«Même les Américains qui partagent les valeurs défendues par DiCaprio et Clooney ne veulent pas se faire engueuler sur l’environnement par ceux qui voyagent en jet privé et vivent dans des palaces. On veut aimer nos stars de cinéma mais la culture actuelle n’est tout simplement plus aimable. On veut se projeter dans la vie de nos célébrités mais on ne nous laisse plus le faire, ni dans la vraie vie ni non plus sur les écrans.»
Ce cri du cœur vient du blogueur conservateur Dirty Harry. Déçu de l’engagement politique de nombreux membres de l’actuel panthéon hollywoodien, il expliquait en 2008 l’échec au box-office de Body of Lies, mettant à l’écran Leonardo DiCaprio et Russell Crowe, par l’engagement politique des deux acteurs.
S'acheter une bonne conscience
Si outre-Atlantique, certains en viennent à regretter Harry (personnage interprété par Clint Eastwood) et son «make my day», incarnation d’un Hollywood n’ayant d’autre morale que celle du patriotisme, de la liberté individuelle et du pistolet chargé, c’est qu'à l’inverse, les acteurs «en vue» aujourd’hui sont tous engagés pour une bonne cause. Et leurs fans sont incités à suivre autant leur dernière prestation que leur engagement pour sauver la planète ou stopper la famine en Afrique.
Dans les bureaux des universités, on parle désormais de celebrity diplomacy (diplomatie des célébrités). «C’est un courant d’analyse à plusieurs niveaux. Le plus emblématique est l’engagement de célébrités dans l’humanitaire. Mais il compte aussi le celebrity politics ou le celebrity activism. Il s’intéresse aux célébrités qui décident de sortir de leur champ d’attribution traditionnel pour s’engager dans des sphères qui ne sont pas les leurs, pouvant aller du social à l’humanitaire en passant par l’écologie. Leur objectif est d’attirer le grand public qui les suit sur des causes qui passeraient autrement inaperçues», explique Valérie Gorin, chercheuse au département de sociologie de l’Université de Genève et auteure de la thèse Entre iconographie de la pitié et rhétorique compassionnelle: la couverture médiatique des crises humanitaires dans la presse illustrée américaine et française, du Biafra au Rwanda (1967-1994).
La question piège à ne pas poser est celle de l’efficacité de cette diplomatie:
«On trouve beaucoup d’études sur les raisons de l’engagement des célébrités, mais pour l’instant, aucune n’a été faite sur leur impact économique. Pour cela, il faudrait que les ONG qui font appel à ces stars soient plus transparentes… Je m’intéresse par exemple aux ambassadeurs de bonne volonté du Haut commissariat aux téfugiés (HCR). S’il est possible de rencontrer le responsable de la communication du HCR, en revanche, avoir accès aux négociations en coulisse, savoir qui contacte qui, tout cela reste secret. En général, ils vous disent qu’il y a eu un pic de donations après une campagne parrainée par une célébrité, mais on n’en sait pas plus.»
Ce qu’il ne faut pas faire
Alors, pour essayer de jauger l’efficacité d’une campagne médiatique avec célébrité à la clé pour attirer le grand public sur une cause humanitaire ou diplomatique, reste la bonne vieille technique du cas par cas. Et à ce petit jeu, on se rend vite à l’évidence: certains exemples peu glorieux entachent l’idylle entre célébrités et bonnes causes.
13 juillet 1985. 1,5 milliards de téléspectateurs ont les yeux braqués sur le show des artistes réunis par Bob Geldof pour le Live Aid, un double concert donné à Londres et à Philadelphie pour lutter contre la famine en Ethiopie. 50 millions de livres sont récoltées. Bref, un succès? «Un fiasco sur le terrain», contraste Valérie Gorin. «L’argent récolté par Live Aid a entretenu la politique d’un gouvernement éthiopien qui avait en quelque sorte orchestré cette famine pour attirer l’opinion publique.»
La famine est en effet liée, outre la sécheresse, à la politique du gouvernement de Mengistu, qui a déplacé de force 600.000 Ethiopiens du nord du pays, contrôlé par les opposants à son régime, au sud-ouest. Quant aux donations du Live Aid, un rebelle du Front de libération du peuple du Tigré (opposé au régime de Mengistu) a récemment avoué à la BBC que 95% de l’aide leur avait servi à se procurer des armes.
