France

L'attentat de la rue Marbeuf? Carlos ni «coupable» ni «innocent»

Temps de lecture : 4 min

La cour d'assise spéciale de Paris se penche sur l'explosion qui a fait un mort et plusieurs blessés à Paris en 1982. Ilich Ramirez Sanchez maintient le trouble en refusant de se déclarer coupable ou innocent.

La salle de la cour d'assise spéciale. REUTERS/Charles Platiau
La salle de la cour d'assise spéciale. REUTERS/Charles Platiau

A l’écouter, Carlos n’est pas «coupable» de l’attentat de la rue Marbeuf (1 mort et 63 blessés). Pour autant, il ne clame pas son innocence. «Je n’ai jamais dit que je n’avais rien à voir et je ne le dirai jamais!», s’agace-t-il face à l’insistance de Me Françis Spziner, avocat de plusieurs parties civiles.

Le Vénézuélien laisse aux juges le soin de résoudre cette équation complexe sans lever aucune inconnue sur les faits. Pire, depuis le début de la semaine, il distille les déclarations confuses, les digressions multiples et de vaines tirades.

Les actes qui lui sont reprochés font désormais partie de l’histoire: Ilich Ramirez Sanchez serait complice de l’attentat perpétré il y a vingt-neuf ans, devant le siège du journal libanais Al Watan Al Arabi ( la Nation arabe). Ce 22 avril 1982, à 9h02, une bombe placée à l’arrière d’une Opel Kadett orange explose devant le n°33 de la rue Marbeuf, à proximité des Champs-Elysées.

La déflagration tue une passante et blesse une soixantaine de personnes, transformant la rue en un amas de débris et de tôles pulvérisées. A l’emplacement de la voiture piégée ne reste qu’un vaste cratère perforant le bitume. Cette explosion, qui suit celle de la gare Saint-Charles et du train Paris-Toulouse –pour lesquelles Carlos est également jugé– sème la terreur dans l’Hexagone.

Les Syriens? Carlos? Les deux?

L’attentat semble viser le journal Al Watan Al Arabi, «plutôt proche des Irakiens, considéré un peu comme le Canard Enchaîné du Moyen-Orient», précise à la barre Patrick Martin, un enquêteur du Quai des Orfèvres aujourd'hui à la retraite. L'hebdomadaire, connu pour son opposition au régime syrien d'Hafez el-Assad, avait déjà été la cible, le 19 décembre 1981, d’un colis piégé désamorcé à temps par les démineurs.

Aussi, les enquêteurs prennent-ils en compte une première piste syrienne soupçonnant un colonel des services secrets du pays dont les allers-venues en France semblent louches. Mais «la piste du groupe Carlos est restée celle qui avait la primeur à l’époque», précise Patrick Martin.

D’ailleurs, les deux hypothèses ne seraient pas opposées. C’est en tout cas ce que suggérait le directeur du journal menacé, le 17 mai 1982, dans un entretien accordé au Matin de Paris. «C'est la France qui était visée avant mon journal», déclarait-il alors sans écarter la responsabilité du «Chacal»:

«Toute menace de Carlos est une menace syrienne. Incontestablement, ce sont les deux faces d'une même pièce de monnaie, même s'il n'est pour eux qu'un moyen.»

Cette double piste a la faveur de Me Spziner mais évidemment pas de Carlos. Comme à son habitude, l’accusé se défend en privilégiant le monologue. Il est question à la fois d’un «voyage avec Magdalena à Bagdad», d’une conversation «un peu fleurie» avec un proche de Saddam Hussein, de photos «pas claires du tout» et des caméras de surveillance placées rue Marbeuf «dont personne ne parle».

En résumé, il déclare être mis en cause dans cet attentat uniquement parce qu’«on a mis (s)on nom partout».

