Culture

Metropolis, ville de demain pour toujours

Temps de lecture : 4 min

85 ans après sa sortie, le chef d'œuvre de Fritz Lang inspire toujours la vision de la ville futuriste, au cinéma et ailleurs.

Construction des décors de Metropolis. DR
Construction des décors de Metropolis. DR

La légende veut que ce soit en arrivant à New York, un jour de l’automne 1924, à bord d’un transatlantique, que Fritz Lang eut la vision de la ville du futur qui lui aurait inspiré sa superproduction Metropolis, dont la première aura lieu en janvier 1927.

Légende construite par Lang lui-même, coutumier du fait, et de laquelle Bernard Eisenschitz fait justice, comme de beaucoup d’autres, dans le maître ouvrage Fritz Lang au travail qui vient de paraître aux éditions des Cahiers du cinéma. Dès le mois de juin 1924, le cinéaste et son épouse, Thea von Harbou, avaient terminé le scénario. Mais il est exact que ce voyage, où le cinéaste est accompagné de son producteur, Erich Pommer, et de l’architecte Erich Mendelsohn, jouera un rôle majeur dans la conception visuelle du film en projet.

L’architecture et l’urbanisme de New York, mais aussi de Chicago et de Los Angeles, passionnent le réalisateur, au sortir de la réalisation de l’immense fresque archaïque que sont Les Nibelungen.

C’est à la fois la présence des éléments architecturaux dans le film lui-même, et les documents ayant accompagné sa conception, qui sont actuellement exposés au 7e étage de la Cinémathèque française —avec en outre un espace important dédié aux tribulations du film, mutilé puis reconstitué grâce à la redécouverte récente des éléments manquants.

Le livre d’Eisenschitz, mieux que l’exposition, permet de mesurer l’importance de ces séquences retrouvées, en particulier en ce qui concerne la ville imaginée par Lang, métaphore urbaine bien plus complexe que l’opposition binaire entre le haut et le bas qu’imposait la version mutilée (et une vision souvent simpliste du film).

Les images urbaines, c’est à dire principalement les images de la ville haute, sont somptueuses. Et les dessins préparatoires d’Otto Hunte, Erich Kettelhut et Karl Vollbrecht que présente l’exposition valent autant par leurs qualités plastiques que comme témoignage d’un imaginaire à vrai dire perçu aujourd’hui comme convenu.

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Dessin d'Erich Kettelhut. DR

Ce n’est pas leur faute: les images de la «ville du futur» de Metropolis sont devenues la référence immédiate, l’archétype des représentations, et ont nourri depuis d’innombrables imitations plus ou moins inspirées, dont les plus mémorables sont bien sûr Blade Runner, Brazil, les deux Batman de Tim Burton (et quelques éléments de La Planète des singes), Le Cinquième Elément de Luc Besson, ou le très beau Metropolis du Japonais Rentaro, qui n’utilise du film de Lang que le recyclage créatif du décor, d’une manière différente de son très inspiré collègue Mamoru Oshii dans Ghost in the Shell.

Dans Metropolis, «la ville est un amas compliqué, lourd et massif, d’immeubles, traversé par des engins volants. Les formes architecturales sont connues – des tours parallélépipédiques surmontées d’une coiffe en pointe effilée et des pyramides…», écrit le philosophe et urbaniste Thierry Paquot dans l’article «Science-fiction et utopie» de La Ville au cinéma (Cahiers du cinéma).

metropolis

C’est en partie réducteur et assez injuste, mais ce n’est pas faux. Inspirée des grandes cités nord-américaines, retravaillées par les éclairages expressionnistes et des élément de design Art nouveau, la ville dans Metropolis est une imagerie plutôt qu’une projection de l’avenir —de même que le film est une fable, fable dont la morale très contestable suscite l’antipathie de Paquot y compris pour son design architectural.

Mais outre que la version reconstituée ouvre une perception autrement complexe du récit, avec la réapparition du personnage central de Hel, disparu dans les versions connues jusqu’à la redécouverte de la Cinémathèque de Buenos Aires en 2009 des séquences manquantes, il faut prendre en compte un aspect que dessins et maquettes ne montrent qu’imparfaitement.

L’un des éléments les plus importants de ce film (muet) est sa musique, la musique de sa composition visuelle. Et cette musique est celle des grandes villes. En termes d’anticipation de la ville du futur, Metropolis est un sommet visionnaire d’un genre cinématographique particulier, défini par le titre d’un des grands représentants de ce genre, Berlin, symphonie d’une grande ville de Walter Ruttman, tourné aussitôt après et au même endroit, en 1927.

Le film fondateur des «Symphonies d’une grande ville» est sauf erreur l’admirable Manhatta de Paul Strand et Charles Sheeler en 1921.

Manhatta est à certains égards la bande annonce de Metropolis, ou le film de la légendaire découverte de New York par Lang. Outre le film de Ruttman, les plus beaux fleurons sont incontestablement les séquences urbaines de L’Aurore de Murnau (toujours 1927), La Foule de King Vidor (1928), L’Homme à la caméra de Dziga Vertov (1929).

Par leur stylisation, tous jouent sur l’ambivalence entre documenter l’état présent de la grande ville et en rêver, ou en cauchemarder le devenir. On peut même mentionner, mais dans un registre qui n’a cette fois rien de moderne sur le plan des espaces construits, le premier film de Manoel de Oliveira, Douro faina fluvial (1931), consacré à Porto.

Quand au film de Lang, le seul ouvertement «au futur», l’essentiel peut-être de ce qu’il annonce ce sont moins des folies architecturales et des prouesses technologiques que des rythmes nouveaux, rythmes visuels scandés par les droites et les angles, les lumières et les ombres, rythmes des vies et des corps surtout, des déplacements massifs et des isolements des personnes, des spécifications de l’espace et des désinvestissements affectifs des lieux. En cela, oui, Metropolis raconte la ville du futur.

Mais parle-t-on ici de ville du futur pour les années 20 ou de ville du futur pour nous, près d’un siècle après? Que la réponse reste indécidable —au point que le film de Lang continue et continuera d’alimenter les visions de science-fiction— est passionnant. C’est ce qui fait la force des propositions urbaines de Metropolis, et c’est ce qui fait, au-delà de son charme fétichiste, l’intérêt de l’exposition à la Cinémathèque.

Jean-Michel Frodon

L’exposition Metropolis se tient jusqu’au 29 janvier à la Cinémathèque française, 51 rue de Bercy, Paris XIIe.

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