle à la réunification de la Bretagne est levé.
Ce vote de l’Assemblée a de quoi surprendre car il intervient un an après la réforme territoriale du 16 décembre 2010 qui confirmait les limites administratives existantes. La semaine précédente, deux nouveaux éléments étaient venus alimenter le moulin des partisans du retour de la Loire-Atlantique en Bretagne. C’est l’IGN (Institut géographique national) qui a ouvert le bal le 5 décembre en publiant une carte de Bretagne à cinq départements.
Deux jours plus tard, le conseil général du Morbihan a voté à l’unanimité en faveur du retour de la Loire-Atlantique en Bretagne. Si l’IGN s’est défendue de tout parti pris, expliquant avoir fait le choix de la simplicité, le vote de l'assemblée départementale a lui pour but de rouvrir le débat, à quelques mois de l’élection présidentielle.
Quel est le problème?
Le duché de Bretagne s’est unifié au IXe siècle sur un territoire regroupant les quatre départements actuels et la Loire-Atlantique. Convoitée par l’Angleterre et la France, la Bretagne se rattachera à cette dernière en 1532 tout en gardant une forte autonomie jusqu’à la Révolution. «Les frontières de la Bretagne sont restées remarquablement stables, à de rares exceptions près, elles n'ont pas bougé depuis le IXe siècle», fait remarquer l’historien Jean-Christophe Cassard.
En effet, le territoire breton n’a que peu évolué jusqu’à juin 1941 et le décret du maréchal Pétain séparant la Loire-Atlantique de la Bretagne. L’historien Alain Croix réfute cette version. La partition de la Bretagne était déjà instaurée par les «groupements économiques régionaux» de Clémentel, ministre de Poincaré en 1919, ainsi que par le décret-loi de Daladier en 1938. Pour lui, la Bretagne à quatre départements est le fruit des pressions d’élus comme le maire de Nantes de l’époque, de l’Evêché de Rennes et de l’élite économique nantaise. Pétain, lui-même opposé à la séparation, n'a fait que nommer les préfets des régions préalablement découpées.
Précision historique qui n’enlève rien au problème. «Ce découpage est anti-démocratique, c’est une anomalie historique», s’insurge Yves Pelle, président du Parti breton, qui demande réparation pour cette injustice et insiste sur le fait que les habitants n’ont jamais été consultés, comme le prévoit pourtant la Constitution.
Depuis cette date, la réunification suscite un vif débat. Des élus (conseils municipaux, généraux, régionaux) émettent des vœux, des citoyens réalisent des opérations médiatiques et des marches de protestation sont régulièrement organisées à Nantes. Mais les différents appels à la réunification heurtent à des fins se non recevoir.
En 1982, nouvelle désillusion. La carte des régions confirme les frontières de la Bretagne administrative à quatre départements. «La région du Pays de la Loire a été créée artificiellement, par une campagne de pub, sans aucune légitimité historique ou culturelle», ajoute Yves Pelle.
La réforme de 2010 ne viendra rien changer aux frontières de la Bretagne administrée. Pour Thierry Jolivet, porte-parole de l’association Bretagne Réunie, «la Bretagne actuelle n’est pas la Bretagne, c’est une simple région administrative. Seule la Bretagne historique mériterait de s’appeler Bretagne».
Qu’en pensent les Bretons?
Les institutions et les citoyens de Bretagne administrative (à quatre départements) sont dans l’ensemble favorables à ce rattachement. Le conseil régional de Bretagne s’est prononcé à deux reprises (2001, 2008) en faveur d’une réunification et a mis en place un groupe de travail pour développer les coopérations culturelles avec la Loire-Atlantique.
La population, à défaut d’avoir été consultée par référendum jusqu'à maintenant, l’a été par l’intermédiaire de nombreux sondages. 58% des sondés sont favorables au rattachement de la Loire-Atlantique à la Bretagne (moyenne de cinq sondages entre 2000 et 2009). De nombreuses associations, entreprises, élus et célébrités bretonnes se mobilisent pour faire avancer le dossier.
Et les habitants de Loire-Atlantique?
Le conseil général de Loire-Atlantique s’est prononcé en 2001 en faveur de cette réunification. «Le conseil général demande au gouvernement d’organiser le débat public et les consultations nécessaires, puis d’initier le processus législatif permettant de réunir les cinq départements bretons», détaille le texte envoyé au Premier ministre. D’après les sondages, 62% des habitants de Loire-Atlantique sont favorable à un rattachement à la Bretagne.
