Culture

Pourquoi les affiches de cinéma deviennent moches

Temps de lecture : 10 min

Autrefois, l’affiche faisait le film. Aujourd’hui, la promo passe aussi par la bande-annonce, la télé et internet. Pour faire vendre, les affiches ont tendance à se standardiser. Chronique d’une disparition programmée?

Montage d'affiches reproduit avec l’aimable autorisation de Christophe Courtois
Montage d'affiches reproduit avec l’aimable autorisation de Christophe Courtois

Dès ses origines, le cinéma a eu recours à l’affiche pour assurer sa promotion. Bien vite, la créativité s’en est mêlée. Au temps du muet, certaines affiches reflètent les courants artistiques de l’époque: le futurisme irradie Métropolis, l’inquiétante étrangeté de l’expressionnisme est tout entière dans Das Cabinet des Doktor Caligari. Un métier, celui d’affichiste, s’y épanouit.

L’âge d’or des illustrateurs

En France, des illustrateurs comme Roger Soubie, Boris Grinsson, Constantin Belinsky, Jean Mascii…produisent sans relâche, certains créant entre 1.000 et 1.500 affiches au cours de leur carrière. Parfois sans grand intérêt, parfois géniales, toujours originales. Des collaborations occasionnelles peuvent se révéler exceptionnelles comme Allard pour Le Mépris de Godard ou les films de Wenders qu’illustre Pellaert.

Car derrière une belle affiche, il y a souvent un grand réalisateur. Otto Preminger ou Alfred Hitchcock ont fait travailler Saul Bass [1], Roman Polanski choisit soigneusement les siennes. Et «Stanley Kubrick a pu imposer l’affiche française de Barry Lyndon en Grande-Bretagne, qu’il préférait à l’affiche américaine», indique Jacques Ayroles, responsable des affiches à la Cinémathèque française.

Signe de reconnaissance, «l’affiche française est signée», poursuit-il. En France, il y a un «droit de l’affichiste, alors qu’aux Etats-Unis, les œuvres restent propriété des studios. Paradoxe: l’affichiste est le seul collaborateur de film dont le nom ne figure pas au générique...»

D’artisanaux, les modes de production s'industrialisent peu à peu. Les toutes premières affiches sont en sérigraphie. Lui succèdent la lithographie puis l’offset. Si la lithographie imposait de travailler à trois ou quatre personnes dans l’imprimerie, il n’en est plus de même avec l’offset.

Et la Nouvelle Vague tua l’affiche

Parallèlement, la photo s’impose. Ce n’est pas vraiment une nouveauté. Aux grands formats en couleur (120x160 cm), qui font l’objet d’une œuvre originale, les distributeurs adjoignaient des affiches de petite taille (80x60 cm) souvent composées à partir de photos en noir et blanc.

Moonfleet (Fritz Lang), affiche française 120 x 160

Moonfleet (Fritz Lang), affiche française 60 x 80

Dans les années 1960, la photo conquiert le grand format - avec plus ou moins de bonheur. «Les photos étaient utilisées dans les 1930 aux Etats-Unis et on trouvait déjà que c’était limitatif, rappelle Stanislas Choko, gérant de la boutique Intemporel et collectionneur. En France, c’est l’effet Nouvelle vague. Après avoir décrété que ne pas avoir d’argent pour leurs films en faisait de grands créateurs, ils ont fait pareil pour les affiches, en se contentant d’une photo. L’appauvrissement de l’affiche est directement lié à la Nouvelle Vague. Voilà comment on tue le cinéma...»

De temps à autre, on fait encore appel à un illustrateur (Savignac par exemple pour les affiches du Grand blond) ou un dessinateur de BD (Moebius ou Reiser pour Ferreri, Bilal pour Resnais, Floc’h pour Kurys, Frazetta pour Eastwood...) mais cela reste l’exception. Dans les années 1970, la photographie est partout et les affiches se banalisent, au point de devenir franchement moches (même pour de très grands films). «De tout temps, on a dit que les affiches étaient moches, tempère Jacques Ayroles. Mais c’est vrai que le métier a changé».