David Rieff, auteur de A Bed for the Night: Humanitarianism in an Age of Genocide, considère qu'avec l'argent du Live Aid, les ONG locales —à l’exception notable de Médecins sans frontières—, ont participé au «grand crime qu’était le déplacement de 600.000 personnes, qui était au moins en partie une campagne militaire maquillée en effort humanitaire ».
Dérive des années 80
Bob Geldof a toujours botté en touche. Interrogé sur les 100.000 personnes qui seraient mortes dans le déplacement forcé de population, il répondait au journal Irish Times en 1985:
«Dans le contexte d’une telle famine, ces chiffres ne me choquent pas.»
«Il serait trop facile de dire que Gedolf est le seul idiot à s’être fait berner. On assistait alors à l’éclosion du charity showbiz. Il y a eu une grande dérive dans les années 1980, le charity business était organisé sans aucune réflexion profonde sur les causes profondes des famines qu’ils prétendaient arrêter», contextualise Valérie Gorin.
Autre écueil à éviter, celui de la corruption. Surtout quand vous êtes le Global Fund to Fight AIDS, Tuberculosis and Malaria, la dernière référence en action humanitaire, détentrice de 21,7 milliards de dollars et soutenue autant par Bono que Bill Gates et Carla Bruni. Associated Press révélait en janvier 2011 que les deux-tiers des fonds étaient détournés dans la plupart de ses programmes.
Célébrité, travaille ton dossier
La diplomatie des célébrités aurait donc différents âges, lesquels s’accompagneraient d’un processus de maturation. Si, selon David Rieff, la campagne de Bob Geldof est responsable de plus de morts qu’elle a sauvé de vies —en raison entre autre du manque de considération des causes politiques de la famine en Ethiopie—, les célébrités pointées du doigt par le blogueur Dirty Harry sont loin d’être des néophytes dans leur sphère d’engagement.
Georges Clooney connaît le Darfour comme sa poche. Difficile de penser au Soudan sans avoir à l’esprit son projet Not on our Watch, un satellite qui surveille les va-et-vient à la frontière entre le nouvel Etat du Sud-Soudan et le Nord-Soudan. «J’ai bossé avec d’autres célébrités dans des tours en Afrique, mais avec lui c’est différent. Il est engagé, il connaît son dossier», salue Tim Freccia, photoreporter basé en Afrique qui a accompagné l’acteur américain au Soudan. Quant à Leonardo DiCaprio, le quotidien The Guardian n’hésitait pas à le placer parmi les 50 personnalités qui pourraient changer le monde en 2008 pour son engagement écolo, mis en lumière par son documentaire The 11th Hour.
Derrière l’engagement de ces deux célébrités, il y a une histoire personnelle, une relation intime qui explique peut-être qu’ils aient choisi d’adopter une approche plus réfléchie et durable que d’autres. La première fois que Georges Clooney est filmé depuis le Darfour sur les grandes chaînes américaines, c’est avec son père Nick Clooney, un journaliste réputé aux Etats-Unis. «C’est grâce à lui qu’il a pu avoir accès au réseau de journalistes et de professionnels de terrain», rappelle Valérie Gorin.
Leonardo DiCaprio a lui découvert l’engagement pour la défense des animaux et de la planète pendant le tournage du film La Plage, quand des activistes ont reproché à l’équipe de cinéma d’endommager une plage thaïlandaise située dans un parc naturel marin. Ils ne sont pas les seuls à prendre leur engagement au sérieux. Le camp de réfugié monté par Sean Penn en Haïti est salué par les experts comme un des plus avancés au sein de ce qui est devenue une république des ONG. Quant à Angelina Jolie, voilà vingt ans qu’elle est engagée comme ambassadrice de bonne volonté pour le HCR.
Obligation ou tradition
Si on peut nommer les célébrités qui s’engagent à fond dans une cause, c’est qu’ils font partie des exceptions. On distingue trois profils de célébrités diplomates ou humanitaires. Ceux qui le font pour le CV: «C’est presque devenu une obligation à Hollywood : leur agent les incite à lisser leur image en soutenant une cause humanitaire», résume Valérie Gorin. Et de citer Lindsay Lohan qui s’est engagée dans la lutte contre les femmes battues à Los Angeles pour masquer ses ennuis à répétition avec la justice.
