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Le départ de Berlusconi ne règle pas les problèmes de l'Italie

Temps de lecture : 9 min

La dette, la taille des entreprises, la corruption, le retard du Sud, la loi électorale... Mario Monti va de voir faire avec une Italie en mal de croissance et cible des spéculateurs.

La démission de Silvio Berlusconi. REUTERS/Alessandro Garofalo
La démission de Silvio Berlusconi. REUTERS/Alessandro Garofalo

La démission de Silvio Berlusconi et l’adoption des mesures économiques réclamées par l’Union européenne suffiront-elles à sortir l’Italie de l’impasse et voir l’eurozone pousser un soupir de soulagement?

Pas vraiment. Le problème italien ne se règle pas avec un simple départ, ni avec le plan de réformes économiques présenté au sommet européen, ni avec l'arrivée de Mario Monti à la tête du nouveau gouvernement. «La lettre du gouvernement aux autorités européennes est une façon pour détourner l’attention des vrais problèmes», a ainsi tranché Vincenzo Visco, professeur d'économie, et ancien ministre des Finances du gouvernement Prodi.

Les vrais problèmes? Ils sont au nombre de huit.

1. La dette publique

En avril 2011, la dette publique italienne atteignait un niveau jamais vu: 1.813 milliards d’euros. 300 milliards de plus que la France. L’Italie serait-elle plus dépensière que ses voisines? «Non, tranche Giorgio Arfaras, directeur de la Lettera Economica, revue économique publiée sur le site du Centro Einaudi. Avec l’Allemagne, l’Italie est un des rares pays à dépenser moins que ce qu’elle encaisse. Et ce, depuis le dernier gouvernement Andreotti, dans les années 1990. Le déficit italien vient du paiement des intérêts», poursuit le professeur.

Pendant les années 1960, lorsque l’idée d’Etat-providence devient dominante, la plupart des pays voient croître leurs dépenses publiques. Mais en Italie, le prélèvement des impôts a été beaucoup plus lent parce qu’il n’y avait pas la force politique pour l’imposer. «Les caisses dans les cafés n’ont été obligatoires qu’en 1985!», rappelle Giorgio Arfaras, qui conçoit la dette publique italienne comme un véritable «phénomène historique»:

«Elle est fille de l’histoire italienne qui a connu une vertigineuse demande de services publics dans les années 1960 et 70.»

2. L’évasion fiscale

Si l’évasion fiscale n’est pas un phénomène exclusivement italien, elle se caractérise par une dimension et une étendue singulière au-delà des Alpes. 120 millions d’euros en 2010 selon les estimations et pratiquée dans tout le pays: plus répandue au Sud, où les fraudeurs du fisc sont plus nombreux, elle est plus consistante au Nord, où les sommes d’argent en jeu sont plus importantes.

D’après les conclusions du rapport élaboré par le groupe de travail mené par le ministre de l’Economie Giulio Tremonti, en 2010 le taux moyen d’évasion fiscale en Italie était de 13,5% du revenu déclaré. En moyenne, le contribuable a soustrait 2.093 euros au fisc. Comment expliquer des chiffres aussi élevés? Il y a certainement une dimension culturelle. «Le point le plus important c’est la légitimisation», estime Roberto Ippolito, auteur de Evasori, livre-enquête sur l’évasion fiscale en Italie. Pas étonnant si les fraudeurs se voient attribuer le sobriquet de «furbetti», petits malins.

Même Silvio Berlusconi avait, en 2008, justifié l’évasion fiscale:

«Si l'Etat demande aux citoyens plus d'un tiers de ce qu'ils gagnent, alors, il est moralement licite de frauder l'impôt.»

La crise n’a pas arrangé les choses. Pour Roberto Ippolitto, elle a même servi de justification à ceux qui évadent. Ainsi le «condono fiscale», cette amnistie que le gouvernement italien a accordé aux fraudeurs du fisc en leur permettant de se mettre en règle moyennant une amende, a été justifié par la nécessité de rapatrier des sommes d’argent détenues à l’étranger en période de crise.

«Dans la dernière décennie, les fraudeurs du fisc ont été dorlotés, protégés. Même les mesures qui auraient pu contrer ce phénomène ont été effacées», poursuit Roberto Ippolito. Impossible donc de comprendre ce problème sans tenir compte de la tolérance politique dont a longtemps bénéficié l’évasion fiscale italienne.

«Dans la lettre présentée par Silvio Berlusconi au sommet européen l'expression “évasion fiscale” n’est même pas citée!», s’insurge le journaliste.

3. Le retard du Sud

Si les régions du nord de l’Italie comptent parmi les plus avancées et compétitives d’Europe, le niveau de développement du Sud, le Mezzogiorno, est analogue à celui de l’Estonie. Le taux de chômage s’y élève à 13,4%, contre 6,4% au Nord. Ces données montrent l’ampleur d’un décalage qui donne parfois l’impression d’un pays scindé en deux. La crise n’a fait que creuser ces écarts.

