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«Contagion», un navet bon pour la santé

Temps de lecture : 3 min

Face à une pandémie virale, meurtrière ou non, il faudrait avant tout savoir composer avec l’irrationnel. En 2009 et 2010 les autorités françaises confrontées au H1N1 en avaient fait l’expérience. Le gentil film de Steven Soderbergh le confirme.

Jude Law dans «Contagion» © Warner Bros
Jude Law dans «Contagion» © Warner Bros

Un bien (public) peut-il naître d’un (mauvais) film? Telle est, au fond, la question soulevée par Contagion, production hollywoodienne signée de Steven Soderbergh. Quoique classé thriller le film est généralement tenu pour crédible et pour avoir quelques vertus pédagogiques. Du moins est-ce l’avis des professionnels du secteur, urgentistes, virologues ou épidémiologistes. Les critiques spécialisés n’applaudissent pas véritablement au chef d’œuvre cinématographique. Le public découvre en tremblant de quoi il retourne. Que conclure?

On connaît la trame: un nouveau virus d’origine animale émerge dans l’espèce humaine. Fruit génétique incestueux né d’un porc et d’une chauve-souris, il est à la fois hautement contagieux, prend plaisir à voyager des poumons vers le cerveau humain. Il est très fréquemment mortel. Quant à sa diffusion, elle est résolument moderne, amplement facilitée par les transports aériens internationaux.

Rien d’autre, en somme, que le pire des scénarios redoutés et modélisés depuis plusieurs décennies par les spécialistes de la grippe; scénario depuis peu entendu par les autorités sanitaires nationales. Les vagues de la peste millénaire et, il y a un siècle, celle meurtrière de la grippe espagnole font que l’on garde dans une lointaine mémoire collective ce que les épidémies meurtrières peuvent provoquer au sein de l’espèce humaine. Nous avons d’autre part appris ce qu’il risquait d’en être de nos jours au travers de deux épisodes épidémiques majeurs récents: celui du syndrome respiratoire aigu sévère (Sras) de 2003 et celui associé au virus grippal A(H1N1) en 2009-2010.

Dans une telle situation il y a d’abord, en première ligne, le front scientifique et médical. Soit, la quête de l’origine du nouveau mal, son identification en laboratoire suivie de son décryptage moléculaire, la course contre la montre pour la mise au point eu urgence des premiers vaccins, seule réponse préventive adaptée pour lutter contre un tel fléau. Dans les cas les plus graves, les sociologues savent qu’il faut aussi prévoir et redouter ces invariants que sont la phase initiale de déni, la désorganisation progressive de l’édifice social, la quête acharnée du bouc émissaire, la régression et les psychoses collectives.

Crédible, brutal, choquant

Et dans de telles circonstances, on ne fera pas l’économie des rumeurs, amplifiées de manière exponentielles par les réseaux sociaux. Les théories du complot font florès, de même que les charlatans, les prophètes de malheur et les élixirs miraculeux (ici le forsythia à doses plus ou moins homéopathiques). Et la hantise progressive de l’autre monte, cet autre potentiellement contagieux, d’autant plus dangereux qu’il est proche et vecteur de mort.

C’est donc bien dans ce paysage d’hécatombe et d’apocalypse que l’on retrouve Marion Cotillard, Matt Damon et Jude Law; Jude Law seul véritable surnageant dans un rôle époustouflant de démon moderne. Et c’est dans ce même paysage de destins croisés que s’étire (106 minutes) le paradoxe central de ce film; ou du moins le paradoxe dès que l’on entend faire de ce «thriller haletant» une œuvre au service de la santé publique.

Scientifiquement crédible, volontairement brutal et choquant, Contagion serait en effet, pour certains, porteur d’un message à haute valeur pédagogique ajoutée: ce spectacle aiderait les spectateurs à prendre conscience du fléau qui nous attend puisqu’il est acquis que, plus le temps passe plus nous nous rapprochons d’une pandémie contagieuse autant que meurtrière et inéluctable.

Mieux encore ce film «ferait mieux qu’une campagne de santé publique»; ceci en expliquant, par exemple, quelles sont les voies les plus fréquentes de la transmission et de la contamination du nouveau virus pathogène. Soit, outre la voie aérienne, les cartes de crédit, les poignées de porte ou les boutons d’ascenseur. On y apprend certes toute l’importance du taux de reproduction de la maladie, les limites du confinement et de la mise en quarantaine. Mais il y a plus: l’instinct de survie étant ce qu’il demeure et la peur panique se révélant plus contagieuse que la contagion virale, on prend également la mesure des impasses de l’action de la puissance publique.

Ceci n’est pas sans entrer en résonance avec la situation actuelle où un virus d’un autre ordre semble contaminer de manière irréversible les équilibres monétaires et financiers internationaux. Ceci n’est pas non plus sans rappeler les errements du gouvernement français confronté à la pandémie due au virus A(H1N1); un gouvernement fournissant au total des réponses les plus souvent inadaptées au vu des caractéristiques de la menace.

C’est que les pouvoirs publics nationaux se révèlent ici bien vite incapables de rivaliser avec cette autre puissance, multiforme, que constituent les transmissions via Internet; une puissance qui loin d’être le creuset de la solidarité attise les soupçons, alimente la méfiance, facilite la conspiration et diffuse l’irrationnel. De ce point de vue, il est à craindre que les virus s’attaquant à l’homme disposent, grâce à ce dernier, de nouveaux et puissants alliés mortifères.

Jean-Yves Nau

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