La critique est (presque) unanime: Forces spéciales serait le navet de l’année. Le film était pourtant prometteur: un commando français de super soldats part en Afghanistan pour libérer une journaliste des mains des talibans. Et pour une fois, le film est 100% français. Les plumitifs ont condamné cette fiction sortie dans les salles le 2 novembre en lui reprochant un scénario des plus moyens ou encore de faire la propagande de l’armée.
Le réalisateur Stéphane Rybojad y a pourtant mis les moyens avec l’aide de StudioCanal. Il profite d’un budget de 7,7 millions d’euros et d’un casting de luxe (Diane Kruger, Benoît Magimel, Djimon Hounsou).
Il a surtout obtenu un soutien indispensable: celui du ministère de la Défense français. Car s’il reste possible outre-Atlantique de louer hélicoptères et véhicules de combat, c’est totalement impossible en France. Les cinq héros du film sont entourés en permanence du fleuron de l’industrie nationale: hélicoptères puma ou tigre, rafales et même du porte-avion Charles de Gaulle.
«Tous les moyens à l’image, les machines, les avions, les hélicoptères sont ceux de l’armée française», admet le réalisateur. «Il n’y a pas de porte-avions ou de caracals chez les loueurs» et «sans le concours de la Défense, ce film est irréalisable».
En plus des impressionnants matériels de guerre montrés à l’écran, Stéphane Rybojad a bénéficié de précieux conseils.
Le lieutenant-colonel Jackie Fouquereau a accompagné l’équipe du film pendant toute sa réalisation. Cet ancien patron de la communication de l’armée de terre, passé à plusieurs reprises par l’Afghanistan, est un fin connaisseur de tout ce qui touche à l’intervention française sur ce théâtre d’opération.
Marius, un ancien instructeur des commandos de marine, joue même son propre rôle dans le film. Le soldat, rencontré lors du tournage d’un documentaire, s’est reconverti en acteur après 26 ans de carrière.
La défense veut servir le cinéma
«C’est une première, il n’y a pas de référence comme ça dans le cinéma français», estime le lieutenant-colonel Jackie Fouquereau. «Sur ce film, j’ai suivi par amitié mais le produit appartient au réalisateur.» «On permet le tournage de reportages ou de documentaires qui ne sont pas toujours favorables.»
Le conseiller technique du film admet tout de même que la relation de confiance établie par le passé avec Stéphane Rybojad au cours des reportages qu’il a tourné avec les forces spéciales «joue favorablement». Comme pour les journalistes, les réalisateurs qui connaissent déjà le milieu sont plus facilement reçus par les forces armées.
Les services de communication du ministère de la Défense accueillent régulièrement des tournages. Ils se sont même dotés depuis trois ans d’une cellule spécialisée chargée de communiquer directement auprès des sociétés de production pour les informer sur les possibilités mises à leur disposition.
Que ce soit pour tourner une fiction, un téléfilm ou un documentaire, l’armée peut offrir des moyens matériels, des conseils et surtout, comme dans 80% des cas, l’accès à des emprises militaires. 120 à 150 demandes sont formulées chaque année dont un quart aboutissent.
Seule exigence: les tournages ne doivent pas mettre en péril la mission opérationnelle. Pas question de mettre à disposition des équipements déjà jugés insuffisants sur les théâtres.
Il est en revanche possible de filmer les troupes à l’entraînement. Stéphane Rybojad a ainsi pu suivre directement des hommes des forces spéciales pendant leurs exercices en France et à l’étranger. C’est au cours de ces manœuvres qu’ont été réalisés les nombreux plans de véhicules.
«Le ministère de la Défense n’est pas un censeur, remarque-t-on au bureau d’accueil des tournages, les critères sont uniquement liés à la maturité du projet.»
La grande majorité des demandes de réalisateurs ne concernent pas des documents liés aux activités des armées. Entre un tournage dans l’école d’équitation de Vincennes ou des conseils pour un épisode de Diane femme flic, difficile de faire passer un message favorable.
L’objectif est d’ailleurs davantage de mettre en valeur un patrimoine, auquel l’accès est facturé de la même manière que pour n’importe quel autre ministère. Une démarche généralisée aussi bien au Quai d’Orsay qu’à l’Intérieur ou à la Défense qui se renvoient mutuellement les demandes.
La France n’a pas les moyens d’Hollywood
Le cinéma français deviendra-t-il un jour une vitrine de l’armée comme l’est déjà Hollywood pour les forces américaines? La critique amuse le lieutenant-colonel Fouquereau:
«Au Pentagone, il y a un vrai département cinématographique. En France, on n’a pas tous ces moyens. Aux Etats-Unis, il y a une politique de communication via le cinéma, nous n’en sommes qu’aux balbutiements.»
L’Hexagone souffre pourtant en matière de recrutement de maux comparables à ceux des forces américaines. Les campagnes de communication publicitaire s’inspirent d’ailleurs de leurs méthodes: clips vidéo, réseaux sociaux, jeux vidéo et présence massive sur les salons dédiés à la jeunesse.
Même chose dans les forces spéciales où le prestigieux 1er régiment parachutiste d’infanterie de marine s’est même mis à faire de la pub, faute d’atteindre ses objectifs de recrutement. Le film suscitera-t-il des carrières? Peut-être moins que la sortie des grandes productions hollywoodiennes.
«Comment se représente-t-on la guerre en France?», interroge Jean-Michel Valantin, auteur de Hollywood, le Pentagone et le monde. «En regardant du cinéma américain.»
C’est en effet une véritable tradition aux Etats-Unis, notamment depuis la sortie de Top Gun il y a 25 ans. La Navy avait accepté d’offrir toute l’aide possible à une seule condition: les combats aériens devaient avoir lieu en mer.
La marine américaine avait largement compté sur cette super production pour reconquérir une jeunesse qui boudait les métiers des armes. Résultat: des bureaux de recrutement mobiles étaient stationnés à la sortie des salles obscures. Depuis, les différentes armées disposent de leurs bureaux et de leurs services spécialisés en production cinématographique directement installés à Los Angeles.
Des méthodes qui ne sont pas encore dans les mœurs françaises. A Paris, le minuscule (ils ne sont que deux!) bureau d’accueil des tournages se félicite d’avoir pu apporter une aide technique à quelques grandes productions comme Envoyés spéciaux ou Indigènes, même si ce dernier ouvrait le débat sur la reconnaissance des soldats coloniaux.
L’objectif est à présent de se tourner vers l’avenir et de réussir à convaincre une nouvelle génération de réalisateurs. Avec une approche plus proactive vis-à-vis des studios, les histoires de soldats français se feront peut-être plus nombreuses.
Et pourquoi pas, un jour, faire passer le message par la bouche de personnages, comme celui d’Elias dans Forces spéciales qui s’exclame face aux talibans dans un dernier souffle: «Je ne vous déteste même pas.»
Romain Mielcarek