Culture

La bataille de Golgota Picnic

Temps de lecture : 4 min

Le légitime combat pour le respect de la liberté des croyants est récupéré et perverti par des groupuscules intégristes.

Durant une procession à Malaga, en 2011. REUTERS/Jon Nazca
Durant une procession à Malaga, en 2011. REUTERS/Jon Nazca

La bataille de Golgota Picnic est engagée. Golgota Picnic est le titre de cette pièce du metteur en scène argentin Rodrigo Garcia que les catholiques intégristes jugent blasphématoire, qu’ils ont déjà attaquée, par des processions faussement pieuses, lors de sa première représentation, le 16 novembre à Toulouse au Théâtre de la Garonne, et sera à nouveau leur cible, lors de sa programmation au théâtre du Rond-Point à Paris, du 8 au 17 décembre.

Des groupuscules intégristes comme Civitas ou l’Agrif (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne), liés à l’extrême-droite et désapprouvés, à cause de leur violence, par l’épiscopat français, ont mobilisé leurs troupes.

A la différence de la polémique qui, en des termes presque identiques, avait déjà suivi, en octobre, la représentation au Théâtre de la Ville à Paris de la pièce Sur le concept du visage du fils de Dieu, écrite et mise en scène par l’Italien Romeo Castelluci, l’émotion provoquée par Golgota Picnic est plus large dans les milieux catholiques, plus profonde et justifiée.

Une oeuvre provocante

André Vingt-Trois, cardinal et archevêque de Paris, a invité ses fidèles à une veillée de prières sur le thème de la Passion du Christ, le 8 décembre à la cathédrale Notre-Dame, pour réparer l’offense. Un autre collectif, Foi et culture, appelle le même jour à une manifestation pacifique, avec dépôt de fleurs blanches, aux abords des Champs-Elysées devant le théâtre du Rond-Point.

Faut-il à nouveau parler, après tant d’affaires semblables mettant aux prises la liberté de l’artiste et la défense du respect des croyances, d’obscurantisme catholique? Faut-il croire l’argument des contre-manifestants du camp laïque –qui ont manifesté en faveur de la pièce en novembre à Toulouse– selon lequel la «christianophobie» serait un concept inventé de toute pièce pour justifier une intolérance croissante du milieu catholique vis-à-vis de la liberté d’expression?

Disons-le d’emblée: Rodrigo Garcia, auteur de Golgota Picnic, a écrit une œuvre provocante. Sous le prétexte de dénoncer une iconographie chrétienne qu’il juge, selon ses propres mots, terrifiante et barbare, il ridiculise et rabaisse la Passion du Christ jusqu’à sa mort sur la croix au Golgotha, jouée par des acteurs nus.

Entre autres amabilités, Jésus est qualifié de «pyromane», de «messie du sida», accusé de vouloir mener la «guerre contre tous». Inversant les termes de la foi chrétienne, la privant de toute transcendance, Garcia adresse des messages comme «Fuyez-vous les uns les autres». Il transforme en chanson populaire les plus célèbres paroles de la Passion du Christ, comme sa prière au jardin de Gethsemani: «Père, éloigne de moi ce calice!»

On peut s’interroger sur les raisons d’un tel acharnement contre une religion qu’on décrit, par ailleurs, comme morte ou dépassée. L’antichristianisme habite l‘air du temps. Il faudrait être aveugle pour ne pas mesurer le désarroi de croyants, blessés par un tel spectacle dans leurs convictions les plus profondes.

Les chrétiens réclament le respect

Pour la majorité d’entre eux, leur but aujourd’hui n’est pas de porter atteinte à la liberté de création artistique, de juger des intentions du metteur en scène, de censurer la pensée d’autrui. Ils veulent réclamer le respect pour ce qu’ils ont de plus précieux en eux: leur foi dans un homme qui meurt sur une croix. Pour eux, la mort de Jésus n’appartient pas à l’artiste, mais à ses disciples agressés par cette manière de s’emparer d’elle, d’en défigurer l’image et le sens. A propos de Golgota Picnic, les évêques de France ont publié un texte:

«L’Eglise n’est ni obscurantiste, ni intégriste. Les catholiques aspirent, comme citoyens, à être respectés dans ce qui est le cœur de leur foi.»

La liberté d’expression n’est donc pas la liberté de calomnier, d’agresser autrui, de se moquer de lui. Mais on doit s’étonner de la propension de certains croyants à vouloir se réapproprier, à des fins exclusives, l’imaginaire religieux et tout le champ de la symbolique chrétienne.

Un combat mené par des groupuscules contre lesquels on doit s'élever

On doit surtout s’élever contre l’instrumentalisation politique du légitime combat pour le respect des croyances. Ce combat est ici principalement annexé par un mouvement intégriste minoritaire qui n’en finit pas de régler des comptes avec les libertés –celle de l’artiste en particulier– et la démocratie, avec la société moderne et laïque, avec les «faux catholiques» qui, depuis le concile Vatican II dans les années 1960, ont épousé leur temps et qu’ils accusent, dans leurs blogs ou éditoriaux, de pactiser avec la «franc-maçonnerie» ou de se rendre complice des «blasphémateurs».

Ceux qui sont à la pointe des protestations contre Golgota Picnic –qui s’étaient déjà manifestés contre la pièce de Castelluci sur le «visage du fils de Dieu» et qui, au printemps dernier à Avignon, avaient détruit Piss Christ, la photographie d’un crucifix plongé dans de l’urine– sont les héritiers de tous les combats de l’extrême-droite française et des haines les plus recuites.

L’institut Civitas, ainsi nommé, vient tout droit des rangs de l’Action française de Charles Maurras, de tous les courants hostiles à la Révolution, aux droits de l’homme, à la séparation de l’Eglise et de l’Etat, de la France de Vichy et de cette fraction de l’Eglise intégriste qui, à la suite de Mgr Lefebvre, n’a jamais pris son parti de la mise à jour libérale (aggiornamento) du concile Vatican II. Leurs allusions antisémites, le vocabulaire qu’ils utilisent pour juger les chrétiens qui ne sont pas de leur camp («laquais», «vermine») illustre, mieux que tout autre, la haine de leurs origines.

Si un certain antichristianisme doit être recadré, on ne peut que déplorer cette défense agressive de la «chrétienté», qui adopte les mêmes méthodes –intolérance, violence– que celles qu’elle prétend combattre. Des méthodes qui fournissent, en réalité, des arguments providentiels à tous les porte-parole de l’antichristianisme qui se font un malin plaisir de réveiller les fantasmes et les peurs de l’obscurantisme catholique.

Henri Tincq

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