France

Du Sofitel à Renault, les espions passés au CAC40

Temps de lecture : 5 min

L’affaire DSK a mis en lumière un phénomène répandu: l’utilisation par les grands groupes d’anciens militaires ou policiers pour assurer leur sécurité.

Dans une rue de Londres en 2006. REUTERS/Luke MacGregor
Dans une rue de Londres en 2006. REUTERS/Luke MacGregor

En soulevant de nouvelles zones d’ombre dans l’affaire DSK, les journalistes Edward Epstein et Michel Taubmann ont brusquement relancé la théorie du complot, un peu en sommeil depuis quelques mois. Parmi leurs cibles indirectes: René-Georges Querry, le directeur de la sûreté du groupe Accor au moment des faits.

Le soir de l’arrestation de DSK, Querry assistait à la finale de la Coupe de France aux côtés de Nicolas Sarkozy, dans la tribune présidentielle du Stade de France. Deux heures après la fin du match, c’est lui qui alertait Ange Mancini, le coordinateur du renseignement à l’Elysée. Puis quelques mois plus tard, il quittait discrètement le groupe Accor pour rejoindre celui de Vincent Bolloré, ami intime du chef de l’Etat. De quoi en faire un suspect idéal aux yeux des conspirationnistes, persuadés que DSK, quelles que soient ses turpitudes avérées, a été victime d’une machination.

L’œil de Moscou

Mais qui est vraiment René-Georges Querry? Dans un long entretien accordé l’an dernier au sociologue Frédéric Ocqueteau et publiée dans la revue Sécurité & Stratégies, l’ancien grand flic revient longuement sur son parcours et sa reconversion dans le privé.

Au sein de la police, rares sont ceux qui peuvent se targuer d’un CV aussi bien rempli: plus de trente ans de services dont près de vingt au Quai des Orfèvres, ancien chef de cabinet à la Direction générale de la police nationale puis patron du service de protection des hautes personnalités (SPHP), Querry a également créé l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) et dirigé le service de coopération technique internationale de police (SCTIP). Bref, une pointure reconnue de la «maison Poulaga».

En 2003, le policier a 56 ans lorsqu’un de ses collègues lui parle d’un poste à pourvoir chez Accor. Son profil intéresse tout particulièrement le géant de l’hôtellerie, qui se cherche alors son «M. Sécurité». L’entretien d’embauche est une formalité. «Cher ami, lui dit-on d’emblée, vous avez carte blanche, faites ce que vous voulez, faites ce que vous pouvez pour nous.»

Sa mission: la sécurité du groupe et la prévention des risques. Pour Accor, il s’agit d’abord de protéger les hôtels situés dans des zones sensibles. Braquages, menaces d’attentat, tensions avec les populations locales… la fonction s’étoffe au gré des situations de crise.

Mais en interne, l’ancien flic reçoit un accueil plutôt mitigé. En France, la sécurité privée n’a pas bonne presse et les milices patronales des années 1970 ont laissé des traces. Comme dans de nombreuses entreprises, le service sécurité est souvent considéré comme une cellule d’espionnage à la solde de la direction. «J’étais perçu comme un danseur étoile, recruté par le top management pour être par définition l’œil de Moscou», reconnaît Querry.

Baguette magique

L’entregent de l’ancien grand flic en fait pourtant rapidement un élément indispensable à la stratégie du groupe. Son précieux réseau lui permet de gérer les problèmes quotidiens sans faire de vagues. Lorsqu’un responsable d’hôtel lui parle d’un problème de proxénétisme dans un établissement, un coup de fil au commissaire du coin et l’affaire est classée. «Le directeur a vu son problème réglé d’un coup de baguette magique en un rien de temps, alors qu’il aurait fallu six mois autrement», se targue Querry.

Plus encore que les compétences techniques, ce réseau fait des anciens policiers une arme redoutable pour les entreprises. Au risque de mélanger allègrement public et privé. C’est pourtant une des tendances lourdes observées ces dernières d’années, les grands groupes étant confrontés à un nombre croissant de nouveaux risques liés à la mondialisation.

Traditionnellement, la sécurité d’une entreprise regroupe la protection physique des sites et des salariés: gardiennage, sécurité incendie, vidéosurveillance… Mais elle comprend aussi la défense de ses biens immatériels, brevets, savoir-faire ou encore réputation.