A la suite de la forte chute du PIB en 2009, la reprise économique, assez faible dans toute Italie, apparaît plus faible encore au Sud. Dans les 10 dernières années, la croissance économique de Mezzogiorno était négative: -0,3% par an contre 3,5% par an dans le Centre-Nord.

Or le Mezzogiorno représente 35% de la population et 23% du PIB. Rattraper ce retard améliorerait considérablement la compétitivité italienne. «Le Mezzogiorno est un territoire géographiquement périphérique par rapport aux grands marchés du nord de l’Italie et de l’Europe. Ce désavantage, aggravé par des infrastructures inefficaces, implique des coûts de transport plus élevés qu’au Nord», explique Vittorio Daniele, professeur à l’Université Magna Graecia de Catanzaro et auteur d’un rapport sur le retard du Sud.

Il faut aussi compter avec les inefficacités bureaucratiques, plus fortes encore que dans le reste du pays, et avec la présence, dans certaines zones, de la criminalité organisée dont le chiffre d’affaires représente 150 milliards d’euros, selon la Commission parlementaire antimafia. Ainsi que 180.000 postes de travail perdus au Sud, selon le Censis (Centre d'études en investissement social).

«Face à ces inconvénients, il n’y a pas d’avantages tels à rendre le Mezzogiorno un territoire compétitif pour les investissements industriels. Au sud, le coût du travail est plus ou moins analogue au coût national, alors que le coût de l’argent (le taux moyen d’intérêt sur les prêts aux entreprises) est plus élevé qu’au centre-nord», poursuit Vittorio Daniele.

Ce déséquilibre s’accompagne d’un relatif immobilisme politique. Dans un rapport sur la compétitivité des pays européens publié en octobre, la Commission européenne note qu’il n’y a pas eu de «progrès significatifs» pour réduire ce décalage.

Vittorio Daniele, lui, est moins diplomate dans ses formulations.

«Voilà 10 ans que les gouvernements délaissent le Mezzogiorno. Le gouvernement actuellement en charge a réduit les crédits, en particulier les FAS (Fondi per le Aree Sottosviluppate) pour destiner une partie de ces fonds au financement d’initiatives même dans les zones économiquement plus avancées du Nord.»

4. La loi électorale

Rebaptisée par son propre créateur le ministre des Réformes institutionnelles de Silvio Berlusconi Roberto Calderoli «une cochonnerie», puis latinisée en «porcellum», la loi électorale italienne promulguée en 2005 a deux objectifs: «limiter les effets de la victoire de la gauche, et contenter tous les alliés de Berlusconi», rappelle Andrea Morrone, président de Firmo Voto Scelgo, le comité pour le référendum contre le porcellum.

Le porcellum est donc le fruit d’une coalition à quatre, où Pier Ferdinando Casini voulait un système proportionnel, Gianfranco Fini et la Ligue du Nord les listes bloquées, et Berlusconi la prime de majorité. Le porcellum possède un peu de ces quatre volontés et remplit bien ses objectifs initiaux: valoriser une alliance de droite et limiter la victoire du centre gauche (c’est sur le fil que l’Unione, la coalition électorale dirigée par Romano Prodi, remporte les élections législatives de 2006).

Et il efface les avancées démocratiques accomplies avec une précédente loi électorale, le Mattarellum, de 1993 qui à la fois a introduit le bipolarisme, l’alternance, et la déradicalisation de la lutte politique. «Les forces politiques jusqu’à présent considérées comme antisystème deviennent forces de gouvernement, comme l’ex-MSI qui devient Alliance Nationale ou encore les anciens communistes», souligne Andrea Morrone.

Si le porcellum est une «cochonnerie», c’est surtout parce que l’électeur ne vote que pour des listes de candidats, et ne peut pas indiquer de préférence. Du coup, l’élection des parlementaires dépend entièrement des choix des partis. Il est aussi facteur d’instabilité politique car la prime majoritaire est différente à la chambre (où la prime est sur base nationale) et au Sénat (sur base régionale).

Du coup, celui qui gagne à la chambre n’est pas assuré de gagner au Sénat et risque de se retrouver dans une situation disproportionnée. C’est ainsi que Prodi doit démissionner de son gouvernement en 2007 car il se retrouve en minorité au Sénat. «Cette loi n’est pas là pour stabiliser le jeune système bipolaire mais pour réaffirmer l’hégémonie des partis politiques. Elle perd totalement de vue la question de la gouvernabilité», conclut Andrea Morrone.

5. La bureaucratie

Le premier ministère pour la Réforme bureaucratique remonte à 1953. Tout un symbole. Depuis, le ministère a changé de nom —il s’agit aujourd’hui du ministère pour la Simplification (des lois)— mais le problème, lui, demeure. Dans un rapport sur la compétitivité des Etats membres en 2011, la Commission européenne s’inquiète de la charge bureaucratique qui pèse sur les entreprises italiennes, la plus lourde de toute l’Europe.

