Heureux consommateurs français qui bénéficient d'un prix du kilowattheure très bon marché! Et de fait, les études d'Eurostat, l'agence statistique européenne, le confirment: le prix hors taxe du kwh facturé à «un ménage moyen» atteint en 2011 environ 0,0994 euro dans l'Hexagone, contre 0,1275 en moyenne chez les autres Européens. Seules la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, ou encore la Croatie affichent des tarifs à peu près comparables à ceux de la France.
Prix hors taxe du kwh facturé à «un ménage moyen» en euro, en 2011. Source Eurostat
Cette situation, cependant, devrait bientôt évoluer. Henri Proglio, le patron d'EDF, tout comme, du reste, ses prédécesseurs, réclame à corps et à cri une augmentation des tarifs (évaluée à une trentaine de pour cents sur environ 5 ans) qui restent, pour l'essentiel, toujours réglementés. Et dès cette année, soulignent les détracteurs des énergies renouvelables, la facture des ménages répercutera en partie les charges croissantes venant du soutien à l'éolien et au photovoltaïque.
Alors, l'éolien et le photovoltaïque coûtent-ils vraiment si cher? Le nucléaire est-il toujours bon marché? Fabien Roques, directeur à IHS-CERA-Cambridge Energy Research Associates, explique:
«En réalité, on ne peut plus réfléchir source d'énergie par source d'énergie. Il faut raisonner en termes de mix énergétique et de réseau électrique où se rejoignent des kilowattheures produits par des centrales devenues toutes interdépendantes. Car si l'on augmente par exemple la part des renouvelables, les énergies conventionnelles (nucléaire, gaz, etc.) joueront forcément un rôle nouveau —notamment pour compenser l'intermittence des premières— qui influera sur leur coût.»
Un autre facteur est à prendre en compte : l'évolution des taux d'intérêt, dont le niveau joue un rôle crucial pour toutes les centrales où l'investissement constitue l'essentiel des frais: nucléaire, éolien, hydraulique, etc...
Voici néanmoins le top 9 des sources de production d'électricité les plus courantes avec leurs coûts, pour l'Europe.
9.Le solaire, une énergie abondante mais encore chère
Fourchette de coût: 150-400 euros Mwh
Des panneaux solaires à côté de Séville, en Espagne. REUTERS/Marcelo del Pozo
Le prix des panneaux photovoltaïques a fondu ces dernières années. Du coup, le tarif d'achat a été sérieusement revu à la baisse, pour que ne se constituent pas des rentes de situation payées par le consommateur d'électricité. Actuellement, ces tarifs diminuent d'environ 10% par trimestre et s'élèvent, aujourd'hui, à un montant compris entre 236 et 406 euros du mégawattheure (selon la puissance installée, et selon le type de bâtiment, résidentiel ou commercial, accueillant les panneaux).
En Europe, les experts estiment que le coût de l'électricité produite à partir de panneaux photovoltaïques varie entre 150 euros Mwh dans les régions les plus favorables (Espagne) à environ 400 euros. Selon l'EPIA (european photovoltaic industry association), les coûts devraient passer de leur niveau 2010 (évalué entre 160 et 350 euros Mwh) à une fourchette comprise entre 80-180 euros Mwh en 2020.
Malgré cette diminution, cette électricité reste relativement coûteuse. Ses partisans font remarquer que le solaire est une énergie décentralisée, qui, si le réseau électrique centralisé n'existait pas, aurait permis de faire des économies à ce niveau.
Vrai et faux: ceci est vrai dans les pays ensoleillés, où les pointes de consommation sont importantes aux heures chaudes et en été (climatisation), comme en Espagne ou en Californie: chaque ménage peut donc directement consommer le courant qu'il fabrique. En France en revanche, les pointes de consommation ont surtout lieu en hiver vers 19h à un moment où les panneaux photovoltaïques ne produisent plus. A moins de stocker l'électricité produite sur une batterie, mieux vaut donc la réinjecter sur le réseau électrique.
