A l’évidence, le streaming a de beaux jours devant lui. Après les autres sports, le football glisse plus ou moins définitivement vers les chaînes payantes. A partir de septembre 2012 et pour trois ans, la Ligue des champions sera en France la chasse gardée de Canal Plus et de la chaîne que s’apprête à lancer le groupe Al-Jazeera sous un nom bientôt dévoilé. En principe, il n’y aura donc plus que la finale pour bénéficier d’une diffusion en clair comme l’exige le Conseil supérieur de l’audiovisuel suivi par l’UEFA, ravie d’avoir trouvé deux réseaux pour débourser quelque 110 millions par an.
Après avoir vu les Qataris lui ravir quatre des cinq lots pour la bagatelle estimée (et contestée par les intéressés) de 61 millions d’euros pour 133 rencontres, Canal Plus a dû réagir avec la manière forte en l’espace de quelques heures dans le but de décrocher le dernier lot détenu jusque-là par TF1, qui n’a pas cherché à le conserver outre mesure, arguant d’audiences en déclin. Pour 50 millions d’euros par an, la chaîne cryptée a sauvé les meubles, mais doit se contenter de 13 matches chaque saison parmi. Des matchs certes parmis les plus prestigieux, mais globalement une très mauvaise affaire financière. «Le seul souci, c’est de voir un acteur arriver sans aucune considération économique, avec les poches très très pleines, a noté plein d’amertume Rodolphe Belmer, dirigeant de Canal Plus dans les colonnes de L’Equipe. Cela déstabilise toute une industrie.»
Plus de Ligue des champions gratuite
L’amateur de foot, désormais privé de la gratuité des retransmissions des clubs français sur TF1, a de bonnes raisons aussi de faire la tête. S’il voudra suivre la Ligue des champions en long et en large, comme il le faisait jusque-là grâce à TF1 et Canal Plus, il va devoir s’acquitter d’un abonnement supplémentaire pour suivre les retransmissions de la chaîne dirigée par Charles Biétry. Ce dernier annonce un abonnement à prix réduit dans une offre de lancement qui se voudra attractive. Il n’empêche. En ces temps économiques compliqués, c’est une nouvelle dure à encaisser pour le passionné.
Dans ce paysage éclaté des retransmissions sportives, l’aficionado va devoir aussi se munir d’une boussole pour se retrouver. Le sport, qui se veut fédérateur en termes d’audiences, est de plus en plus satellisé en France, même s’il est probable que ce paysage se recomposera dans les années à venir.
Dans les jours et mois qui viennent, plusieurs options s’offrent notamment à Al-Jazeera pour grossir de manière significative. Dans cet objectif, le football est évidemment le nerf de la guerre et déjà se déroule un nouvel épisode de cette bataille commencée et à venir avec la mise sur la table immédiate des droits de la Ligue Europa, la petite sœur de la Ligue des champions, certes moins populaire, y compris auprès des clubs, mais néanmoins intéressante pour capter les plus mordus. Verdict imminent. Puis viendra très vite la décision pour la diffusion, en France, de l’Euro 2012 disputé en Pologne et Ukraine dont on dit qu’il pourrait se monnayer autour, voire au-delà, de 100 millions d’euros.
Ligue 1, Liga, Bundesliga et Serie A
Selon une règle édictée par le CSA, il est acquis que les matches de l’équipe de France seront en clair et qu’Al-Jazeera ne pourra les diffuser, devant donc se lier avec une chaîne hertzienne ou de la TNT gratuite qui pourra le faire. Pour la chaîne qatarie, ce serait une façon spectaculaire quoique improbable de se lancer, dès juin, avant le début de la saison 2012-2013 de Ligue 1 et de créer ainsi une petite ruée sur les abonnements. Rappelons que contre un chèque de 90 millions d’euros par an, les Qataris se sont d’ores et déjà assurés de la diffusion de deux matches de Ligue 1 par journée de championnat pour la période 2012-2016 alors que Canal Plus versera 420 millions d’euros par an pour deux matches phares et la production de magazines. Le paiement à la séance (six matches le dimanche après-midi), reste, lui, à trouver preneur.
