«Carlos est condamné à perpétuité en France, là-bas ils l’accusent de terrorisme… En réalité, Carlos était un combattant révolutionnaire!». En prononçant ces mots en direct à la télévision en novembre 2009 (vidéo en espagnol), devant un congrès international réunissant des représentants de partis de gauche, Hugo Chavez affiche clairement son soutien à son compatriote Carlos, de son vrai nom Ilich Ramirez Sanchez.
Le portrait dressé par le président socialiste d’un «soldat de l’Organisation pour la libération de la Palestine» mû par un dessein humaniste contraste fortement avec la représentation du terroriste sanguinaire répandue en France.
Déjà condamné à la prison à perpétuité en 1997 pour le meurtre de trois hommes, dont deux policiers, vingt ans plus tôt rue Toullier, Carlos comparaît à partir du lundi 7 novembre devant la Cour d’assises spéciale de Paris pour complicité dans quatre attentats commis en France en 1982 et 1983, qui ont fait onze morts au total.
Un second procès qui, comme le premier, serait illégitime selon Hugo Chavez, parce que la police française aurait «kidnappé» Carlos en 1994 au Soudan. «Ils l’ont séquestré, ils l’ont mis dans un sac, dans un avion, et l’ont ramené à Paris», dénonce-t-il.
C’est le principal argument de la famille d’Ilich Ramirez, qui n’attend rien d’un procès joué d’avance, mais réclame tout simplement l’extradition du Vénézuélien de 62 ans dans son pays natal, soutenant que la présence même de Carlos en France est illégale, puisque la DST l’a capturé à l’étranger avec un mandat national et non international.
Marxisme-léninisme au biberon
Vladimir Ramirez, frère benjamin du détenu et président de son comité de soutien, porte systématiquement en public sa casquette «Rapatriement pour Carlos». Au dos de son vieux 4X4 noir, sur un autocollant, son frère menotté fait un bras d’honneur. Quinquagénaire affable et souriant, très sérieux derrière ses petites lunettes, Vladimir voit en son frère, de neuf ans son aîné, un «Che Guevara», un «modèle à suivre», un «orgueil» pour les siens. Il revisite avec nostalgie la rue où les trois frères ont grandi, en plein cœur de Caracas, un quartier colonial populaire.
Leur père, avocat très aisé, choisit d’y installer sa petite famille dans un appartement modeste. «Papa a toujours refusé le luxe, bien qu’il ait de grands moyens, il voulait que nous vivions simplement», se souvient Vladimir. La famille Ramirez est une des seules du quartier à posséder un poste de télévision et une table de billard, mais ne fait pas étalage de sa richesse. Les parents divorcent quand Vladimir a quatre ans, mais ils continuent de vivre sous le même toit.
Le père, militant marxiste-léniniste, donne à ses trois fils une éducation très ferme: les garçons n’ont pas le droit de jouer dans la rue, de sortir seuls ou de «perdre leur temps avec des occupations futiles». Rien ne doit les détourner de leur formation, assurée par des maîtresses d’école marxistes qui viennent enseigner à domicile. Seules distractions autorisées pour Ilich, alors adolescent: les cours de gymnastique et le cinéma.
Il emmène son petit frère Vladimir voir ses films préférés: les péplums. Sur son temps libre, il lit, énormément, presque exclusivement des textes politiques. Encouragés par leur père, Lénine, le cadet, et Ilich s’encartent aux Jeunesses communistes et participent à des manifestations anti-Action Démocratique, le parti social-démocrate au pouvoir à l’époque.
Lorsqu’Ilich décroche son bac, à 16 ans, toute la famille déménage à Londres. Encore une idée de leur père, qui veut offrir à ses enfants «une éducation internationale» et l’opportunité d’apprendre plusieurs langues. A ce moment-là, leurs parents se séparent davantage et l’aîné au visage rond devient un peu «l’homme de la maison» et un second père pour le petit Vladimir.
Il lui montre Orange mécanique de Stanley Kubrick et lui apprend «à boire, à fumer et à parler aux filles». Jusqu’en 1968, date à laquelle Ilich obtient une bourse du Parti communiste vénézuélien (PCV) pour étudier à Moscou, à l’Université Lumumba. Il y suit des cours de chimie mais surtout découvre la cause palestinienne lors de longues discussions avec d’autres étudiants étrangers.
