France

Pourquoi l'affaire Karachi s'envenime

Temps de lecture : 4 min

Les dernières révélations de Ziad Takieddine donnent une nouvelle dimension à un scandale qui menace désormais toute la droite y compris les réseaux chiraquiens et Dominique de Villepin.

Ziad Takieddine, le 5 octobre 2011, peu avant son audition par le juge Van Ruymbeke. REUTERS/Gonzalo Fuentes.
Ziad Takieddine, le 5 octobre 2011, peu avant son audition par le juge Van Ruymbeke. REUTERS/Gonzalo Fuentes.

Longtemps réputé pour sa discrétion, Ziad Takieddine fait désormais feu de tout bois dans l'affaire Karachi. Persuadé d’être victime d’un complot, l’homme d’affaires franco-libanais n’hésite plus à appeler lui-même certains journalistes pour mettre les choses au clair. Après des mois de menaces feutrées, la contre-attaque est donc bel et bien lancée. Ses dernières révélations, réservées aux juges Roger Le Loire et Renaud Van Ruymbeke, n’ont d’ailleurs pas mis longtemps à fuiter dans la presse. Et elles sont explosives.

Alors que les deux magistrats du pôle financier cherchent depuis des mois à comprendre comment des rétro-commissions ont pu servir à financer la campagne d’Edouard Balladur en 1995, Takieddine explique aujourd’hui que ce système occulte n’a jamais pris fin. Et qu’il aurait au contraire continué à alimenter les caisses du clan ennemi, celui formé par les réseaux chiraco-villepinistes. Une véritable bombe à retardement quelques mois avant l’élection présidentielle de 2012.

«Je les tiens tous par les couilles»

Cantonnée pendant des mois aux révélations de Mediapart et à l’obstination du juge Van Ruymbeke, l’affaire Karachi s’est accélérée au mois de septembre. Il y a d’abord eu la mise en examen de deux proches de Sarkozy, Thierry Gaubert et Nicolas Bazire. Puis les déclarations fracassantes d’Hélène de Yougoslavie et Nicola Johnson, ex-épouses respectives de Gaubert et Takkiedine, décrivant toutes les deux un système tentaculaire.

Dernier rebondissement: l’apparition d’un nouveau témoin clé, François Rouichi, dont le frère Akim a été retrouvé pendu à son domicile en août 1995. D’après Le Point, ce jeune militant associatif avait été chargé d’espionner des membres de la campagne présidentielle d’Edouard Balladur pour le compte des réseaux chiraquiens. De quoi donner le tournis aux magistrats chargés de l’enquête.

C’est peu dire, donc, que les dernières révélations de Ziad Takieddine interviennent dans un contexte hautement inflammable. Accusé d’avoir été le principal artisan des rétro-commissions en marge des contrats Agosta (avec le Pakistan) et Sawari II (Arabie Saoudite), puis écarté du jeu par les chiraquiens après l’élection de mai 1995, il affirme désormais avoir été remplacé par d’autres intermédiaires.

Pour appuyer ces lourdes accusations, l’homme d’affaires décrit, numéros de compte à l’appui, un montage financier complexe passant par une banque suisse, sorte de système «bis» utilisant des filières ad hoc.

Dans le viseur de Takieddine: Dominique de Villepin, secrétaire général de l’Elysée entre 1995 et 2002, mais surtout le mystérieux Alexandre Djouhri, héros malgré lui du dernier livre de Pierre Péan, La République des mallettes (Fayard). Personnage trouble au parcours énigmatique, Djouhri y est décrit comme une éminence grise de la République au train de vie délirant et à l’entregent fascinant. Un homme soupçonné d’avoir servi d’intermédiaire dans de nombreux contrats mirifiques passés avec l’Etat français et à qui Péan attribue cette formule lapidaire:

«Je les tiens tous par les couilles.»