L’affiche concurrencée par... la télé

A la banalisation visuelle s’ajoute la dépréciation de l’affiche comme outil promotionnel: la bande-annonce, la promo-télé et le bouche à oreille comptent bien plus.

«Avant, l’affiche était le seul moyen de donner envie d’aller au cinéma, explique Stanislas Choko. C’était souvent une composition, une synthèse du film, une atmosphère... Aujourd’hui, la promo passe par la télé: le grand journal de Canal +, On n’est pas couchés... L'investissement dans ce matériel promotionnel a beaucoup baissé. Beaucoup de distributeurs se contentent d’une photo. Si la photo est bien choisie, pourquoi pas? Mais ce n’est pas une création originale, ça reste une photo!»

Le travail artistique est souvent une simple mise en page. D’autant plus qu’il faut désormais tenir compte de la prolifération de logos (producteur, distributeur, partenaires...), comme sur un maillot de cycliste, et de commentaires louangeurs qui contribuent largement à l’appauvrissement visuel.

L’univers codé des grosses têtes

André Palais, graphiste indépendant, a souvent travaillé sur des affiches de cinéma. Il déplore le manque d’audace des distributeurs.

«C’était un métier d’artisan mais aujourd’hui, les commerciaux et financiers ont pris le pouvoir. Leur but est de faire entrer le maximum de gens dans les salles, d’où un consensus mou qui vise à faire plaisir à tout le monde, ne surtout pas choquer. Il faut aussi rentabiliser les investissements. Un acteur connu, on l’a payé cher, il faut qu’on le voie.»

Il n’y a pas que les financiers. Certains acteurs exigent d’être bien vus... Difficile de résister.

«C’est ce qui donne les affiches “grosse tête” ou encore “pâté de tête” lorsqu’il y a plusieurs acteurs pêle-mêle.»[2]

Une grosse tête, ça se voit de loin. Dans une file d’attente par exemple et c’est le but.

«A l’entrée des cinémas, l’affiche est presque devenue un pictogramme, relève Jacques Ayroles. Comme “toilettes” ou “escalier dangereux”. Ca limite forcément la création, à un gros plan, un visage...»

A l’arrière plan des grosses têtes, on trouve un paysage, une ambiance. Avec, comme élément de marquage, la couleur. «C’est devenu un univers très codé, détaille Jacques Ayroles. Fonds blanc pour la comédie, fonds noir réservé aux films d’angoisse, des couleurs marron-ocre pour souligner l’étrangeté...»

La construction même de l’affiche obéit à des codes, comme l’observait Daniel Bo, directeur du cabinet Qualiquanti, dans une étude sémiologique pour le CNC en 2000. Ainsi des films d’aventure qui ont comme un air de famille:

«Affiche divisée en deux horizontalement suivant une dualité ombre / lumière, bien / mal :

Partie inférieure sombre ou noire.

(...)

Personnage de face:

Émergeant à mis corps entre l’ombre et la lumière.

Armé : fusil, mitraillette, épée, glaive, …

Regard du héros qui fait face à son destin tout en interpellant le spectateur :

Regard qui exprime la tension et la concentration du héros.

Regard assuré et clairvoyant, qui distingue le bien du mal.»

Les affiches doivent s’adapter au public

Aujourd’hui, une affiche est non seulement codée, mais testée. Les études de consommateurs sont devenues fréquentes, explique Aurélie Rix, directrice du pôle cinéma à Médiamétrie. Elles existent depuis «sept ou 8 ans» et évitent aux films de buter sur «certains écueils», notamment une promotion non adaptée au public visé:

«Chaque film est un prototype, une création originale avec un positionnement particulier. Avec environ 10 sorties de films par semaine, le marché est très concurrentiel et il y a d’importants enjeux financiers. Médiamétrie a compris ces enjeux et propose des prestations qui doivent permettre de définir l’adéquation entre une œuvre et la cible choisie.»

Les pré-tests opérés par Médiamétrie ne concernent pas que les seules affiches: la bande-annonce et le titre sont aussi soumis à des panels de consommateurs, «très en amont» –en moyenne quatre mois avant la sortie. Si ces trois éléments sont cohérents avec le film, «80% du travail est déjà fait».