La popularité en France des panneaux photovoltaïque ne doit pas masquer l'émergence d'un autre type d'électricité solaire: le solaire thermique où le soleil, concentré sur des miroirs, fait chauffer une eau ensuite injectée dans une turbine pour produire du courant. Ces fours solaires —comme celui d'Odeillo, expérimental, dans les Pyrénées orientales— sont notamment prisés en Espagne.
Leur avantage: l'eau chaude peut se stocker quelques heures, et donc compenser en partie l'intermittence du solaire photovoltaique.
8. Le pétrole, hors de prix mais précieux pour les pointes
Fourchette de prix: 150-300 euros Mwh
Vue aérienne de la plateforme offshore norvégienne Oseberg. Scanpix Scanpix / REUTERS
Les centrales au fioul ne tournent en général en France que pendant les périodes de pointe. Des pointes très typiques de l'hexagone, en raison de l'importance du chauffage électrique par rapport à nos voisins, chauffage qui contribue pour 30% environ à la consommation d'électricité. C'est pourquoi, loin des idées reçues, se chauffer à l'électricité revient à émettre plus de CO2 que le chauffage au gaz.....
7. Le charbon, trop peu coûteux
Fourchette de prix: 50-100 euros du Mwh
Mineurs en Géorgie, en 2010. REUTERS/David Mdzinarishvili
S'il est polluant, le charbon n'a pas dit son dernier mot, y compris en Europe et même en France. Certes, il est soumis à des quotas de CO2 qui renchérissent —pour l'instant, modestement— son coût, mais le charbon reste une source d'énergie compétitive, et pas seulement en Chine.
L'Allemagne, avec ses mines, en reste très friande. Et en France, les centrales à charbon tournent l'essentiel de l'hiver. Car, d'ancienne génération, elles sont assez peu flexibles et ne peuvent pas être mises en fonctionnement seulement aux périodes de pointe.
6. L'éolien, un renouvelable presque compétitif
Fourchette de coût: 70 -200 euros
Ferme off-shore près de Samso au Danemark en 2008. REUTERS/Bob Strong
Aujourd'hui, l'éolien terrestre affiche des coûts quasiment en ligne avec ceux du marché. Les analystes les estiment à 70 euros du Mwh pour les meilleurs, 150 pour les plus mauvais. Du reste, les tarifs de rachat octroyés aux producteurs et payés par EDF sont de 82 euros du mégawattheure pendant 10 ans, autrement dit, à peu près comparables aux coûts du nucléaire de nouvelle génération.
Une fois cette période de 10 ans passée, les tarifs de rachat sont revus —entre 28 et 82 euros Mwh selon les cas— et il est fort probable qu'une partie du parc préférera approvisionner directement le marché de l'électricité –en se faisant rémunérer donc au prix courant— sans bénéficier de l'obligation d'achat.
Seul hic: les éoliennes ne produisent de l'électricité qu'environ 25% du temps (un temps ne correspondant pas forcément aux périodes de pointe de consommation), ce qui oblige à prévoir des capacités de substitution. Autrement dit, à planifier des investissements supplémentaires dans d'autres types de centrales capables de prendre le relai lorsque, vent plat ou bourrasque aidant, les éoliennes sont à l'arrêt.
A moins que l'on arrive à convaincre les consommateurs de limiter leur consommation pour mieux l'adapter aux fluctuations du parc de production. Une possibilité qui ne relève du reste absolument pas de la science-fiction tant les technologies de l'information permettent aujourd'hui de faire communiquer appareils et réseau.
L'éolien maritime, lui, constitue en revanche encore une source de production coûteuse: le tarif d'achat est fixé à 130 euros du mégawattheures et les experts estiment le coût réel à environ 120-250 euros selon les cas. Car la technologie de l'éolienne terrestre a dû être largement revue pour s'adapter au milieu marin, et la logistique —bateaux spéciaux, entretien, etc— constitue un budget bien plus lourd que pour la technologie terrestre.