On rejoint là les problématiques classiques de l’intelligence économique, dont l’objectif est de lutter contre l’espionnage industriel, les campagnes de désinformation ou le piratage informatique. Face à ces menaces multiples, la plupart des entreprises cherchent à se convertir au concept en vogue de «sécurité globale», soit en sous-traitant cette tâche à des sociétés spécialisées, soit en créant des services internes spécifiques.

Un marché juteux pour les fonctionnaires en mal de reconversion. Anciens policiers des RG ou de la DST, préfets en disponibilité ou militaires en fin de carrière, ils sont de plus en plus nombreux à mettre leur expérience et surtout leur réseau au service du privé.

Militarisation

Chercheur au CNRS et auteur de l’entretien avec René-Georges Querry, Frédéric Ocqueteau est également l’auteur d’une enquête poussée sur le profil des directeurs «sûreté et sécurité» des entreprises. «On parle aujourd’hui de sécurité globale, mais les compétences correspondant à ce concept n’existent pas encore», déplore le sociologue.

Ecoles de commerce et université prestigieuses proposent depuis quelques années des masters de sécurité orientés business. Mais la profession continue à s’articuler autour de deux grands pôles, souvent complémentaires aux yeux des employeurs.

D’un côté les anciens policiers, à l’image de René-Georges Querry, capables de mobiliser leurs réseaux au sein de l’appareil d’Etat en cas de crise comme celle du Sofitel de New York. De l’autre les militaires, réputés pour leur culture du terrain et leur bonne connaissance des circuits de renseignement. Ces derniers, dont l’âge de départ à la retraite est l’un des plus précoces de la fonction publique, restent les plus prisés par les entreprises.

Dans les secteurs à risque, comme le nucléaire ou l’armement, le recours aux militaires est également un moyen d’échanger des informations sensibles avec certains services de l’Etat. Mais cette tendance sécuritaire va bien au-delà. «On assiste à une militarisation tous azimut», résume Frédéric Ocqueteau.

Pour faire face aux menaces internes et externes, tous les grands groupes du CAC 40 possèdent désormais leur police privée, dont les piliers n’ont pas toujours la fibre managériale. Une différence de culture qui a donné lieu, ces dernières années, à de nombreuses dérives.

Les barbouzes

Dernière affaire jugée: celle impliquant deux anciens policiers affectés à la sécurité de Canal+, Gilles Kaehlin et Gilbert Borelli, qui viennent d’être condamnés pour l’espionnage de Bruno Gaccio. Le duo avait embauché un ancien agent du service action de la DGSE, chargé notamment de pister l’animateur vedette de la chaîne jusqu’à sa maison de vacances.

Un mois plus tôt, c’était au tour d’EDF de voir ses barbouzes encore plus lourdement condamnés. Accusés d’avoir mandaté une officine pour faire espionner Greenpeace, l’ex-policier Pierre-Paul François et son supérieur hiérarchique, le contre-amiral Pascal Durieux, ont écopé de peines exemplaires. «Nul ne doit se sentir autorisé à violer la loi, quels que soient sa fonction, son passé et l'état de ses réseaux d'influence», a tonné le procureur dans un réquisitoire qui devrait faire date.

Mais dans ce climat hautement paranoïaque, le cas le plus emblématique des dysfonctionnements d’un service de sécurité reste sans doute la vraie-fausse affaire d’espionnage chez Renault. Soupçonnés de détenir des comptes off shore et d’avoir collaboré avec une puissance étrangère, trois cadres du constructeur automobile ont été brutalement mis à pied début janvier.

Avant d’être indemnisés quelques mois plus tard, faute de preuves.

Principal artisan de cette débâcle: Dominique Gevrey, numéro 2 de la sécurité de Renault et ancien du DPSD, les services secrets militaires. Soupçonné d’être au cœur d’une escroquerie au renseignement, Gevrey n’a pas encore livré tous ses secrets, son avocat laissant entendre qu’il aurait pu être lui-même manipulé.

Mais Renault a déjà tiré certaines leçons de cette sombre affaire en modifiant radicalement son organigramme et en confiant les rênes de sa sécurité à un ingénieur reconnu. Une mini-révolution au sein de l’entreprise. Jusqu’ici, le service était dirigé par un ancien agent de la DGSE.

Emmanuel Fansten

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