A première vue, elle a tout de la photo typique d'une équipe sportive d'université américaine. Une dizaine de jeunes, en maillots violets, des ballons à la main et souriants. En y regardant de plus près, l'on s'étonne de voir des balles de toutes les tailles: basket, foot ou volley.
Et ce que l'on prenait pour des crosses de hockey ressemble plutôt à des balais. L'équipe de Quidditch de New York University fait partie de la centaine d'équipes universitaires à participer à la cinquième coupe du monde de Quidditch, samedi 12 et dimanche 13 novembre.
Eh oui, le Quidditch a survécu à la disparition d’Harry Potter et s’implante désormais sur les campus américains. Et ses joueurs sont presque aussi populaires que les fameux quarterbacks. Ce week-end, plus de 2.000 athlètes se sont donnés rendez-vous à Randall Island, une île au nord de Manhattan, pour disputer la coupe du monde de la discipline.
Lors de sa première édition en 2007, seulement deux équipes s'étaient affrontées, américaines toutes les deux. Aujourd'hui, elle mérite un peu plus son nom de «coupe du monde» puisque certains ont même fait le déplacement d'Argentine et de Nouvelle-Zélande.
Mais surtout, le Quidditch se pare des atours d’un sport à part entière. Avec des équipes, des divisions, des arbitres et des règles bien précises. «C'est exactement comme la version du livre, sauf qu'on garde les pieds sur terre», s'amuse Logan Abinder, le capitaine de l'équipe de l'université du Michigan.
Trois ballons et un balai entre les jambes
Les pieds sur terre, on se demande s'ils les ont vraiment quand on regarde un match. Au signal du départ, une dizaine de joueurs commencent à courir dans tous les sens, à attraper des ballons (il y en a trois) et à les lancer dans des cerceaux ou à se les jeter dessus comme au ballon prisonnier. Le tout en gardant un balai entre les jambes.
Même si toutes sortes de balais sont acceptées, le nec plus ultra reste tout de même celui d'Harry Potter, qui peut coûter jusqu'à 40 dollars. Et pas question de faire le ménage avec ensuite, celui-ci est un véritable accessoire sportif (l'affront semblerait aussi sacrilège que nettoyer ses carreaux avec son tutu de danse).
Tout à coup, deux joueurs commencent à en poursuivre un troisième: habillé en jaune fluo, sans balai mais avec une petite balle accrochée à son short. Le snitch d'or fait son apparition. Comme dans le film, celui qui réussit à l'attraper (la balle, pas le joueur) termine le match et donne la victoire à son équipe. Mais aussi, comme dans le film, le snitch pourrait bien décider de disparaître un petit moment. «Impossible de le poursuivre hors du stade, alors s'il allait se promener sur le campus ou se faire une séance de cinéma, le jeu pourrait durer des heures», imagine Mélanie Chabrol, une jeune adulte fan d'Harry Potter.
Dans les faits, une partie ne dure pourtant rarement plus de quatre-vingt minutes, garantit Logan Abinder.
Sport ou pas sport?
Sur le terrain, on ne trouve pas vraiment de geeks, pas non plus de «joueurs», mais des «athlètes» qui refusent d'être réduits à de simples fans. Le Quidditch, c'est une affaire sérieuse. «On a au moins un match par semaine, deux entrainements et trois séances de sport où l'on fait des tours de terrain et des pompes... Bref, on joue quasiment sept jours sur sept», explique Harry Greenhouse, un «poursuiveur».
Il a commencé le Quidditch il y a seulement trois mois en arrivant à la fac. Avant, il jouait au base-ball, au foot, au football américain et faisait même de la lutte. Tous ces sports, le Quidditch les lui a fait oublier:
«En fait, le Quidditch prend ce qu'il y a de mieux dans différents jeux et rajoute son petit grain de folie. C'est ce qui m'a séduit. Dès que j'ai entendu parler du premier entraînement, je m'y suis précipité et je n'ai pas été déçu depuis.»
