Alerte: on ne plaisante plus avec le virus rougeoleux. Et dès demain, une Europe épidémiologiquement incorrecte pourrait devoir rendre des comptes à l’échelon international. Depuis leur quartier général d’Atlanta, les puissants Centers for Diseases Control and Prevention (CDC) américains ont, le 2 décembre, rendu public le bilan de la situation de l’ensemble de la «région Europe» de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) –53 pays, incluant également ceux de l’ancienne Union soviétique ainsi qu’Israël et la Turquie.
Et aux yeux des autorités sanitaires américaines, ce bilan est à la fois globalement très négatif et doublement préoccupant. D’abord parce qu’il repousse à une date désormais inconnue la réalisation de l’objectif de l’éradication planétaire de la rougeole (initialement prévu pour 2010 par les Etats membres de l’OMS).
Ensuite parce que l’importation de cas en provenance d’Europe (et tout particulièrement de France) menace les pays américains qui, grâce à une politique volontariste de vaccination, étaient parvenus à établir l’éradication de cette maladie virale sur l’ensemble du continent.
Le bilan européen est détaillé dans le dernier numéro du bulletin hebdomadaire Morbidity and Mortality Weekly Report (MMWR) des CDC, daté du 2 décembre. Au 26 octobre, on a, depuis le début de l’année, recensé 26.074 cas d’infection rougeoleuse dans 36 des 53 pays de la région Europe; la France est la première concernée en valeur absolue avec donc 14.025 cas.
Sur le Vieux Continent, ce phénomène a commencé à émerger il y trois ans. Actuellement, ce sont les pays d'Europe occidentale qui sont les plus concernés (83,3% des cas) loin devant ceux d’Europe centrale et orientale (13,7%) et ceux de l'ex-Union soviétique 780 (3,0%). Les personnes infectées ont une fois sur deux plus de 15 ans et une fois sur quatre moins de 5 ans. Dans 90% des cas, ces personnes n’avaient pas été vaccinées ou aucune trace d’une vaccination anti-rougeoleuse les concernant n’a pu être retrouvée. Du fait de la gravité de l’infection, une hospitalisation a été nécessaire dans 28% des cas. Neuf décès ont été signalés: six en France, un en Allemagne, un au Kirghizistan et un en Roumanie.
Tout sauf une maladie bénigne
Les autorités sanitaires américaines observent que la situation qui prévaut en Europe pourrait être aisément prévenue par une couverture vaccinale supérieure à ce qu’elle est devenue. Elles soulignent aussi que les neuf décès et les milliers d’hospitalisations viennent rappeler que la rougeole est tout sauf une maladie bénigne (image qui est souvent la sienne aujourd’hui) y compris dans les pays ne connaissant pas la malnutrition infantile et dotés d’un bon système de santé sinon, toujours, de prévention vaccinale.
Plus grave, ces mêmes autorités font officiellement remarquer que les pays européens doivent désormais être considérés comme une source potentielle d’introduction du virus rougeoleux (via des personnes infectées, malades ou en cours d’incubation) dans des pays qui étaient devenus indemnes du fait d’une politique vaccinale durablement soutenue. Devenus indemnes, et qui pensaient bien le rester.
Or, c’est précisément le cas des Etats-Unis. Le pays a d’ores et déjà recensé au minimum vingt cas d’origine européenne dont plus de la moitié d’origine française. Depuis le début de l’année, un millier de cas ont d’autre part été identifiés dans l’ensemble de la région Amérique de l’OMS. Tout ceci a, au total, «nécessité la mise en œuvre de mesures de santé publique importantes et coûteuses» comme l’organisation de campagnes de vaccination dans les zones ou des cas sont diagnostiqués.