5. Biomasse, déchets, biogaz, pas hors de prix mais encore marginaux
Fourchette de coûts: 43 à 133 euros du mégawattheure
Stockage de pins ravagés par la tempête de 2010 dans le sud-ouest de la France. Regis Duvignau / Reuters
Le bois, les déchets, les biogaz, peuvent aussi être utilisés dans le cadre d'installations de cogénération, produisant à la fois chaleur et courant électrique. S'ils respectent certains critères d'efficacité énergétique, ils peuvent alors bénéficier de tarifs d'achat allant de 43 à 133 euros environ.
Mais ces énergies restent encore marginales: la biomasse sert encore peu à produire de l'électricité, tout comme, mais pour des raisons différentes —éloignement des centres de consommation— les centrales d'incinération des déchets.
4. Le nucléaire, de plus en plus coûteux
Fourchette de coût: 30-120 euros du mégawattheure
Centrale EDF de Saint-Laurent, près d'Orléans, le 2 avril 2011. REUTERS/ Regis Duvignau
La rente nucléaire française vit ses dernières années. Les 58 réacteurs construits à partir de la fin des années 1970 procurent aujourd'hui, c'est vrai, une véritable rente… à EDF! Car leur —coûteuse— construction est désormais amortie et les frais d'exploitation ne constituent qu'une petite partie (environ 30-35%) des coûts du nucléaire.
D'autant, accusent invariablement les anti-nucléaires, que toute une série de coûts «annexes» sont largement sous-estimés: stockage définitif des déchets, démantèlement des centrales, et surtout cotisations d'assurance en cas d'accident. La cour des Comptes devrait, en janvier 2012, faire le point sur la question dans un rapport très attendu.
Impossible cependant de savoir à combien les mégawattheures sortis des réacteurs actuellement en fonctionnement reviennent à l'électricien «national»: il ne publie aucune comptabilité séparée. Sachant que les Finlandais, par exemple, affichent des coûts à moins de 20 euros —ils font cependant tourner leurs centrales plus longtemps qu'EDF—, sans doute peut-on tabler sur un mégawattheure à moins de 30 euros.
C'est cependant à 40, puis à 42 euros du Mégawattheure que les concurrents d'EDF peuvent désormais lui acheter des capacités nucléaires, selon la récente loi dite NOME entrée en vigueur cet été.
Un tarif qui prend en compte l'augmentation prévisible des coûts du nucléaire: pour prolonger la vie de ses centrales, EDF devra en effet dépenser plusieurs centaines de millions par réacteur. Sans compter les mesures de protection supplémentaires qui seront sous peu décidées pour tenir compte de l'accident de Fukushima.
Quant aux futures nouvelles centrales de type EPR, leurs coûts, si jamais EDF décide de les construire en série, avoisinera sans doute les 60 euros du mégawattheure. Dans la meilleure hypothèse. L'électricité qui sortira de Flamanville sera elle bien plus coûteuse: 70 euros du mégawattheure au bas mot, les estimations des analystes allant parfois jusqu'à 120 euros.
Un autre facteur ne doit pas non plus être négligé: le nombre d'heures de fonctionnement des centrales françaises risque fort de baisser à l'avenir, faisant grimper le coût du mégawattheure unitaire. La faute à la taille du parc nucléaire – plus il est important, et plus il est contraint de fonctionner de façon flexible pour répondre aux fluctuations de la consommation, l'électricité ne pouvant être stockée; mais aussi à la montée en puissance des énergies renouvelables intermittentes (éolien, solaire) qui, lorsqu'elles ne fonctionnent pas, doivent être relayées par d'autres types de centrales.
3. Le gaz, aujourd'hui la source de production
d'électricité la moins chère
Fourchette: 60-80 euros du mégawatteure
Bouteilles de gaz en Ecosse, en 2010. REUTERS/Russell Cheyne
Malheureusement pour les émissions de CO2, le gaz s'affiche aujourd'hui comme l'une des sources de production d'électricité les moins coûteuses et comme l'une des plus flexibles. Les centrales à cycle combiné peuvent être grandes, ou petites, fonctionner longtemps, ou seulement de temps en temps, bref, elles répondent à tous les besoins du marché. Bien sûr, elles émettent du CO2 et doivent donc intégrer un «coût du carbone», mais le prix de la tonne de carbone étant actuellement très faible, ceci ne remet pas en cause leur compétitivité.