C’est là-bas, selon son frère, que le jeune Vénézuélien aurait réalisé «que l’internationalisme intellectuel et pacifique de [son] père n’était pas suffisant pour affronter l’impérialisme» et pris la décision d’entrer dans la lutte armée pour la défense d’un Etat palestinien.
La notoriété internationale
Ilich se fait alors très discret et sa famille n’a pas que peu de nouvelles de lui à partir de 1970. Jusqu’en juillet 1975, quand des photos de lui commencent à apparaître dans la presse alors qu’il est désigné comme principal suspect des événements de la rue Toullier (Carlos est suspecté d’avoir tué deux policiers et un indicateur en prenant la fuite).
Le communiste vénézuélien atteindra une notoriété internationale cette même année, en décembre, lorsqu’il enlève onze ministres rassemblés à Vienne lors du sommet de l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole). Passé le choc de la nouvelle et la confusion première, le père d’Ilich se sent «très fier». «Il a toujours imaginé que ses enfants seraient de grands militants de gauche», explique Vladimir. Celui que le Guardian surnomme le premier «le Chacal» est vu comme un héros dans sa famille.
Aujourd’hui, au Vénézuela, Carlos est bien moins connu qu’en France. Les jeunes qui fréquentent le lycée où il a passé son bac, Fermin Toro, à la réputation très gauchiste, ne savent même pas qui il est. La mini-série d’Olivier Assayas est vendue en DVD pirates à tous les coins de rue à Caracas, mais les spectateurs n’y voient souvent qu’un «bon film d’action».
L'ancien diplomate et historien vénézuélien Demetrio Boersner tient à relativiser l’aura du «Chacal» au Venezuela: «Avant Chávez, Carlos était pour nous un détestable criminel et cela nous faisait honte qu'il soit vénézuélien.»
Pourtant, chez les militants de gauche, nombreux sont ceux qui soutiennent le terroriste. A commencer par le Parti communiste, qui s’indigne que son ancien membre soit «détenu sous les ordres impérialistes dans les cachots de France». Dans son «auberge socialiste», Abdel, Algérien immigré à Caracas depuis plus de 30 ans, ne cache pas son admiration pour Carlos, «un Zorro», un «humaniste» qui se bat «pour une cause juste». Il participe aux manifestations organisées par Vladimir Ramirez et trouve logique qu’un Vénézuélien se soit jeté corps et âme dans la lutte palestinienne: «Le Vénézuélien, à l’origine, est un Libertador, un bolivarien».
Parmi les pro-Carlos, certains groupuscules violents ont proposé à Vladimir de mener des actions armées pour faire sortir Carlos de prison, mais lui a toujours rejeté cette solution, qui ne rendrait pas sa totale liberté à Ilich. La seule issue possible, insiste-t-il, est diplomatique. Mais si la déclaration de Chavez en 2009 avait suscité un immense espoir dans la famille Ramirez, elle n’a été suivie d’aucun acte, affirme Vladimir.
Pire, Hugo Chavez n’aurait jamais répondu aux sollicitations des Ramirez. Le président bolivarien n’aurait-il déclaré son soutien au militant pro-palestinien que pour s’assurer les faveurs du monde arabe? Vladimir ne veut pas le croire mais accuse l’ambassadeur du Venezuela en France de manquer à son obligation d’assister Ilich quand ce dernier se dit «victime de mauvais traitements» en prison.
Le diplomate s’en défend:
«Nous veillons à ce que les droits fondamentaux de tous les Vénézuéliens en France soient respectés. Celui qui sent une violation de ses droits a la liberté de chercher un avocat, mais ce n’est pas la vocation de l’ambassade de décider si ces accusations sont vraies ou fausses.»
Dans une de ses dernières interviews à la radio Europe 1, Carlos a affirmé qu’il irait «prier sur la tombe de Simon Bolivar au panthéon de Caracas» s’il était libéré. Pas sûr qu’il soit reçu les bras ouverts par Hugo Chavez…
Julie Pacorel