La semaine dernière je suis intervenu dans un symposium. Je ne sais pas pour vous, mais moi quand j’entends le mot symposium ça me rend tout chose. «Intervenir dans un symposium» c’est un peu comme «Diriger une délégation.» Ca fait très La mémoire dans la peau, si vous voyez ce que je veux dire.
Imaginez-vous en train de dire: «J’arriverai avec ma délégation…pour le symposium». Ca ne vous chatouillerait pas un peu l’ego, en mode reconnaissance internationale?
Le sujet du symposium susmentionné? Il s’intitulait «Fashion Icons and Insiders.» La veille, quand j’ai voulu préparer mes notes, j’ai découvert ce qui m’était demandé. Beurk! On me réclamait un discours sur ce que cela faisait «d’être une icône fashion».
C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que le terme icône fashion était devenu un peu trop fourre-tout. Il est aujourd’hui trimballé de droite et de gauche comme un vieux sac à main Nine West. Je suis autant une icône de la mode que Ratso Rizzo et Raïssa Gorbatcheva.
Naturellement, mon inclination naturelle à la pédanterie a pris le dessus et je me suis surpris à utiliser ce marchepied pour établir avec ma maniaquerie habituelle de nouvelles définitions plus ciblées, sept en tout.
Permettez-moi de m’étendre:
Les icônes haute couture
Ce sont des anticonformistes, des provocateurs de mode dadaïstes prêts à tout. La force qui les pousse à stupéfier et à déconcerter les autres par leur apparence n’est rendue que plus mystérieuse par le fait qu’elle ne semble servir aucune fonction spécifique.
Parmi les exemples historiques, citons la Marchesa Casati —qui se noircissait les yeux au Kohl et partageait son palais vénitien avec des léopards et des gorilles— et Nancy Cunard, garçonne de la haute sortie du droit chemin.
Dans les années 1920, elle arborait des tonnes de bracelets en ivoire et son attirance sexuelle fièrement affichée pour les hommes noirs fit voler en éclat les tabous de l’époque.
Daphnée Guinness à l'enterrement d'Alexander Mc Queen, à Londres, le 20 septembre 2010. REUTERS/Paul Hackett
La très honorable Daphne Guinness est la Casati/Cunard d’aujourd’hui. Si vous allez à New York cette fin d’année, ne manquez pas l’exposition éponyme au Fashion Institute of Technology—mon symposium était prévu pour coïncider avec cet événement—où vous pourrez admirer sa hardiesse fashion dans toute sa splendeur.
Quand on examine les chaussures atrocement importables de Daphne, et ses tenues Mc Queen et Chanel magnifiquement démentes, on se rend compte qu’être une icône de la haute couture n’est pas pour les mauviettes.
Après avoir mis en haleine un entourage qui en attend toujours plus, l’icône de la haute couture est ensuite obligée de clopiner dans des tenues toujours plus outrancières, tout en maintenant un poids méchamment bas.
Être une icône de la haute couture est, sous bien des aspects, un sacerdoce. Rien de surprenant si ces nanas finissent par se retirer du monde ou simplement par se consumer. Bianca Jagger en est un bon exemple: dans les années 1970, elle était la fille la plus belle et affichant la plus audacieuse élégance du monde.
Tout en étant sauvagement féminine, l’ex de Mick était aussi capable d’assumer son côté masculin dans de coquets costumes à la George Sand. Avec ses chapeaux melon et ses cannes, elle était une cliente capitale du magasin de confection de Savile Row où je travaillais à l’époque. Dans les années 1980, elle a laissé tomber le dandysme pour se transformer en activiste à anorak.
Les icônes fashion célèbres
Malgré toute la répugnance que j’éprouve à inclure les actrices de cinéma habillées gratis dans cette discussion, je dois admettre qu’il en est quelques-unes qui affichent une individualité iconique sur le tapis rouge.
L’extraordinaire Tilda Swinton est le numero uno. Avec sa beauté toute en langueur, naturelle et pensive, elle est l’anti-Kardashian. Cate Blanchett et Sarah Jessica Parker appartiennent à la même catégorie.
Tilda Swinton à la cérémonie des Césars, le 28 février 2009, à Paris. REUTERS/Gonzalo Fuentes
Les femmes ne rêvent pas nécessairement de ressembler à ces icônes fashion célèbres. Elles considèrent plutôt que ces femmes sacrifient leur charme sexuel sur l’autel d’un style au potentiel de repoussoir à hommes.
Il est à peine surprenant que les plus grands fans des icônes fashion célèbres soient en fait les designers eux-mêmes. À l’instar des icônes de la haute couture, les célébrités jouent souvent le rôle de muses. Quand Tilda porte votre robe, vous allez vous coucher avec le sourire.
