Six mois plus tard, le début de la fin d’un cauchemar? On pourrait le penser après les déclarations faites par plusieurs des proches de Dominique Strauss-Kahn au Journal du Dimanche.
Ses amis confient que l’homme est «brisé». L’un d’entre eux livre, sous couvert «du plus strict anonymat» que DSK lui a dit récemment et pour la première fois «qu’il fallait qu’il se fasse soigner», ayant «admis qu’il était malade».
«Il se ronge les ongles au sang, dévore jusqu’à la peau de ses doigts, et passe ses journées à ne rien faire, incapable de se concentrer sur un livre, refusant d’ouvrir la télé ou de lire les journaux… Seules les équations de maths le calment, mais son emploi du temps est vide.»
Un autre de ses amis, toujours selon le JDD, précise que l’ancien directeur général du FMI «reste parfois de longues minutes dans le vague». Récemment, lors d’un déjeuner avec Manuel Valls, l’un des convives a demandé à DSK, qui semblait perdu dans ses pensées, quel était son avis sur la crise économique actuelle. «Strauss s’est comme réveillé et a parlé un quart d’heure sur l’état du monde, un discours brillant, mais quand il s’est arrêté, il y a eu un malaise, un blanc… Il a repris la parole pour dire “bon voilà”, et on est passé à autre chose», aurait raconté Manuel Valls à des proches.
Si elle se confirme, cette évolution comportementale coïncide avec de nouveaux éléments qui –dans l’affaire dite du «Carlton de Lille»– pourrait conduire à une nouvelle garde à vue précédant des mises en examen pour complicité de proxénétisme et recel d’abus de biens sociaux.
Du libertinage à l'addiction
Les proches de Dominique Strauss- Kahn se disent d’autant plus surpris qu’après la révélation, il y a trois ans, de ses relations avec Piroska Nagy et ses conséquences, il s’était engagé à changer de comportement quant à ses relations avec les femmes et d’«arrêter de déconner».
Les déclarations anonymement rapportées par le Journal du Dimanche constituent-elles ce qui pourrait être la fin de la période de déni? S’agit-il au contraire d’un nouvel épisode de l’entreprise de «communication» mise en place après l’affaire du Sofitel de New York? Pour nombre de médecins spécialistes de l’addiction et de sa prise en charge, la première hypothèse semble aujourd’hui hautement vraisemblable.
En mai dernier, après les premières accusations publiques de viol visant celui qui était donné favori du camp socialiste pour l’élection présidentielle, l’hypothèse d’une addiction sexuelle avait été rapidement évoquée.
Le député UMP de Paris et ancien ministre Bernard Debré avait alors parlé d’un «homme peu recommandable». «C'est humilier la France que d'avoir un homme qui soit comme lui, qui se vautre dans le sexe, et ça se sait depuis fort longtemps», avait-il déclaré, précisant qu'il s'exprimait «à titre personnel».
Rien, alors, ne permettait toutefois de faire la part entre, d’une part, une forme de libertinage assumé et revendiqué et, de l’autre, une pathologie qui se situe dans le grand ensemble des addictions (ou «assuétudes»); et plus précisément dans le sous-ensemble des addictions comportementales, distinctes mais voisines, de celles associées au tabac, aux boissons alcooliques ou aux autres substances psycho-actives illicites.
A la différence du libertinage, l’addiction sexuelle se caractérise par l’installation –que l’on pourrait tenir pour paradoxale– d’une souffrance. Celle-ci est due à une perte progressive du contrôle de sa sexualité et la poursuite de comportements pathologiques et de prises de risques directement liés à l'acte sexuel; et ce en dépit de la connaissance qu’a la personne concernée de leurs possibles conséquences négatives.
Une période à haut risque
«Quelle que soit la nature de l’addiction, la fin de la phase de déni coïncide avec la prise de conscience des conséquences négatives majeures de cette addiction, explique le Dr Willian Lowenstein, directeur de la clinique spécialisée Montevideo de Boulogne (Hauts-de-Seine). Ce n’est pas l’origine de l’assuétude qui est en cause, mais les impacts directs sur la famille, les proches ou la profession qui jouent un rôle de révélateur.»
Et si elle peut apparaître comme un facteur positif, la fin du déni est aussi une période à très haut risque. Le Dr Lowenstein souligne:
«A ce stade, la personne concernée est extrêmement fragile, dans une situation excessivement dangereuse. Elle souffre le plus souvent d’une angoisse majeure. Elle a rompu avec ce qui lui donnait une forme d’équilibre et ne sait pas de quoi sera faite sa nouvelle vie. Elle va bientôt apprendre que la sortie de la dépendance va être incomparablement plus coûteuse que ce que fut l’entrée. Et c’est précisément à ce stade qu’il lui faut compter, entre autres conséquences, avec le regard et les jugements d’autrui.»
Dans le cas de Dominique Strauss-Kahn, l’affaire se complique de différentes manières. Il faut compter avec l’intense médiatisation qu’elle continue d’alimenter et que l’ancien responsable socialiste (devenu la cible quotidienne des humoristes) qualifie de «lynchage» sans plus être entendu.
Il faut aussi compter avec les conséquences que pourrait avoir la reconnaissance publique d’une addiction —et de facto d’un état de malade— sur les suites judiciaire civiles de l’affaire du Sofitel de New York. Dans ce domaine, la tendance jurisprudentielle est claire.
Si elle pouvait, hier, être reconnue comme une circonstance atténuante en matière de délits ou de crimes, l’addiction est aujourd’hui généralement considérée comme un facteur aggravant, la démonstration d’une forme de perte quasi-volontaire de l’affirmation de sa volonté, notamment en cas de refus (ou d’échec) de traitement.
C’est notamment le cas de la conduite automobile en état d’ivresse chez les malades de l’alcool, ou des achats compulsifs chez les bipolaires en phase maniaque. La jurisprudence reste, pour une large part, à écrire en matière d’addiction sexuelle.
Jean-Yves Nau