Toutefois, en Loire-Atlantique, l’identité bretonne est à géométrie variable. «Les Nantais se sont toujours sentis nantais, c’est la seule grande ville de l'Ouest, indique Jean-Christophe Cassard. Néanmoins, dans les écrits, les Nantais se disent bretons jusqu’au XIXe siècle. Pourtant, à la fin du XIXe, pendant la révolution industrielle, leur rapport à la Bretagne va évoluer. Ils n'ont pas apprécié l'arrivée du sous-prolétariat venu de Basse-Bretagne. La ville s’est sentie encerclée par les campagnes et assiégée par le développement industriel.»
Sales et parlant pas ou peu le français, les travailleurs bretons sont vus d’un mauvais œil par les Nantais. Mais ce sentiment ne s'étend pas à tout le département. On retrouve par exemple beaucoup d'hermines dans les communes de Loire-Atlantique.
En outre, «au sud de la Loire, l’attache à la Bretagne est beaucoup moins forte. Les habitants ont d’avantage tissé des liens avec la Vendée», précise Jean Gaubert, député PS des Côtes d’Armor.
Réunifier, pour quoi faire?
La Bretagne se distingue d’autres régions par son identité régionale ancrée, caractérisée par ses symboles (hermines, triskells), sa musique et ses danses. Mais c’est surtout la langue qui a contribué à la création de l’identité bretonne. On dénombre aujourd’hui près de 200.000 locuteurs actifs sur cinq départements.
«Les Bretons de Loire-Atlantique souffrent d’un complexe identitaire à cause de cette partition», affirme Thierry Jolivet. La Halde, ainsi que l’ONU ont été saisis par des associations dénonçant les discriminations envers les Bretons de Loire-Atlantique, arguant que leur identité bretonne est mise à mal et déniée.
Mais au-delà des motivations culturelles et historiques, les défenseurs d’une Bretagne à cinq départements mettent en avant les vertus économiques d’une réunification, notamment les avantages maritimes. L’image de la Bretagne, région bien identifiée en Europe, sert les entreprises, dans des secteurs aussi variés que le tourisme, l’agriculture ou la grande distribution. La marque «Produit en Bretagne» rassemble déjà trois cents entreprises sur les cinq départements et les collaborations économiques existent.
Jean Ollivro, géographe et président du think tank Bretagne Prospectives, assure qu’une Bretagne à cinq avec 4,3 millions d’habitants pèserait plus lourd sur la scène européenne avec une taille et un PIB comparables à certains pays ou grandes régions de l’Union européenne.
Les partisans de la réunification, qui ont lancé un appel commun en 2009, sont en faveur d’un redécoupage du Nord-Ouest de la France afin de créer des régions à l’identité bien affirmée.
Cette carte vise aussi à proposer une alternative au Pays de la Loire après le départ de la Loire-Atlantique en proposant la création d’une région «Val de Loire», bénéficiant d’une image connue (classée au patrimoine mondial par l’Unesco).
Jean Gaubert, pourtant favorable au retour de la Loire-Atlantique en Bretagne, ne partage pas cet engouement. «Economiquement, la réunification n’apportera rien de plus. Nous n’avons plus de douanes aux frontières, il y a des routes, rien n’empêche la collaboration.» Propos que réfute Thierry Jolivet: «Les barrières administratives sont nombreuses avec le Pays de la Loire», assure-t-il.
Qu’est-ce qui bloque la réunification?
Si la partition de 1941 a amputé de plus d’un tiers le PIB de la Bretagne, la Loire-Atlantique compte aujourd’hui pour 40% du PIB du Pays de la Loire. Pas étonnant donc que la région soit réticente à l’idée de perdre sa poule aux œufs d’or. Jacques Auxiette, le président de la région Pays de la Loire s’est clairement opposé au rattachement, allant jusqu’à comparer le retour de la Loire-Atlantique en Bretagne à une «annexion des temps modernes totalement inacceptable». Il propose à la place la création d’une région Grand ouest, regroupant Bretagne, Pays de la Loire et Normandie.