Les icônes populaires
Ce sont les femmes à qui nous voulons toutes ressembler, et qui forment par conséquent un groupe étonnamment et fabuleusement varié. Les icônes populaires d’autrefois s’appelaient Mary Pickford, Joan Crawford, Marilyn, Twiggy et Madge.
Plus près de nous, il y a Pamela Anderson et Paris Hilton. Ces filles incarnent l’esprit d’une époque particulière et influencent le style de la femme de la rue.
J’ai toujours eu un faible pour la femme de la rue. La voilà qui passe, et qui se fait siffler par des ouvriers du bâtiment —si elle a de la chance— tout en se faisant rudoyer par des rafales de vent et de pluie.
Soyez gentil avec elle. N’oubliez jamais que la femme de la rue est «en danger.» Elle est à la merci de toutes ces icones populaires influentes: par la faute de Rihanna et de Beyonce, la femme de la rue est désormais obligée de sortir de chez elle sans sa jupe, et il commence à faire froid dehors.
Les icônes cumulardes
Lady Gaga et Nicki Minaj parviennent on ne sait comment à être à la fois atrocement populaires et sauvagement haute couture: conséquence, elles relèvent des trois catégories iconiques susmentionnées.
Les icônes royales
Ces filles méritent un groupe à elles. Bien qu’elles accusent parfois une certaine tendance à la sobriété, voire qu’elle soient carrément ampoulées, elles sont souvent extrêmement influentes.
Comme je suis né l’année du couronnement de SAR Elizabeth II, j’ai grandi au milieu de femmes qui singeaient les twin-sets que portait la Reine hors de ses heures de service, et sa bizarre coiffure cornue.
Dans les années 1980, la femme de la rue jeta son dévolu sur la princesse Diana. Aujourd’hui, la tête couronnée incontournable c’est Kate Middleton, duchesse de Cambridge.
Barack Obama, le prince William, la duchesse Katherine Middleton et Michelle Obama, au palais de Buckingham à Londres, le 24 mai 2011. REUTERS/Charles Dharapak
Les premières dames américaines partagent beaucoup de points communs avec ce groupe. Leurs choix en termes de mode, discrets et examinés sous toutes les coutures, doivent refléter un sens de l’à propos tout en communiquant une idée d’autodénigrement.
Tout comme les têtes couronnées, elle doivent éviter toute touche de chic parisien, tout ce qui est trop ostensiblement européen étant susceptible de suggérer vanité ou propension au laisser-aller façon garce.
Les icônes initiées
En se créant un look tout personnel, certains fonctionnaires de la mode s’assurent qu’ils sont facilement repérables par la femme de la rue. Ces gens-là sont très peu nombreux.
En fait, on peut les compter sur les doigts d’une main: Anna Wintour, Karl Lagerfeld, Donatella Versace et Valentino. Chacun a une marque de fabrique ou deux.
Tom Ford au mariage de Lara Stone et du comédien David Walliams à Londres, le 16 mai 2010. REUTERS/Paul Hackett.
Le beau gosse Tom Ford, avec sa barbe de trois jours, est candidat à la position de cinquième doigt: ses apparitions continuelles dans ses propres publicités —Pourquoi regarde-t-il le mannequin Lara Stone avec des yeux lubriques? Je croyais qu’il était gay. Est-ce qu’elle n’est pas mariée avec ce type de Little Britain incarnant la vieille dame qui souffre de problèmes urologiques?— sont en train de lui ouvrir un chemin vers le pays des icônes.
Les icônes improbables et involontaires
Comme disaient les hippies, ça c’est vraiment freaky. Le meilleur exemple était probablement Edie Beale. Les créateurs de mode sont obsédés par la démence pleine de vie de la star de Grey Gardens, qui traverse ce documentaire avec un grand naturel, en arborant des jupes à l’envers et des chemises enroulées en turban autour de la tête.
Parmi les autres improbables icônes fashion citons l’explosive ukrainienne Ioulia Timochenko —avec sa folklorique couronne tressée et sa récente incarcération— et, naturellement, Unabomber, qui selon beaucoup a remis à la mode les capuches et les lunettes d’aviateurs des années 1970.
Je suis certain qu’il y a une foule d’autres icônes fashion improbables dans la stratosphère. Mais je suis bien trop fatigué pour continuer à me creuser la tête.
Je souffre d’épuisement post-symposium et j’ai besoin de faire une sieste. Pendant que je dors, n’hésitez pas à déposer vos visions des icônes involontaires dans la boîte à commentaires.
Simon Doonan
Traduit par Bérengère Viennot