Économie

Quand l'Europe appelle à l’aide ses anciennes colonies

Temps de lecture : 4 min

Après le temps de la colonisation triomphante et après celui du paternalisme condescendant des Trente Glorieuses, l'Europe, en pleine crise économique, essaye désespérément de se raccrocher à la croissance de ses anciennes colonies.

Chaîne de production d'une usine de Tata Motors à Sanand en Inde, le 02 juin 2010.REUTERS/Amit Dave
Chaîne de production d'une usine de Tata Motors à Sanand en Inde, le 02 juin 2010.REUTERS/Amit Dave

C’est l’indice inquiétant d’une nouvelle tendance dont l’écho a été occulté par les nouvelles des troubles en Egypte et en Syrie, le voyage d’Obama en Asie et le débat qui agite Washington entre la préservation de l’emploi et la lutte contre les déficits. Dans un article du New York Times, Adam Nossiter relève que le Portugal a lancé un appel à l’aide financière à l’Angola, son ancienne colonie.

Quand la fierté nationale passe au second plan

Sans grand bruit, l’Angola, autrefois source intarissable pour les négriers et l’économie coloniale, est devenu ces dernières années le plus grand producteur de pétrole d’Afrique, au coude à coude avec le Nigéria qui lui est légèrement repassé devant en 2010.

Dernière illustration –la plus visible étant l’appel de l’Italie lancé à la Chine pour obtenir des fonds– du virage à 180 degrés opéré par les flux de capitaux dans le monde. Tandis que les principaux bailleurs historiques des Etats-Unis et de l’Europe souffrent eux-mêmes, la recherche de «prêteurs en dernier ressort» s’est intensifiée. Dans un tel climat, la fierté nationale passe clairement au second plan.

L’ironie, bien sûr, n’échappe à personne. Le Portugal a administré sa colonie angolaise jusqu’en 1975, et sa mainmise (avec le soutien des Etats-Unis) a subsisté pendant la longue période de Guerre Froide où les rebelles pro-américains de l’Unita s’opposaient les armes à la main aux membres du MPLA (Mouvement de libération de l’Angola) soutenus par l’Union soviétique. Le MPLA l’a finalement emporté et dirige encore le pays. L’idée que l’Angola devienne le créancier de son ancien maître n’est pas sans réjouir largement le MPLA.

Dans ces temps troublés, les anciennes puissances impérialistes où qu’elles soient, ont trouvé de puissants avantages à dépasser leurs aversions ancestrales. Le 22 novembre, par exemple, un ancien dirigeant de l’entreprise pétrolière italienne ENI a emporté le poste très convoité de ministre du Pétrole dans le nouveau gouvernement libyen.

L'Amérique latine n'est plus le problème mais la solution

En Amérique latine en octobre, lors du 21e sommet Hispano-Américain, les représentants européens –l’Espagne, le Portugal et la minuscule Andorre– ont fait montre d’une attitude bien plus conciliante que par le passé. Assis parmi les représentants du Brésil et des puissances moyennes en pleine expansion que sont le Pérou et la Colombie, les Etats qui ont «découvert» l’Amérique faisaient pâle figure. Comme l’a fait remarquer assez diplomatiquement le secrétaire général uruguayen:

«Pour la première fois, l’Amérique latine n’est plus une partie du problème, mais une partie de la solution.»

Pendant les années de boom, l’Espagne comme le Portugal ont tiré profit de leurs avantages linguistiques en investissant très largement les marchés de la banque, de la distribution et des technologies en Amérique latine. Telefonica, le géant espagnol des télécommunications, est probablement le meilleur exemple de cette stratégie – utiliser les investissements en Amérique latine pour faire d’une entreprise de téléphonie autrefois déclinante la cinquième entreprise de télécommunications mondiale.

Mais les entreprises espagnoles n’ont plus un euro en poche.

Le Royaume-Uni, à la remorque du Commonwealth?

Le plus grand des empires européens, lui aussi, se fait poignarder à ce jeu. David Cameron, le premier ministre britannique, a fait du développement de liens économiques avec le géant émergent indien –autrefois «Joyau de la couronne» de l’empire britannique– une priorité majeure.

On aurait presque pu entendre le soupir de soulagement collectif qu’ont poussé les Britanniques lorsque Tata Motors, l’énorme branche automobile du conglomérat indien, a confirmé qu’il construirait une nouvelle usine de fabrication de Land Rovers au Royaume-Uni, et pas en Inde, comme on l’avait craint. Le rachat de Land Rover et de Jaguar en 2008 a effectivement mis fin à un siècle d’industrie automobile sous pavillon britannique. Une autre branche de Tata, Tata Steel, a acquis la triste et déliquescente British Steel en 2007.

Pendant les années de boom, rétablir des liens avec les anciennes colonies –souvent sous couvert d’exploiter une langue commune– faisait fureur. Des années durant, les Britanniques s’y sont essayé, avec un succès mitigé, à travers le Commonwealth. Mais leurs efforts n’ont vraiment porté leurs fruits qu’après le passage du millénaire.

L'espace francophone essentiel à la santé économique de la France

La France a fait des sommets annuels de la «Francophonie» un cheval de Troie pour les fleurons de son industrie nationale. Jamais avares de paternalisme, notamment dans l’ancienne Afrique française, les sommets ont pourtant été ces dernières années de moins en moins déséquilibrés à mesure que ses membres en pleine croissance économique présentaient soudain des débouchés qui allaient au-delà de l’obtention de grosses concessions pour les multinationales françaises.

Comme on peut lire sur le site de la Francophonie, «l’espace francophone totalise 19% du commerce mondial de marchandises. Avec 18,9% des exportations et 19% des importations mondiales, les pays francophones représentent 19% du commerce mondial de marchandises».

Avec l’effondrement des débouchés pour les marchandises françaises dans la zone européenne, ces chiffres sont plus attrayants que jamais. Dans le passé, par manque de confiance en eux et patriotisme économique, les Français ont bloqué plusieurs OPA d’entreprises étrangères sur des entreprises françaises, comme l’offensive de Pepsi contre Danone ; et déployé sans succès maints efforts pour empêcher l’indien Mittal de racheter le groupe sidérurgique Arcelor. Mais compte tenu de la hausse vertigineuse des taux d’intérêts de la dette pour la France, un tel nationalisme ne semble plus tenable. Pour les anciennes colonies de la France –et également pour celles des Britanniques, des Belges, des Néerlandais et des Allemands– les ex-puissances coloniales sont devenues un marché d’acheteurs, à la merci de leur bon vouloir.

Michael Moran

Traduit par Florence Boulin

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