France

Emploi: le difficile retour au civil pour les militaires

Temps de lecture : 5 min

Une carrière dans l'armée, ça ne dure pas toute une vie. La Défense investit pour que le chômage ne soit pas l'avenir de ceux qui en partent.

Un exercice de la Légion étrangère en 2011. REUTERS/Ranu Abhelakh
Un exercice de la Légion étrangère en 2011. REUTERS/Ranu Abhelakh

Que faire après l'armée? En 2010, 19.000 militaires ont quitté la Grande muette, et le nombre devrait être équivalent pour 2011. Face à eux, un défi: se reconvertir dans le privé. Pour le ministère de la Défense, leur assurer une seconde vie digne de ce nom est un enjeu majeur. Il propose via son service Défense Mobilité un processus de reclassement complet: orientation, construction d'un projet, formation, placement en entreprise. Le général Jean-Paul Martial, directeur de Défense Mobilité, explique:

«Se reconvertir est extrêmement anxiogène. Quitter un univers professionnel pour aller vers l'inconnu … c'est pareil pour un soldat, un colonel ou un général: lorsqu'ils entrent dans la démarche, ils font face à un mur. »

Le brigadier-chef Henry Peïo fait partie de ceux-là. Vingt-deux ans dans les forces spéciales. Des situations périlleuses dans des pays lointains. Une vraie expertise de la guerre, des armes, de la protection rapprochée. Henry Peïo a consacré une bonne partie de sa vie au 1er régiment parachutiste d'infanterie de marine (1er RPIMa). Jusqu'au jour où l'âge limite est atteint. Il faut alors retourner à une vie normale, une vie civile. Avec tous ses charmes:

«Je n'avais jamais foutu les pieds à la CPAM (caisse primaire d'assurance maladie). A l'armée, vous êtes assisté pour toutes ces choses et là, vous vous retrouvez comme un gamin de 5 ans. Qu'est-ce que je dois mettre sur mon CV? Que je sais tirer avec telle et telle arme? A Pôle Emploi, ils sont perdus face à vous.»

Il décide de monter un site de recrutement, Veterans Jobs Center, qui est soutenu par Défense Mobilité, afin d'aider quelques-uns des milliers d'autres militaires qui comme lui ne savent pas trop quoi mettre sur leurs CV en quittant le service. Autant d'hommes et de femmes qui ont besoin de se réhabituer à la société traditionnelle.

Dur de caser les jeunes et les vieux

Défense Mobilité se félicite de résultats en hausse chaque année. Sur les 15.422 inscrits en 2010 à ce service, 54% trouvent rapidement un nouvel emploi. Mais si les officiers et les sous-officiers arrivent en général à s'adapter (70% de reclassement), les militaires du rang éprouvent plus de difficultés (50% de reclassement). Parmi eux, ils sont près de 7.000 à ne pas avoir atteint les 4 ans nécessaires pour bénéficier d'une formation. Pour ces égarés de l'uniforme dont la plupart ont quitté les rangs au cours des six premiers mois, il n'y aura au mieux qu'un peu de conseil.

Jean-Paul Martial remarque que les militaires subissent les mêmes déconvenues que les civils sur le marché de l'emploi. Les plus jeunes et les seniors sont ceux qui peinent le plus à trouver du travail. Lui et ses équipes enseignent aux futurs civils comment développer une approche pragmatique. Les candidats conçoivent des projets qu'ils transposent au métier et à la zone géographique de leur choix.

Un quart d'entre eux se dirigeront vers le transport et la logistique. 15% opteront pour le service à la personne et à la collectivité, cette dernière catégorie incluant les métiers de la sécurité. Une majorité peut faire valoir les savoir-faire techniques accumulés sur les rangs. Beaucoup, quelle que soit leur situation, éprouvent une vraie difficulté à effectuer la transition d’un monde à l’autre.

1.400 euros par candidat

Pour les aider, le ministère de la Défense met les moyens. Le pôle Défense Mobilité dispose d'antennes et de conseillers dans toute la France et dans tous les régiments. 688 personnes, militaires et civils bénéficiant de contacts privilégiés avec 60 grandes entreprises et ministères ainsi que 12.000 sociétés. Le tout pour un budget de 21,5 millions d'euros. Soit un investissement de 1.400 euros par candidat contre 780 euros pour un inscrit au Pôle Emploi. Les résultats sont presque imbattables. Officiellement, à 5 ans, le taux de chômage des anciens militaires serait inférieur à 0,5%.