L’étude «Paying Taxes 2011», réalisée par la Banque mondiale et le cabinet de conseil PwC, est plus éloquente encore. Une entreprise italienne a besoin de 285 heures chaque année pour s'acquitter de ses impôts, soit 60 heures en plus que la moyenne européenne.

Sur les 183 pays analysés, l’Italie occupe la 123e place.

Pour Confindustria (organisation représentative des entreprises italiennes), l’assouplissement de la charge bureaucratique est un élément fondamental pour permettre à l’Italie de croître. Dans Italia 2015, document où Confindustria présente 10 propositions pour draîner la croissance, la réforme de l’administration publique figure en première place.

6. La corruption

60 milliards d’euros, soit 1.000 euros par citoyen: voilà le coût public de la corruption en Italie, selon la Cour des comptes. Même le Ghana, le Rwanda et le Samoa font mieux que l’Italie dans le dernier Corruption Perceptions Index de Transparency International, un indice qui mesure la perception de la corruption du secteur public. Avec un score de 3,9 sur 10, l’Italie se situe loin derrière le Royaume-Uni (7,6), la France (6,8), l’Espagne (6,1), ou encore le Portugal (6,0).

Certes les résultats du CPI ne sont qu’indicatifs, puisqu’il reposent sur la perception que portent dirigeants, entrepreneurs et hommes d’affaires sur un pays en fonction de leur expérience ou des informations relayées par les médias. Perception qui a sans doute, comme le rappelle Il Fatto Quotidiano, augmenté depuis la publication de grands scandales en Italie comme la gestion du tremblement de terre de l’Aquila ou encore le problème des déchets à Naples.

Il n’en reste pas moins que, comme le rappelle Maria Teresa Brassiolo, présidente de Transparency Italie, «la corruption, réelle ou perçue, influe jusqu’à 30% sur la notation du pays et sur les investissements étrangers, représentant ainsi une entrave à la croissance et au développement de l’économie et du travail».

7. Le nanisme des entreprises

95% des entreprises italiennes ont moins de 10 employés, et 65,2% (près de 3 millions) n’en ont aucun. Les chiffres révélés par une recherche menée par l’Istat (Institut national des statistiques) sont clairs: les entreprises italiennes sont atteintes de «nanisme». Un problème que l’Italie partage avec la Grèce, selon les données de l’OCDE.

Cela ne joue pas en faveur de la croissance du pays, déjà mal en point: d’après les dernières prévisions de la Commission européenne, l’Italie devrait connaître une stagnation de son PIB en 2012 (+0,1%), alors que l'on tablait en mai dernier sur une croissance de 1,3%.

Si dans les années 1970 et 80 la petite taille des entreprises italiennes représentait un avantage, à partir des années 1990 la donne change, comme on peut le lire sur Ragionpolitica.it, un magazine d’analyses. Le «nanisme» devient un frein à la productivité des entreprises italiennes.

Dans son rapport d’octobre sur la compétitivité des pays européens, la Commission européenne explique que l’Italie doit soutenir la croissance de la dimension des entreprises italiennes si elle veut les rendre plus compétitives sur la scène mondiale.

8. Le malaise de la jeunesse

27, 9 %: il s’agit du taux de chômage des jeunes en Italie, selon les données fin 2010 de l’OCDE. Un chiffre bien plus élevé que la moyenne de la zone OCDE, et qui s’est aggravé avec la crise: en 2007, le taux de chômage des jeunes s’élevait à 20,3%. Sans parler de la précarité des jeunes qui travaillent: en Italie 46,7% des 15-24 ans qui ont un emploi est un job temporaire. Un pourcentage encore une fois en augmentation depuis le début de la crise: 42,3% en 2007, 43,3% en 2008 et 44,4% en 2009.

Cette situation pèse sur les espoirs de la jeunesse italienne. La publication d’un article du Times sur la fuite des cerveaux a suscité de nombreux débats. Malgré la difficulté d’évaluer le nombre de jeunes qui s’expatrient, puisqu’il n’y a pas de chiffres officiels, le quotidien britannique affirme qu’ils sont toujours plus à quitter l’Italie: les 25-39 ans possédant un diplôme universitaire et qui déclarent vivre à l'étranger seraient en augmentation constante, de 2.540 en 1999, à environ 4.000 en 2008.

Et d'après un sondage réalisé par Bachelor, une agence de recrutement milanaise, 33,6% des nouveaux diplômés ressentent le besoin de quitter l'Italie pour pouvoir profiter de leur diplôme. Un an plus tard, 61,5% estiment qu'ils auraient dû quitter le pays.

Il n’y a peut-être pas de données officielles, mais les symptômes sont là. D’autant plus inquiétants dans un pays déjà vieillissant et qui compte à peine 18 millions de jeunes de moins de 30 ans, 3 pour 10 habitants, et dont le poids a diminué de 3% lors des 10 dernières années.

Margherita Nasi

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