Cependant, le lien entre Carlos et cette action terroriste est évident aux yeux de l'avocat général qui s’emploie à démonter méthodiquement la piste syrienne, soulignant que «les locaux d’Al Watan Al Arabi ne sont pas touchés par l’explosion». Une coïncidence troublante: au moment où la bombe explose rue Marbeuf, Brunot Bréguet et Magdalena Kopp font leur entrée au Palais de Justice de Paris où ils s’apprêtent à être jugés. La femme et le complice de l’ex-ennemi public n°1 ont été arrêtés le 16 février 1982, dans le parking Georges V à Paris, en possession d’un véritable arsenal militaire.

Deux pouces accusateurs

«Dans les affaires de Bruno Bréguet, on retrouve la mention de la rue Marbeuf. Pourquoi?», interroge Olivier Leurent, le président. Tout juste réveillé d’une sieste improvisée, Carlos se montre peu loquace:

«Il fallait lui poser la question, il était dans les prisons françaises. Ce n’est pas à moi, trente ans après, qu’il faut demander.»

Ce n’est pas non plus lui qu’il faut consulter pour comprendre pourquoi les Syriens auraient choisi la date d’ouverture du procès de ses deux comparses pour commettre l’attentat.

«Ils ont fait le coup au premier moment où ils ont pu, c’est tout. A ma connaissance, il n’y avait pas de procès ce jour-là.»

Lorsqu’on lui rafraîchit la mémoire, il se contente d’un léger «Ah oui!».

Les autorités détenaient pourtant une preuve de sa responsabilité: une missive qui aurait été adressée à Gaston Deferre, ministre de l’Intérieur de l’époque, quelques jours après l'interpellation des deux activistes. Ce courrier exigeant la libération de Kopp et Bréguet sous peine de représailles aurait été signé de l’empreinte des deux pouces de Carlos. «Nous ne sommes pas en guerre contre la France socialiste et je vous prie, avec toute sincérité, de ne pas nous forcer à la faire», est-il écrit.

Problème, l’original de cette pièce à conviction maîtresse a été égaré… ce qui n’est pas du meilleur effet pour un dossier de cette envergure. La défense s’engouffre d’ailleurs immédiatement dans la brèche. Me Isabelle Coutant-Peyre:

«Cette copie est un faux: une photocopie, ça peut être n’importe qui!»

Carlos, quant à lui, nie en être l’auteur:

«Ce ne sont que des photocopies de photocopies.»

Il dénonce une «falsification», même si son empreinte digitale avait été, à l’époque, authentifiée par un expert venu témoigner à la barre.

Sommeillant peut-être quelque part dans les archives de Gaston Deferre, dans les locaux de la police judiciaire ou bien parmi les milliers de pièces du dossier, l’original de cette lettre –si elle existe bien– permettra-t-elle un jour de faire la lumière sur l’attentat de la rue Marbeuf?

Julie Brafman

Newsletters

Jean-Paul Belmondo, professionnel de Roland-Garros

Jean-Paul Belmondo, professionnel de Roland-Garros

L'acteur avait deux amours: le cinéma et le sport. Fan de boxe, cofondateur du PSG, le comédien mort le 6 septembre 2021 à l'âge de 88 ans ne manquait presque jamais une édition de Roland-Garros. Dans les dernières années de sa vie, c'est l'un des...

Lu Shaye, l'ambassadeur qui prouve que la diplomatie chinoise passe à l'offensive

Lu Shaye, l'ambassadeur qui prouve que la diplomatie chinoise passe à l'offensive

Les remous provoqués par ce «loup guerrier», qui a insulté un chercheur français sur Twitter, s'inscrivent dans un cadre plus large.

VGE, président du cool trente ans avant Obama

VGE, président du cool trente ans avant Obama

Valéry Giscard d'Estaing est mort ce mercredi 2 décembre à l'âge de 94 ans. Tout au long de sa vie politique, l'ancien président de la République n'aura cessé de tenter de se construire une image d'homme moderne, en rupture avec les chefs d'État...

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio