Malgré (ou à cause de) la dureté de son parcours, le marathon de New York reste la référence et le graal pour tout candidat aux célèbres 42,195 kilomètres. Dimanche 6 novembre, ils seront encore quelque 45.000 à vivre cette grande aventure humaine pour laquelle ils ont souvent traversé une partie du monde et dépensé beaucoup d’argent. Tous n’arriveront pas au bout de ce long chemin, mais ils seront néanmoins des milliers à rallier l’arrivée, très loin pour la plupart des quelque 2h08 accomplies par le vainqueur et les quelque 2h25 signées par la gagnante. Qu’importe, pourvu qu’ils aient l’ivresse de la souffrance.
Pour l’anecdote, ils seront aussi quelques dizaines… à tricher pour décrocher le bonheur ultime de la délivrance finale et obtenir le diplôme consacrant leur bel effort avec le mot magique inscrit sur le document: finisher. Dans les grands marathons, la triche existe, en effet, et elle n’a rien à voir avec un quelconque dopage. Elle reste résiduelle car courir le marathon de New York ne se gâche pas, en principe, par un petit acte délictueux et un peu lâche aux yeux de ses concurrents.
Et pourtant, chaque année, autour de 50 tricheurs sont généralement répertoriés et repérés notamment grâce aux contrôles électroniques qui essaiment le parcours new-yorkais et permettent de localiser les participants comme partout lors des grands marathons mondiaux. Tous ne sont pas de vrais tricheurs, mais plutôt des étourdis qui ne se rendent pas comptent de leur faute. Fatigués, ils renoncent à la course à un moment donné, mais pas au plaisir de courir les derniers mètres quitte à être classés au milieu de la confusion générale et aux dépens de ceux qui se sont échinés sur la totalité de ce tracé accidenté.
Zapper le Bronx
Le 20e kilomètre du marathon de New York correspond environ à l’entrée dans Manhattan et c’est généralement à ce moment-là, selon les enquêteurs locaux, que certains décident de prendre la tangente en se rendant tranquillement en direction de Central Park, où se juge l’arrivée, sans passer par le Bronx, étape obligée du marathon.
D’autres coureurs sont nettement plus malins et préméditent leur forfait en bénéficiant de complicités au sein du peloton. Pour échapper à la patrouille des contrôles électroniques intermédiaires, ils transmettent à d’autres leurs dossards électroniques censés les suivre sur le parcours. Lorsqu’ils sont confondus, ils expliquent souvent que c’était leur seul moyen pour se qualifier pour le marathon de Boston, nettement plus exigeant en termes de critère d’engagement.
Aujourd’hui, les progrès techniques minimisent ce genre de désagrément, mais la triche a toujours fait partie de la petite histoire du marathon à côté de la grande, forcément héroïque. Deux histoires de triche, aussi invraisemblables l’une que l’autre, dominent cette hiérarchie particulière.
Panthéon des tricheurs
La première remonte aux Jeux Olympiques de Saint-Louis en 1904. Cette année-là, le marathon olympique se court dans une insoutenable canicule si bien que sur les 32 partants, 14 seulement rallieront l’arrivée. Après 3h13 horribles de dureté, l’Américain Fred Lorz franchit le premier la ligne d’arrivée sous les yeux d’Alice Roosevelt, la fille du président des Etats-Unis, qui salue son exploit. Mais au fil des minutes, et avant la cérémonie des médailles, la rumeur enfle dans le public. Lorz n’aurait pas accompli la totalité des 42 kilomètres. Stupeur lorsque l’on apprend qu’il en a effectué une quinzaine… en voiture avec son entraîneur!
Cette imposture, qu’il tentera de minimiser en prétendant qu’il avait voulu faire une mauvaise blague, lui vaudra d’être banni à vie, sanction finalement levée. Un siècle plus tard, il continue de faire des émules. Le vainqueur déclaré aux Jeux de Saint-Louis sera finalement Thomas Hicks, alimenté tout au long de sa course par des rasades d’un drôle de cocktail à base de… strychnine qui faillit avoir raison de lui aussitôt les 42 kilomètres achevés.