Médiamétrie dispose d’un panel de spectateurs (Carré des médias), choisis en fonction de quotas et de leur fréquentation des salles - être allé une fois au cinéma au cours des 12 derniers mois est un minimum.

«Ils sont représentatifs des spectateurs de cinéma et il y a des amateurs de tous les genres». Les études se font par Internet et, dans le cas des affiches, chaque internaute donne son avis sur un visuel.

«Il y en a en général 3 ou 4. Le maximum, ça a été 8, se souvient Anaïs Florès, responsable clientèle au département cinéma de Médiamétrie. Cela donne un échantillon d’environ 250 spectateurs par visuel. Il y a différents pistes créatives à tester: des visuels provocateurs, d’autres plus grand public... L’acteur est plus ou moins mis en avant... Il s’agit de mesurer lequel performe le mieux. On mesure l’intention d’aller voir le film générée par le visuel.»

Il arrive qu’après une première série de tests non concluants, d’autres visuels soient proposés, en fonction des «réactions observées»[3].

Chez Pyramide films, les affiches sont testées également mais de manière plus artisanale, indique Eric Lagesse, son président: «à Cannes, sur les stands, on voit si les gens accrochent ou pas». Quitte à tout changer:

«Avec Elena, qui n’allait pas dans le sens du public, on a radicalement changé notre fusil d’épaule, pour le film qui sortira en mars 2012.»

Le règne du consensus mou

L’affiche intéresse-t-elle encore les producteurs ? Entre les premières photos, la bande-annonce, les teasers et la promo, la sortie d’un film «génère beaucoup de stress». Et, souvent, «l’affiche arrive en dernier ressort, s’amuse André Palais. Zut! On a oublié de faire l’affiche! En conséquence, les délais de réalisation sont parfois très courts: deux à trois semaines, alors qu’il faut parfois 3 ans pour faire un film!”»

Il y a pire que le travail dans l’urgence. C’est la soumission du travail créatif à des avis multiples et contradictoires:

«On nous redemande de faire le travail 10 fois, 20 fois... pour changer la taille des caractères, mettre un personnage plus gros ou plus petit... Jusqu’aux "rendus de couloir" lorsque le responsable demande à l’employé qui passe ce qu’il en pense. Lorsqu’on remanie 20 fois un projet, ça devient un truc moche.»

Le travail de l’affichiste est souvent nié. «C’est un peu comme pour Picasso, complète Jacques Ayroles. Tout le monde croit que faire une affiche, c’est facile. Alors que ce n’est pas du tout le cas!»

S’ajoutent parfois d’autres contraintes, comme la censure qui fait retirer la pipe de la bouche de Monsieur Hulot ou une cigarette du bout des doigts de Coco Chanel...

Conséquence: les affiches ne ressemblent plus à grand chose. Ou plutôt, elles se ressemblent toutes. «Elles deviennent stéréotypées, manquent de diversité, constate Stanislas Choko. Les affiches d’époque étaient uniques. Aujourd’hui, j’ai l’impression de voir toujours la même chose.»

Des propos nuancés par Eric Lagesse:

«Lorsque je regarde des affiches anciennes, certaines sont sublimes, d’autres ont très mal vieilliEt je les trouve stéréotypées aussi! Car chaque époque a ses stéréotypes.»

Reste qu’aujourd’hui, les affiches ont bien souvent un air de déjà-vu… Le blogueur Christophe Courtois s’est amusé à montrer comment des visuels peuvent être repris sans vergogne et répétés jusqu’à l'écœurement. Edifiant.

Montage reproduit avec l’aimable autorisation de Christophe Courtois

L’affiche: avis de décès?

La standardisation serait-elle en train de tuer l’affiche? En partie.

«Il y a une uniformisation, très nette lorsqu’il s’agit de films américains, avec une forte incitation à ce que tout le monde fasse le même choix», observe Stanislas Choko. On voit même apparaître des...«chartes graphiques. Pour Batman, par exemple, c’est utilisé dans le monde entier. Cela n’empêche pas qu’il y ait un vrai travail avec une diversité de composition que je trouve extraordinaire. Il y a de très belles affiches et même un retour vers la créativité, notamment pour les films fantastiques. En fait, on est dans les extrêmes: soit on s’en fiche complètement et on se contente d’une simple photo, soit on y met un soin particulier».