«Il y a bien un pays, en Europe, qui a réussi à éliminer durablement toute transmission autochtone de rougeole, c’est la Slovaquie, observe sur son blog Antoine Flahault, professeur de santé publique. Qui l’eut cru? Entre 2006 et 2010, pas un seul cas de rougeole n’a été rapporté de ce pays qui doit redouter aujourd’hui l’afflux de visiteurs français. Et pourquoi? Parce que plus de 99% de sa population est correctement vaccinée. Et comment la Slovaquie arrive-t-elle à vacciner 99% de sa population? Eh bien, en ayant décidé d’appliquer la politique préconisée avec succès pour les Amériques et s’être détournée du laxisme européen en la matière. […] Les Amériques nous ont montré que quand on veut, on peut éliminer durablement la transmission de la rougeole sur de très vastes territoires. Ce n’est pas une question de faibles moyens financiers, ni d’état de dénutrition de la population, ni véritablement d’inégalités sociales de santé: qui ira faire croire que ces facteurs seraient plus fréquents en France qu’en Bolivie, au Surinam ou au Brésil? Ce n’est pas une question de taille du territoire non plus, car si la Slovaquie n’a qu’un peu plus de 5 millions d’habitants, le Limousin qui n’en a pas 750.000 a compté dans la seule année 2011 (non terminée) 1.158 cas de rougeole.»
Une situation bien connue
Les autorités sanitaires françaises connaissent parfaitement depuis longtemps la situation qui prévaut dans l’Hexagone. Il y a deux ans déjà, je vous parlais de la nécessité d’une politique de vaccination obligatoire contre la rougeole. Une épidémie française et européenne avait alors émergé et l’Institut national de veille sanitaire avait alors parfaitement exposé dans son Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH) les données du problème, qui témoignait de manière exemplaire de ce que peuvent aujourd’hui être les résistances individuelles comme les incohérences des politiques sanitaires dans le champ vaccinal.
En 2008, 7.822 cas de rougeole avaient été enregistrés dans 32 pays de la région Europe de l’OMS, dont 90% dans six pays seulement: Suisse, Italie, Royaume-Uni, Allemagne, France et Autriche.
D'autres flambées avaient été décrites dans certains groupes spécifiques comme les communautés Roms et Sinti en Italie, les Roms et certains immigrants en Grèce. Ce même phénomène a aussi été observé dans les communautés juives orthodoxes en Belgique et au Royaume-Uni, dans un groupe religieux traditionnaliste en France et dans la communauté deq gens du voyage au Royaume-Uni et en Norvège. La majorité de ces cas touchaient des enfants non vaccinés ou insuffisamment vaccinés. Et le bilan 2008 était déjà le double de celui de 2007.
Résistance croissante vis-à-vis des vaccinations
L'équation est on ne peut plus simple d’un point de vue sanitaire. Elle est nettement plus ardue d’un point de vue politique du fait des résistances croissantes observées vis-à-vis des vaccinations en général.
Nul ne conteste que la rougeole, maladie virale très contagieuse, peut avoir des conséquences neurologiques graves, parfois mortelles. Un vaccin anti-rougeoleux existe depuis plus de vingt ans et a suffisamment fait la preuve de son efficacité et de son innocuité pour, dans la plupart des pays industriels, avoir été intégré dans les programmes officiels de vaccination des enfants (le plus souvent associé aux vaccins contre la rubéole et les oreillons).
Or, cette vaccination n’a pas été rendue obligatoire (pas plus que celles contre la rubéole, les oreillons ou l’hépatite virale de type B) et la couverture vaccinale européenne actuelle, nettement inférieure aux recommandations internationales (qui sont de 95%), explique à elle seule les résurgences épidémiques. La situation est d’autant plus paradoxale que les pays de la région européenne de l'OMS s'étaient engagés, en 1998, à obtenir en 2010 l'éradication de la rougeole sur leur territoire.
En 2009, le Pr Didier Houssin, qui fut directeur général de la Santé de mars 2005 à mai 2011, soulignait dans le BEH que la France était passée de 40 cas annuels en 2006 et 2007 à plus de 600 cas en 2008. Pour les dix premiers mois de 2011, ce sont les responsables sanitaires américains qui révèlent à l’échelon international que le cap des 14.000 cas a déjà été dépassé en France. «La clé du succès réside dans l'augmentation de la couverture vaccinale des nourrissons et dans le rattrapage vaccinal des enfants, adolescents et adultes jeunes, comme le recommande le calendrier vaccinal», expliquait il y a deux ans le Pr Houssin à l'adresse de l’ensemble des professionnels de santé français. Il ne semble nullement avoir été en mesure de se faire entendre.
Jean-Yves Nau