Trop, c'est définitivement trop! Jamais les responsables de l'Organisation mondiale de la santé animale (OIE) n'avaient depuis l'existence de cette institution réagi avec autant de force et de célérité.
Au milieu de la journée du 30 avril (heure de Paris) ces responsables ont ainsi solennellement réclamé l'arrêt des mesures d'abattage des porcs prises dans le cadre de la lutte contre une épidémie dont tout indique désormais qu'elle ne doit plus être qualifiée de «porcine» mais plus vraisemblablement de «californienne». Ces mesures ont notamment été décidées outre-Atlantique et tout particulièrement au Paraguay. Dans un entretien accordé le même jour à Slate.fr Bernard Vallat, directeur général de cette organisation (bientôt centenaire et réunissant l'ensemble des responsables des services vétérinaires nationaux de la planète et dont le siège est à Paris) a expliqué fonder sa décision sur les dernières informations scientifiques dont l'OIE et ses partenaires ont pu avoir connaissance.
Pour résumer, rien aujourd'hui ne permet d'affirmer (en dépit de l'incessant flux des informations martelées ces derniers jours via la Toile, pour l'essentiel en provenance des Etats-Unis) que le nouveau virus grippal A/H1N1 a commencé à contaminer l'espèce humaine à partir de porcs eux-mêmes infectés. Mieux encore: aucune information ne permet non plus d'affirmer que des porcs ont été infectés par cette nouvelle souche. L'initiative de l'OIE s'inscrit dans un contexte bien particulier: une polémique scientifique mais aussi diplomatique enfle depuis quelques heures quant aux véritables origines (Mexique ou Etats-Unis?) du nouveau virus et des premiers cas de contaminations humaines.
L'initiative de l'OIE survient aussi quelques heures après que l'Egypte a reconnu que sa décision d'abattre tout son cheptel porcin (soit près de 250.000 cochons) - était une mesure d'«hygiène générale» plutôt qu'une précaution contre la grippe «porcine», comme la chose avait été annoncée la veille par des responsables sanitaires de ce pays. «Nous sommes maintenant au niveau d'alerte 5, la question n'est plus animale mais humaine», a déclaré à l'Agence France Presse Abderrahmane Chahine, porte-parole du ministère égyptien de la Santé. Les autorités ont profité de cette occasion pour régler la question de l'élevage sauvage en Egypte.
Selon le ministère égyptien de l'Agriculture, les 250.000 porcs sont élevés pour l'essentiel par des chrétiens coptes vivant dans des quartiers submergés par les détritus et utilisant ces animaux comme des «trieurs d'ordure». Saber Abdel Aziz Galal, directeur du département des maladies infectieuses du ministère égyptien de l'Agriculture, estime que cette décision drastique permettra d'organiser le transfert ce genre d'élevage des décharges publiques vers de véritables fermes. «Aujourd'hui, ils [les porcs] vivent avec des chiens, des chats, des rats, des volailles et des hommes, tous dans la même zone avec les détritus, a-t-il déclaré. Nous allons construire de nouvelles fermes dans des zones spéciales, comme en Europe. Dans deux ans, les porcs seront de retour, mais nous devons d'abord construire de nouvelles fermes».
Si elle doit avoir lieu l'opération d'abattage massif des porcs prendra, en Egypte, entre trois et quatre semaines. Un premier paradoxe veut qu'aucun cas, animal ou humain, de grippe «californienne», n'a pour l'instant été identifié en Egypte. Un second paradoxe veut que ce pays soit depuis plusieurs années déjà, l'un des plus touchés au monde par la grippe aviaire, une zoonose vis à vis de laquelle les porcs sont, jusqu'à plus ample informé, définitivement innocents.
Jean-Yves Nau
Image de une: A la foire du Kentucky. CC Flickr Pug Father