Plus significatifs encore sur le long terme au rayon football, les droits de la Liga espagnole, de la Bundesliega et de la Série A italienne, qui arrivent à échéance au printemps prochain, sont également en cours de renégociation. C’est évidemment un sensationnel produit d’appel, à l’image du récent clàsico espagnol. Sur ce point (en précisant qu’Orange a les droits de la Bundesliega), la lutte entre Canal Plus et Al-Jazeera, désormais en guerre ouverte, risque d’être sévère et les deux parties devraient mettre le paquet pour garder ou conquérir Messi et les siens sachant que la Premier League anglaise est, elle, l’affaire de Canal Plus jusqu’à la saison 2012-2013. La Coupe du monde 2014 est, de son côté, l’exclusivité de TF1 qui avait acheté les mondiaux de 2010 et 2014 pour un total de 250 millions d’euros. Mais l’appel d’offre vient d’être ouvert pour les Coupes du monde 2018 et 2022, cette dernière étant disputée au Qatar. Les dossiers doivent être déposés pour le 3 février.
F1, tennis et rugby
Loin des terrains de football, le championnat du monde de Formule 1 devrait être ensuite et vite à son tour un objet de convoitises. TF1, diffuseur historique du grand barnum automobile, vit sa dernière année de contrat en 2012 et il ne semble pas acquis qu’elle se battra pour le conserver compte tenu d’audiences en demi-teinte en 2011. La venue de trois pilotes français en 2012, dans des écuries il est vrai modestes, pourrait redresser les courbes à partir de mars, mais face aux exigences de Bernie Ecclestone, le grand argentier de la F1, la Une pourrait se retrouver à court d’arguments et d’argent. Ecclestone, qui ne jure que par les interlocuteurs des «nouveaux marchés», pourrait être séduit par les Qataris s’ils se montraient intéressés.
Du côté du tennis, qui a l’avantage de remplir des cases horaires du matin jusqu’au soir, Eurosport dispose des droits de l’Open d’Australie de 2012 à 2016 inclus. Elle a aussi ceux de l’US Open, mais jusqu’en 2012 seulement. Canal Plus a, elle, la main sur Wimbledon jusqu’en 2013. Roland-Garros, qui s’est marié avec les chaînes de France Télévisions en 1988, est lié contractuellement avec le groupe public jusqu’en 2013 et pourrait être tenté d’aller vers des partenaires plus généreux à l’heure de financer son nouveau stade couvert et son extension prévus pour 2016. Reste en suspens la question du circuit masculin et de ce qu’on appelle les tournois Masters 1000, les plus importants du calendrier en dehors du Grand Chelem (comme Bercy), et que possède, jusqu’en 2013, Orange Sport, dont l’avenir s’annonce plus qu’incertain. Si la chaîne de l’opérateur téléphonique s’arrête dans les mois à venir, il y aura là un contrat à récupérer. Elle pourrait être également reprise par l’un de ses concurrents actuels.
Du côté du rugby, en revanche, il n’y a plus rien ou presque à gratter pour un certain temps sauf la Coupe du monde de 2015. Le Tournoi des VI Nations est sur France Télévisions jusqu’en 2017. Quant au Top 14, le championnat de France, il vient d’être renégocié en mai en faveur de Canal Plus jusqu’à la saison 2015-2016 pour une somme de 32 millions d’euros par an alors que la ligue du rugby en attendait 100. Dommage pour les rugbymen que le Qatar n’ait pas été alors dans les parages pour faire gonfler un peu la somme. On terminera en évoquant les Jeux Olympiques, d’hiver et d’été, que France Télévisions, également aux commandes du Tour de France jusqu’en 2015, a déjà sécurisés jusqu’en 2020 inclus, année de Jeux d’été qui pourraient se dérouler… au Qatar!
Yannick Cochennec