L’autre scandale est plus moderne et remonte à 1980 au marathon de Boston. Il est le plus célèbre de tous et reste attaché à un nom, Rosie Ruiz, que personne n’a oubliée dans le monde de la course de fond. Le nom de cette Américaine d’origine cubaine reste même plus célèbre que certaines championnes olympiques de la discipline qui n’eurent pas droit à tant de gloire. Enfin, renommée relative, car Rosie Ruiz, alors âgée de 26 ans, allait vite regretter d’avoir coupé, en feignant l’épuisement, la première la ligne d’arrivée à Boston dans le temps canon de 2 h 31'36", soit la troisième performance mondiale de tous les temps.
L’entourloupe de Rosie Ruiz
Incroyable résultat pour une inconnue, victorieuse ainsi de la Montréalaise Jacqueline Gareau, deuxième, qui croyait avoir gagné la course. Et pour cause: elle n’avait jamais vu Rosie Ruiz à ses côtés sur le parcours et encore moins devant. Jacqueline craque à l’annonce du résultat, qui est très vite contesté. Mais la remise des prix a lieu et Rosie pose aux côtés du célèbre Bill Rodgers, vainqueur de la course masculine pour la troisième année consécutive.
L’occasion de s’apercevoir que le taux de masse graisseuse de la gagnante est quelque peu élevé pour une marathonienne qui vient d’exploser son record de 25 minutes enregistré au marathon de New York couru quelques mois plus tôt. Alors que ses pulsations cardiaques devraient se situer autour de 50 pulsations par minute (la norme pour une marathonienne), les siennes sont à 76. Elle persiste et signe: «J’ai couru la course!». Lors d’une interview surréaliste en direct, Rosie Ruiz éternue pour ne pas avoir à répondre aux questions précises de la journaliste qui s’emballe pour son résultat.
Mais Rosie Ruiz, qui n’aurait jamais pris le départ du marathon de Boston mais serait restée tranquillement dans une chambre d’hôtel tout près de l’arrivée, sera dénoncée par deux étudiants de Harvard qui jureront l’avoir vue sortir de la foule de spectateurs et rejoindre le peloton à quelques centaines de mètres de l’arrivée. Une photographe la reconnaîtra formellement aussi devant sa télévision et racontera avoir discuté avec elle dans le métro… lors du précédent marathon de New York où il est désormais probable que Rosie avait aussi abrégé son effort en parcourant 15 kilomètres avant de prendre le métro jusqu’à la station Columbus pour se mêler à nouveau à la course et terminer tranquillement à la 24e place en 2h56.
Sacrée Rosie qui n’a jamais avoué pour New York ou pour Boston (où elle fut déclassée au profit de Jacqueline Gareau) et eut ensuite maille à partir avec la justice notamment pour une histoire de trafic de drogue. Selon Bill Rodgers, il est possible que Rosie Ruiz n’ait jamais voulu gagner le marathon de Boston, mais qu’elle s’est probablement trompée en se mêlant à la course trop tôt, son idée n’étant pas de s’imposer, mais de finir avec un temps de bon niveau comme à New York. «Sur le podium, elle était aussi sidérée que tout le monde», dira-t-il.
A Paris et Bruxelles aussi
La légende de Rosie Ruiz demeure 31 ans plus tard. Elle surpasse celle de Jacqueline Courtade, victorieuse à la stupéfaction générale du marathon de Paris en 1983 également en parfaite inconnue et qui ne vint jamais chercher son prix, ce qui renforça les doutes autour de sa performance peut-être légèrement écourtée quelque part dans la capitale. Elle figure, toutefois, encore au palmarès de l’épreuve.
En 1991, le marathon de Bruxelles fit également beaucoup causer. Après plusieurs kilomètres de course, des observateurs virent un petit coureur moustachu perdre contact avec la tête. Ils l’avaient identifié en la personne de Hamiani Bensalem, porteur du dossard 62 et entraîneur du coureur Abbes Tehami. Quelques kilomètres plus loin, les mêmes spectateurs assistèrent à la remontée spectaculaire de ce même dossard 62 qui dépassa tout le monde pour finir par s’imposer dans un formidable sprint.
Détail bizarre: il avait perdu sa moustache pendant la course! Et Milou Blavier, l’organisateur de la course, découvrit qu’Abbes Tehami, caché dans un bois du parcours, avait récupéré le dossard de son entraîneur pour finir à toute allure à sa place. Se sachant découverts, ils prirent immédiatement la poudre d’escampette.
Yannick Cochennec