Directement mis en cause par Takieddine, Alexandre Djouhri a déjà annoncé son intention de porter plainte pour diffamation, mais pourrait bien lui aussi finir par devoir s’expliquer. A moins que le parquet ne décide d’étouffer ce volet de l’affaire en refusant d’élargir la saisine des juges à ces nouvelles pistes…

Officines et réseaux parallèles

Difficile, dans ce contexte, de ne pas voir dans le récent rapprochement entre Sarkozy et Villepin une tentative d’apaisement. Les deux hommes se sont rencontrés discrètement fin octobre à la Lanterne en présence de Claude Guéant. Tous les trois savent aujourd’hui pertinemment qu’ils n’ont rien à gagner à jeter de l’huile sur le feu. Reste la guerre incontrôlable entre Takieddine et Djouhri, qui risque elle aussi de provoquer quelques dégâts.

Exactement comme avec Clearstream avant 2007, l’affaire Karachi menace même de déteindre sur l’ensemble de la droite à quelques mois de la présidentielle de 2012. Deux scandales qui ont en commun le rôle central joué par les officines et les réseaux parallèles sur fond de conflit larvé entre balladuriens et chiraquiens.

Trois ans avant l’arrivée de Sarkozy à l’Elysée, en 2004, une note de la DST (ex-DCRI) indiquait ainsi que trois hommes gravitant autour du pouvoir avaient pu «déployer des moyens techniques en relation avec l’affaire Clearstream». Or deux d’entre eux travaillaient justement pour Alexandre Djouhri, alors très proche de Dominique de Villepin.

Coupable idéal

Dans cette lutte d’influence, la galaxie Sarkozy a aussi pu compter sur quelques électrons libres. Le plus remuant s’appelle Pierre Sellier. Ex-conseiller d’EADS, grand amateur de notes en tout genre, il est à la tête de la société Salamandre, soupçonnée d’avoir jouer un rôle trouble en marge de l’affaire Clearstream. Comme l’ont révélé Fabrice Arfi et Fabrice Lhomme dans Le Contrat (Stock), Sellier s’est également démené dans l’affaire Karachi. Avec un seul objectif: mettre en garde contre l’exploitation «fallacieuse» du dossier par la presse et soutenir contre vents et marées la thèse d’une implication d’al-Qaida dans l’attentat de Karachi.

En clair: l’attentat qui a fait 14 morts le 8 mai 2002 n’est pas dû à l’arrêt des rétro-commissions mais aurait été perpétré par des terroristes islamistes. Cette version, longtemps soutenue par le juge Bruguière, n’a jamais convaincu les nouveaux magistrats chargés de l’enquête. Elle continue pourtant régulièrement à refaire surface.

Cette semaine, le Nouvel Observateur révèle ainsi ainsi que des fonctionnaires de la DCRI aurait approché le juge Trévidic, en charge du volet terroriste du dossier, pour lui servir à nouveau la thèse d’Al Qaida. Avec de nouveaux détails: l’attentat de Karachi aurait été commandité par un des cerveaux du 11 Septembre, Khaled Cheik Mohamed, aujourd’hui enfermé dans les geôles de Guantanamo. Un coupable idéal servi sur un plateau d’argent par les services de renseignements français, l’idée laisse un peu sceptique Olivier Morice, l’avocat des familles des victimes de l’attentat de Karachi:

«Au début de l’affaire, la DST et le juge Bruguière avaient déjà caché aux victimes un rapport d’expertise qui excluait la piste d’un kamikaze. Je crains qu’en cherchant de nouveau à imposer cette version, la DCRI soit instrumentalisée par le pouvoir. C’est d’autant plus gênant que c’est le seul service dont le juge Trévidic dispose pour l’enquête sur le volet terroriste. Mais notre force, c’est qu’il y a plusieurs fronts judiciaires dans ce dossier. On peut étouffer un des aspects, il sera impossible d’étouffer l’ensemble de l’affaire.»

Emmanuel Fansten

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