Certes, le jeu est d'abord réservé aux fans d'Harry Potter. Mais petit à petit, son audience s'est élargie. Difficile sur les campus de trouver quelqu'un qui ignorerait totalement les règles puisqu'aucun jeune de moins de 25 ans n'a pu échapper au phénomène Harry Potter. Toutefois, tous les joueurs ne se définissent pas comme des «fans» du jeune sorcier. «J'aimais bien Harry Potter donc je me suis dit que ça pouvait être sympa», continue Harry, «mais c'est surtout l'aspect sportif qui m'intéresse».
«Le stéréotype du fan, c'est un gros lard asocial qui passe ses journées sur internet enfermé dans sa cave. Les joueurs de Quidditch, c'est exactement l'inverse. Il faut vraiment être athlétique pour y jouer, c'est un sport à part entière beaucoup plus qu'un jeu», insiste Flourish Klink, maître de conférences en Media Studies au MIT.
Une communauté de fans qui s'élargit
Pas étonnant que les fans d'Harry Potter aient inventé le Quidditch sur terre. Les fandoms, communautés de fans, se sont toujours réapproprié les codes des fictions pour les transformer. «Les fans représentent le public le plus actif, le plus créatif et le plus innovant», explique Henry Jenkins, professeur à l'Université de Californie du Sud et spécialiste des fans.
Prendre un élément du livre et l'adapter dans la vie réelle est donc un phénomène courant dans les communautés de fans. Ce week-end, en plus du Quidditch, des fans comme Sarah Parish et Tina Sigurdson s'enthousiasment à l'idée d'assister à des concerts de «Wizard Wrock» et de goûter la fameuse Bièraubeurre. «Reproduire les activités d'Harry Potter», explique Jeff Rudski, professeur au Muhlenberg College, «c'est un peu comme regarder un vieil album de photos de familles. Tu sais que ceux que tu regardes n'existent plus depuis longtemps, mais les regarder est agréable et rassurant.»
La fandom d'Harry Potter diffère pourtant des autres communautés. Contrairement à Star Wars ou au Seigneur des anneaux par exemple, elle n'est pas réservée à un cercle restreint de spécialistes. «Notre communauté est ouverte à tous. D'habitude, participer à des événements comme ça demande une connaissance très poussée des livres. Si tu n'es pas fan et que tu te retrouves au milieu d'un fandom tu peux te sentir rejeté. Avec la coupe du monde de Quidditch, ce n'est pas le cas», raconte Mélanie Chabrol. A peine une vingtaine de minutes seraient nécessaires pour expliquer les règles à un néophyte.
De deux à cent équipes
Le jeu permet en fait d'exercer une transition entre une fandom de spécialistes et une communauté plus ouverte au grand public. «Le Quidditch s'est déplacé des descriptions fantastiques des sports magiques que l'on trouve dans les romans de J.K. Rowling à un jeu qui peut être pratiqué dans le monde réel. Avec le temps, les règles se sont affinées, les joueurs ont développé de nouvelles compétences, et le sport s'est développé. Il a attiré de nouveaux genres de fans qui ne se seraient probablement pas engagés dans d'autres productions culturelles», indique Henry Jenkins.
Des productions culturelles qui ne sont, elles, pas forcément ouvertes à tous les publics. Transformer des fans fictions en porno est un autre exemple courant de la réappropriation des codes fictionnels par la communauté des fans.
Si le comité olympique n'a pas prévu de le faire entrer dans sa compétition dans les années à venir, certains sur les campus militent tout de même pour que le Quidditch soit reconnu comme un sport universitaire officiel. «Mais c'est déjà un sport», s'agace Harry Greenhouse. Et tous d'insister sur le fait que le sport en question n'en est qu'à ses débuts. Passer de deux à une centaine d'équipes participantes en seulement cinq coupes du monde, ce n'est pas rien.
Pauline Moullot