L'ancien vice-président américain Dick Cheney a qualifié vendredi 28 août de «scandaleuse» l'enquête préliminaire ouverte à l'encontre d'agents de la CIA pour les méthodes violentes utilisées lors d'interrogatoires antiterroristes sous l'ère Bush, faisant valoir que «pendant huit ans, nous avons défendu le pays contre de nouveaux attentats massifs de la part d'Al-Qaïda». L'article ci-dessous avait été publié par Slate.com le 23 avril 2009, au moment de la publication par l'administration Obama des méthodes utilisées par la CIA sous l'ère Bush.
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La CIA a fait subir en tout 266 simulations de noyade aux têtes pensantes d'Al-Qaïda Khaled Cheikh Mohammed et Abou Zubaydah. Ce procédé ne perd-il pas en efficacité quand le prisonnier sait qu'il ne va pas se noyer?
Non, pas vraiment. Pour qu'un interrogatoire soit coercitif, nul besoin que la personne interrogée soit confrontée à l'idée de la mort imminente. De nombreuses techniques de torture historiques, par exemple forcer quelqu'un à rester debout pendant de longues heures ou à tendre les bras vers le haut avec les mains menottées tout en restant debout (c'est le high-cuffing), sont simplement douloureuses, mais efficaces.
La privation prolongée d'oxygène et l'ingestion de grandes quantités d'eau feront en effet souffrir la victime, bien que son corps puisse s'y adapter un peu. Il peut donc falloir un peu plus d'eau ou de temps pour produire un niveau constant de malaise. Puis, vient la réponse naturelle du corps au stress qui, en soi, est extrêmement désagréable. Même un prisonnier convaincu que sa vie n'est pas en danger en ressentira les effets. Dans le meilleur des cas, une victime très entraînée peut arriver à modérer légèrement sa réaction corporelle.
Ainsi, la simulation de noyade affecte l'appareil digestif et le système respiratoire. A mesure que la victime avale de plus en plus d'eau, son intestin gonfle, ce qui produit une sensation de brûlure. Avec une exposition répétée, cet effet s'estompe quelque peu, car les organes digestifs s'étendent. Mais les enquêteurs peuvent faire en sorte de l'éviter en versant plus d'eau sur le visage du prisonnier.
Le système respiratoire, lui, est moins résistant à la torture. La privation d'oxygène - l'effet direct de la simulation de noyade - provoque une longue série d'effets physiques, tels que des saignements de nez et d'oreilles et des hémorragies sous-cutanées. L'hypoxie (manque d'oxygène) déclenche également une réaction secondaire au stress: même si vous ne craignez pas consciemment de mourir, votre corps réagira comme si c'était le cas et sécrétera de la norépinéphrine et du cortisol. Ces hormones de stress peuvent entraîner des effets secondaires désagréables, comme des graves crises d'asthme et des fortes palpitations cardiaques.
Une victime calme et confiante pourra présenter une réaction moins intense au stress. Mais, d'un autre côté, une victime expérimentée pourrait aussi bien avoir la réaction opposée. Elle peut être tellement traumatisée que la simple vue des équipements nécessaires à la simulation de noyade provoquera chez elle une plus forte réponse au stress.
C'est précisément cette réaction plus forte au stress que la CIA a voulu exploiter chez les prisonniers de grande valeur en leur faisant subir des simulations de noyade de façon répétée. Les services de renseignements américains n'utilisaient pas ce procédé comme menace de punition pour ceux qui ne voulaient pas coopérer. Ils tentaient plutôt d'amener les détenus à prendre conscience de leur «état d'impuissance», une condition décrite par le psychologue Martin E. P. Seligman dans les années 60. Ce dernier avait conclut qu'un chien qu'on a soumis à des chocs électriques à plusieurs reprises finit par cesser de vouloir y échapper. La CIA pensait donc que, dans cet état psychologique, les prisonniers se montreraient plus dociles et sincères. Les notes internes du ministère américain de la Justice font systématiquement référence à cette approche qui consiste à provoquer une attitude d'impuissance chez les prisonniers.
Brian Palmer
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Image de une: Simulation de noyade waterboarding/ REUTERS