D’autres le font pour mieux dormir ou pour fuir la vacuité de leur milieu professionnel: «Les stars cherchent à se donner bonne conscience.» On pense au personnage de Johnny Marco dans Somewhere, le dernier film de Sofia Coppola, et à la distance qu’il met peu à peu avec la futilité qu’implique le rang de star.
Enfin, il y a les perles rares, ceux qui ont «une connaissance réelle du terrain. Ces acteurs-là détiennent une vraie culture du militantisme, ils sont reconnus d’une part par le grand public, mais aussi par les experts du domaine de leur engagement». On pense à la famille Bardem en Espagne, où l’engagement se transmet de génération en génération, au même titre que le flambeau de la carrière de cinéma. «Fils d’une famille qui dérange», titre Le Monde magazine, dans un portrait de Javier Bardem où l’on apprend que sa mère Pilar était une actrice subversive sous l’ère franquiste, tandis que lui et son frère Carlos se pointent dès qu’ils le peuvent dans les camps de réfugiés sahraouis pour défendre le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui contre l’occupation marocaine.
«La différence s’opère entre ceux qui vont au-delà du tour de terrain avec les journalistes, qui ont en quelque sorte l’humilité de se former et de rencontrer des acteurs locaux, oubliant leur statut de célébrité pour se mettre au service d’une cause», explique Valérie Gorin. «Après, il faut forcément simplifier pour le grand public.»
Derrière l’acteur, le sponsor
Car le but ultime de la diplomatie des célébrités reste l’efficacité médiatique. Sinon, les ONG ne se tourneraient que vers des experts. Si la fondation Robin Hood s’est rapproché de Lady Gaga, c’est avant tout pour attirer un public auquel elle n’a d’habitude pas accès: «La couverture médiatique offerte par quelqu’un qui a 32 millions de fans sur Facebook est une opportunité en or pour nous, même si ce concours est avant tout dédié à l’aide de personnes qui en ont besoin, sans le faire de manière superficielle », se justifie presque Mark Bezos, responsable de la communication au sein de cette fondation dédiée à la lutte contre la pauvreté aux Etats-Unis.
Andrew Cooper, le fondateur de la notion de celebrity diplomacy, auteur d’un livre éponyme en 2007, le résumait très bien lors d’une table ronde à l’école de communication et de journalisme USC Annenberg en 2009:
«Tout le monde déteste les célébrités diplomates. Pourquoi ? Parce ce qu’elles attirent. Qui peut aller chez Oprah [Winfrey, présentatrice du populaire Oprah Show, ndlr]? Qui peut obtenir des éditoriaux au Wall Street Journal?»
En se rendant au Darfour, Georges Clooney ne cherche donc qu’à déplacer les caméras des studios de la côte ouest américaine au désert du Soudan: «Je ne peux pas sortir des projecteurs et ils [les habitants du Darfour, ndlr] ne peuvent pas y entrer. Mais je n’en ai pas besoin et eux si. Donc tout ce que tu peux faire, c’est venir ici et crier quand tu en as les moyens. C’est la meilleure utilisation qu’on puisse faire de la célébrité », témoigne-t-il à la caméra de Tim Freccia.
Pour les ONG, faire appel à une personnalité peut aussi être le moyen d’attirer un sponsor généreux. «Quand Unicef demande à Salma Hayek de participer à la lutte contre le tétanos en Afrique, la campagne médiatique est sponsorisée par la marque de couches Pampers. Il y a un aspect marketing direct derrière», décrit Valérie Gorin.
Kanye West, et alors?
Parfois, la célébrité ne suffit pas. C’est ce qu’ont expérimenté des personnalités aussi connues que Nicole Kidman ou Kanye West, qui avaient accepté de participer au concours de la plateforme de dons en ligne sixdegrees.org lancée par l’acteur Kevin Bacon. Pour lancer son site, l’acteur offrait une récompense aux six personnes qui obtiendraient le plus de soutien pour leur cause. Parmi les 60 célébrités participantes, aucune ne faisait partie des six personnes les plus soutenues. La mère d’un enfant autiste a reçu 2.313 donations ; Kanye West n’en a obtenu aucune. Mais le site participatif de Kevin Bacon marche bien: déjà 3.721.642 dollars ont été donné à des causes.
Emmanuel Haddad