Ces coûts ne reflètent cependant que la réalité d'aujourd'hui: logiquement, les prix du gaz devraient augmenter, suivant la raréfaction des hydrocarbures à laquelle le gaz n'échappe pas, même si les gisements devraient durer un peu plus longtemps que ceux de pétrole.
Or environ 60% du coût du mégawattheure sortant d'une centrale à cycle combiné vient du coût du carburant, ce qui le rend très sensible à la volatilité du marché.
Si le gaz est aujourd'hui l'une des sources de production d'électricité les moins chères, il revient cependant encore moins cher quand on l'injecte directement… dans une chaudière! Car pour produire un kwh d'électricité, il faut 2,3 fois plus de gaz que pour faire tourner une chaudière à condensation! Autrement dit: pour émettre moins de CO2 —et réduire la facture énergétique de la France— mieux vaut renoncer à l'électricité pour se chauffer et fabriquer son eau chaude!
2. Le gros hydraulique, l'électricité la moins chère
Fourchette de coût : 15-20 euros du mégawattheure
Barrage de Moiry en Suisse, en 2008. Denis Balibouse / Reuters
C'est l'électricité (produite) sans doute la moins chère de France. Une fois la construction des grands —et coûteux— barrages amorties, produire de l'hydro-électricité ne coûte quasiment rien: l'eau est gratuite, ne restent que quelques salaires et frais d'entretien des barrages à acquitter. Cette estimation est cependant tout à fait officieuse car, là encore, EDF ne publie aucun coût.
Mais l'hydro-électricité est d'autant plus précieuse qu'elle est extrêmement flexible: les barrages se mettent en marche extrêmement rapidement et peuvent donc répondre aux pointes de consommation.
Seuls bémols: l'hydro-électricité a aussi ses humeurs, notamment les années de sécheresse. Et le potentiel ne peut être augmenté qu'à la marge car tous les grands barrages ont déjà été construits. Le petit hydraulique (au fil de l'eau) peut certes être encore développé, même s'il ne constitue qu'un potentiel modeste. Il bénéficie d'un tarif d'achat par EDF variant entre 65 et 85 euros du mégawattheure ce qui donne une idée de son coût.
1. Le mégawattheure le moins cher, celui qui n'est pas consommé
Coût: 0
Fjord du Spitzberg en 2007. REUTERS / François Lenoir
Pour résister à la hausse des coûts de l'électricité, mieux vaut limiter sa consommation. C'est une évidence, mais elle n'est pas si difficile que cela à concrétiser. Deux pistes sont particulièrement cruciales.
Réserver d'abord l'électricité aux usages où elle est indispensable. Car l'électricité est une énergie de luxe : elle est compliquée à produire et beaucoup d'énergie disparaît dans le processus de fabrication et de transport. Ainsi, le rendement d'une centrale nucléaire n'est que d'environ 30%.
Celui d'une chaudière à gaz à condensation atteint en revanche couramment les 90%. Il est dommage, autrement dit, de se chauffer ou de produire son eau chaude à l'électricité. D'autant que le chauffage électrique induit des pointes de consommation obligeant à recourir à une électricité très carbonée. C'est pourtant une tendance très répandue en France et qui ne cesse de croître puisque la majorité des logements neufs sont équipés de convecteurs électriques....
Deuxième piste: réduire ses consommations. Car la consommation électrique a tout simplement triplé entre 1973 et 2009... Limiter ses appareils, les éteindre systématiquement est évidemment un premier pas. Le second consiste à généraliser l'effacement des consommations dans les périodes tendues (moindre production des éoliennes, ou baisse des températures): dans certains cas, des équipements peuvent, d'autorité, réduire les températures pendant quelques heures ou limiter l'éclairage pour décharger le réseau.
On estime en général qu'une réduction de 20% de la consommation électrique est possible sans que le niveau de confort des Français s'en trouve particulièrement affecté.
Catherine Bernard