Les témoignages sont pourtant beaucoup moins optimistes. Après une prestigieuse carrière au sein des commandos de marine, le premier maître Olivier a réussit sa réorientation. En 2007, après 22 ans en uniforme, il troque le treillis contre un costume. Transformé en commercial pour une société privée d'assurances, il devient rapidement cadre. Le bilan au bout de 4 ans de vie civile?

«Je m'ennuie. Je me suis rapidement adapté, j'ai changé mon langage et j'ai appris à commander à des femmes. Mais j'ai fait le tour assez rapidement. Aujourd'hui, je cherche des missions dans les sociétés militaires privées pour retrouver un épanouissement.»

Voyager. Vivre au cœur de l'action et de l'adrénaline dans des régions hostiles. Appartenir à une fraternité d’armes. Olivier est conscient que ce type d'emploi lui apporterait aussi une meilleure rémunération. Les sociétés militaires privées sont interdites en France et pour ceux qui rêvent d'embrasser cette carrière, même s’ils restent peu nombreux, il faut se tourner vers l'étranger. Par bouche-à-oreille, on s'échange les bons numéros, entre vieux camarades. A Défense Mobilité, on assure que personne ne s'intéresse au sujet puisque de toute manière, ce type d'entreprises n'existe pas en France.

La faute aux vieux adjudants

La machine de guerre de Défense Mobilité propose de nombreuses opportunités aux candidats au reclassement. Des formations, des conseils, des bilans d'orientation. Les entreprises sont au rendez-vous. Patrice Lefort-Lavauzelle, président de l'association des entreprises partenaires de la défense, vante les qualités d'une population de valeur «non seulement pour les entreprises du monde de l'armement mais pour toutes celles, de la TPE au grand groupe international, qui ont besoin d'une expertise technique mais aussi d'un “savoir être”». «Don de soi, respect d'une certaine hiérarchie, souci du compte-rendu, habitude de travailler sous stress, esprit d'équipe.» Le candidat idéal pour n'importe quelle société.

Pour ceux qui peinent à trouver leur chemin, on évoque souvent la faute des «vieux adjudants». Des militaires ont rencontré aux quatre coins de la France des sous-officiers chargés de les accompagner dans leur reconversion. S’ils sont sensés être parfaitement au courant des réalités de leur bassin d’emploi, ils peinent parfois à trouver des solutions alternatives à la palette proposée par l’institution.

Après cinq ans sous les drapeaux, Marc prépare une nouvelle carrière dans la garde rapprochée à l'international. Un métier en freelance que son interlocuteur à Défense Mobilité ne trouve pas sérieux. Il préfère lui proposer d'autres formations dans la sécurité qui lui permettront d'obtenir un certificat… déjà validé par acquis d'expérience.

«Ils m'ont orienté vers une formation pour laquelle ils avaient un partenariat mais qui ne me correspondait pas. L'adjudant-chef qui me suivait restait toujours très vague. Il n'était pas à sa place: avant, il était mécano sur char.»

Ces mauvaises expériences et un passé plutôt laborieux de l'institution en matière de reconversion ont laissé vivre de nombreux clichés. Aujourd'hui, de nombreux candidats quittent les rangs sans aller au bout de ces démarches, convaincus qu'ils ne trouveront pas de solution leur convenant. Pas envie de terminer chauffeur poids lourd ou vigile sur un parking.

«J'avais une mauvaise impression du bureau de recrutement donc je ne me suis pas renseigné. J’ai préféré me débrouiller seul, se souvient Pierre Bredeau. Au bout de huit mois, c'est eux qui m'ont contacté. J'ai raté l'appel et n’ai plus jamais eu de nouvelles.»

Revenu à la vie civile après 10 ans comme sous-officier dans les transmissions, il rêvait de créer une entreprise. Avec les conseils d'amis, il monte tranquillement Civimil, un petit cabinet de recrutement destiné à ses anciens «frères d'armes». Il souhaite leur proposer d'autres alternatives et se concentrer sur les métiers des télécoms, de l'informatique et pourquoi pas de la sécurité à l'international.

Ils ne sont qu'une poignée comme Pierre Bredeau à monter ou reprendre une entreprise. 239 en 2010. La démarche est pourtant intéressante alors que les effets de la crise continuent de se faire sentir dans certains secteurs comme la logistique où les emplois se raréfient. En janvier 2011, une loi a été adoptée par le parlement pour permettre aux militaires ayant plus de 8 ans de carrière de pouvoir prendre un congé création d'entreprise. Ces dossiers, 2 ou 3 par bureau de reconversion, seront suivis par des organismes privés beaucoup plus aptes à les conseiller. En attendant tout du moins que les vieux adjudant-chefs ne se forment à l'entrepreneuriat.

Romain Mielcarek

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