Sans doute faut-il distinguer blockbusters et films à moindre budget. Avec un graphiste salarié, Pyramides films considère l’affiche comme «capitale, tout comme la bande-annonce. Il y a des affiches qui rebutent, d’autres qui sont déterminantes, comme pour Partir, avec Kristin Scott Thomas, par exemple».

Spécialisée dans le cinéma d’auteur, la société n’a pas forcément la possibilité de promouvoir ses films en prime time.

«Si vous avez un JT en direct avec l’acteur principal, vous pouvez vous passer d’un réseau d’affichage! Ce n’est pas toujours notre cas…»

Quant le graphisme de l’affiche ne suffit pas à vendre un film, il faut savoir utiliser d’autres atouts:

«Pour Oncle Bounmee, la palme d’or est très visible. Sans la palme, le film aurait fait 30.000 entrées, là, il en a fait plus de 500.000…»

Affiches numériques et collector

L’affiche telle qu’on la connaît est peut-être promise à disparaître.

«A très court terme, d’ici 5 ans, il n’y aura plus d’affiches, pronostique Stanislas Choko. Il n’y a déjà plus de pellicule, c’est logique».

Pour Jacques Ayroles aussi, l’affiche de demain sera numérique, «déclinée sous diverses formes: sur téléphone, ordinateur, panneaux Decaux. Puis viendront les affiches en 3D».

Le papier pourrait être réservé à des produits occasionnels, pour des coffrets collector par exemple, qui en feraient un produit dérivé (vaguement) haut de gamme. Mais ce n’est pas encore pour tout de suite: «L’affiche numérique? C’est possible… Pour le moment, je n’y ai pas réfléchi…», s’étonne Eric Lagesse.

Autrefois objet publicitaire d’exception, l’affiche pourrait mourir de sa banalisation [4], outil de promotion parmi d’autres –et pas le plus efficace, cinéma d’auteur excepté.

L’âge d’or vendu à prix d’or

Quant à l’affiche d’antan, elle vit désormais sur ebay ou dans les salles de vente. En 2005, le cabinet Cornette Saint-Cyr avait vendu l’affiche des Tueurs (Robert Siodmak) 3500 euros – hors frais, celles du Mépris (Godard) et de Vacances Romaines (Wyler) s’enlevant à 2200 euros.

En juin 2008, lors d’une vente à Drouot, Jean-Louis Capitaine citait des chiffres autrement plus impressionnants: 300.000 dollars pour l’affiche originale de Frankenstein… et 795.000 dollars pour celle de Métropolis! Et le producteur Hervé Truffaut d’observer, placide, que, «La Ruée vers l’or, (…), ça vaut 10.000 euros… Pour aujourd’hui, c’est pas très cher…»

Un investissement peu risqué ? Reste aux amateurs à deviner quelles affiches aujourd’hui vaudront de l’or demain.

Jean-Marc Proust

[1] Des affiches marquées par le constructivisme (the Shining, The Man with the golden arm). Saul Bass officia aussi dans le générique (Vertigo). Retour à l'article.

[2] Ce n’est pas une nouveauté. Le mode portait et le mode narratif (une scène illustrant le film) ont toujours coexisté. C’est même “le code le plus ancien de l’affiche cinématographique” (Daniel Bo). Retour à l'article.

[3] Les clients sont des distributeurs mais aussi des éditeurs de DVD, qui souhaitent parfois «repositionner le film par rapport au marché précédent, celui de la salle» et refaire une jaquette en conséquence. Certains films politiques américains seront ainsi positionnés en thrillers parce que «sur le marché vidéo, c’est ce genre de films qui performe le mieux», observe Amélie Rix. Médiamétrie ne communique pas ses tarifs mais indique que ses prestations sont «une larmichette» dans le budget d’un film... Retour à l'article.

[4] Dans un autre secteur, le tourisme, les affiches ont suivi la même pente, déclinant aujourd’hui du soleil et des plages stéréotypés. Retour à l'article.

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