Jusqu’ici, les opposants à la réunification comptaient sur un obstacle administratif majeur pour bloquer le processus. «La réforme territoriale du 16 décembre 2010 stipule que, pour qu’une région modifie ses limites administratives, il faut l’accord de toutes les collectivités concernées. En l’occurrence, il faudrait donc des délibérations concordantes des régions Bretagne et Pays-de Loire et du Département de la Loire-Atlantique», souligne Jean-Marc Ayrault, député-maire (PS) de Nantes.
Ce dernier, à l’instar de Jacques Auxiette, dit privilégier la continuité des échanges entre les métropoles et les régions plutôt qu’une modification des frontières administratives. Au moment où la commission Balladur étudiait le projet de réforme territoriale en 2009, Jean-Marc Ayault s’était démené pour faire en sorte que la réunification de la Bretagne ne figure pas au rapport final.
Mais le vote du 21 décembre est venu contrecarrer ses plans. La simplification du transfert d’un département d’une région à une autre est maintenant actée. Ce vote autorise «un département qui souhaite changer de région administrative de demander l'organisation d'un référendum local sur son territoire, sans que les autres départements de sa région puissent l'en empêcher», expliquent les députés Marc Le Fur (UMP) et François de Rugy (Verts) au quotidien breton Ouest-France. Cette décision devra toutefois être entérinée lors du vote de l’ensemble de la loi sur le référendum d’initiative populaire le 10 janvier prochain à l’Assemblée, puis au Sénat.
Rien n’est donc joué car le gouvernement semble peu favorable à la réunification de la Bretagne.
En effet, au-delà du problème breton, c’est le jacobinisme de l’Etat qui est dénoncé par les partisans de la réunification. «L'Etat ne fait pas confiance à ses régions, tout est centralisé. C'est ce que j'appelle la géographie du Fouquet's, explique cyniquement Jean Ollivro. François Fillon par exemple a toujours nié l’identité bretonne, il ne comprend rien au régionalisme.» Thierry Jolivet va même plus loin: «Les gouvernement successifs depuis 1941 ont tout fait pour que la Bretagne ne soit pas réunie. La Bretagne fait peur.»
Quelle capitale pour la Bretagne?
La question de la capitale est au centre des débats. Qui de Rennes ou de Nantes prendrait les rênes d’une Bretagne réunifiée? On entend beaucoup dire que Nantes est historiquement la capitale de la Bretagne, c’est en partie faux. Nantes a en effet accueilli le château des ducs de Bretagne, mais la notion de capitale est assez récente, et les ducs et duchesses de Bretagne s’installaient où bon leur semblait, à Nantes comme ailleurs. Il est vrai toutefois que Nantes tenait lieu de capitale économique quand Rennes servait de capitale administrative.
Au final, cette question est surtout cruciale pour les deux maires concernés, Jean-Marc Ayrault et Daniel Delaveau, attachés au statut de capitale régionale de leur ville: en 2009, les deux hommes avaient affirmé vouloir approfondir la «coopération» entre Rennes et Nantes et ne pas faire de la réunification une «priorité». Les partisans de cette réunification, eux, estiment que les deux villes sont en fait complémentaires: « Le débat n’est pas là, on s’invente des problèmes. On peut très bien imaginer une Bretagne à deux capitales comme en Ecosse par exemple», regrette ainsi Jean Ollivro.
Une autre Bretagne est-elle possible?
L’argument le plus souvent opposé aux militants d’une Bretagne à cinq départements est l’«anachronisme du débat», selon les termes employés par Jean-Marc Ayrault. Jean Gaubert, député PS des Côtes d’Armor, estime que ce n’est pas la priorité. «Ce qui intéresse les Français c’est l’emploi, le pouvoir d’achat. Le découpage du territoire n’est pas au cœur des préoccupations des citoyens», croit-il savoir.
Si la simplification du processus de modification des frontières administratives est confirmée début janvier 2012, les arguments des deux camps seront confrontés à la réalité des urnes. Mais avant cela, les partisans de la réunification devront encore franchir un obstacle de taille. En effet, pour qu’un référendum d’initiative populaire soit mis en place, il faut qu’un cinquième des conseillers généraux, soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales, le demande.
«La réunification de la Bretagne est en marche», s’est exclamé Marc le Fur dans un communiqué. Son enthousiasme ne fait pas l’unanimité, mais a le mérite de donner de l’espoir aux partisans de la réunification qui attendent le retour de Nantes depuis 1941.
Emmanuel Daniel
Article modifié le 21 décembre avec le vote à l'Assemblée nationale