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Un homme en costume, faisant, à grand peine, rentrer sa vache dans un ascenseur. En son temps, cette publicité pour les produits laitiers avait fait beaucoup rire. Car pourquoi donc avoir une vache chez soi quand il suffit d'aller au supermarché pour acheter une brique de lait?
Dans la ville de demain, pourtant, les vaches feront peut-être leur réapparition. Comme les basses-cours, les cochons ou les potagers. Et, partant, les paysans.
Après des décennies d'urbanisation des campagnes, les jardins forcent en effet la porte des villes et les champs pénètrent dans les faubourgs. Par goût, par mode, mais aussi par nécessité.
La ville de demain risque en effet la crise d'inanition. A trop avoir refoulé les paysans hors des murs, elle vit plus que jamais sous perfusion. Sa pitance est chaque jour acheminée des campagnes de l'Hexagone, mais aussi, très largement, de l'étranger.
L'Ile-de-France, pourtant réputée pour ses immenses champs de blé, est ainsi en permanence sous la menace du jeûne: elle ne produit que quelques maigres pourcents de sa consommation alimentaire et Rungis, dont 50% environ des approvisionnements viennent de l'étranger, ne dispose que d'environ 3 jours d'autonomie!
Dans la ville de demain, ce modèle d'alimentation basé sur un ballet incessant d'avions, de bateaux et de camions risque le coup de barre. Certes, argumenteront les puristes, importer un fruit ou un légume des antipodes «n'émet» pas toujours forcément plus de CO2 que sa culture locale sous serre.
N'empêche: tout concourt à réduire, autant que faire se peut, la dépendance alimentaire. Pour de multiples raisons. Ecolo-économiques tout d'abord: le renchérissement prévisible du prix des hydrocarbures risque de rendre très coûteux cette logistique. Géo-stratégiques ensuite: à trop délocaliser ses approvisionnements, ne risque-t-on pas à terme de tomber sous la dépendance de fournisseurs ayant d'autres priorités? Sanitaires en troisième lieu: les poulets de l'hémisphère sud ou les pommes de terre bio du Moyen-Orient ne contiennent-ils pas, s'inquiètent les consommateurs, des produits interdits chez nous? Et sociales enfin: «Les urbains –et notamment les banlieusards– redécouvrent les charmes de la paysannerie, dont le voisinage constitue une barrière contre le bétonnage», remarque André Torre, sociologue directeur de recherches à l'Inra.
Des fermes dans des gratte-ciels
Face à ce constat, certains imaginent déjà une ville futuriste, bionique, et totalement autonome, où cohabiteraient dans des gratte-ciels d'un nouveau genre bureaux, habitations, bovins et poulaillers, logés à différents étages. Une perspective qui chatouille désagréablement le nez d'André Torre qui s'interroge: «Que ferait-on des déchets?» Mais il le constate:
«Dans certains pays, comme les Pays-Bas, ce type de démarche rencontre un vrai intérêt.»
Lui a une vision bien plus prosaïque du retour de l'agriculture urbaine. Avec, d'un côté, un nombre toujours croissant de jardins urbains, souvent sous la forme de jardins partagés. Et de l'autre, la réinstallation de paysans à proximité des grandes villes, au coeur même des banlieues.
Des jardins sur les toits
Les jardins en plein coeur du béton, ils sont nombreux à y croire. Les municipalités, tout d'abord, qui, de plus en plus souvent, incluent la construction de jardins familiaux dans la conception de leurs espaces verts. Comme, entre autres nombreux exemples, le tout nouveau parc des Lilas, à Vitry sur Seine (94), qui compte quelque 80 lopins de jardins.
Longtemps, ces petits bouts de jardins ont été plébiscités par les retraités, ou les familles modestes. Mais l'engouement s'embourgeoise! Journaliste, auteur de livres et jardinier, Jean-Paul Collaert témoigne de ces nouvelles envies de jardinage dans toutes les couches sociales.
«Nous vivons dans une société angoissante. L'acte de jardiner participe, avec d'autres choses, à un éveil, à une envie de reprendre en mains son destin. Il recrée des liens. C'est pourquoi il peut tout à fait être déconnecté de la propriété d'un jardin en tant que tel. Ce sont des “guerrillas” urbaines, où l'on essaie de dénicher des lieux, où chacun va quand il peut.»
Il en est du reste persuadé: jardiner en pleine ville n'a rien d'utopique. Pourquoi par exemple ne pas construire des «lasagnes» sur les toits des immeubles? Les «lasagnes» sont une méthode de jardinage applicable par tout urbain, même totalement inculte en manière de jardinage. Elle s'applique en effet sur tous les terrains. Même pollués, même en béton! Le principe est simple: il suffit de recouvrir le sol d'une couche du cartons. D'y ajouter des déchets végétaux (branchages, feuilles mortes), puis de terreau et enfin du compost. Ne reste ensuite qu'à planter selon sa fantaisie fleurs, arbustes et bien entendu, fruits et légumes, et observer la croissance particulièrement impressionnante de cette construction!
Une nouvelle génération d'agriculteurs
Mais ces lopins de terre ne suffiront bien sûr pas à nourrir les grandes villes. Pas grave: une nouvelle génération d'agriculteurs s'apprête à relever le défi. Spontanément, ou par associations interposées, comme celle des «jardins de Cocagne». Leur principe: assurer la réinsertion sociale et professionnelle via le jardinage, et la confection de «paniers» livrés aux citadins. A tout juste 20 ans, la structure affiche en tous cas une belle expansion.
La quarantaine, Robert Pirès symbolise une autre catégorie de ces futurs paysans-citadins. Ex-cadre RH du groupe Lafarge, il est désormais maraîcher à l'essai dans la couveuse d'activité Le Champ des possibles [PDF], mise sur pied, notamment, par les Amaps d'Ile-de-France (associations pour le maintien d'une agriculture paysanne).
Il y apprend son métier, sur le tas, comme beaucoup de ses confrères. Car les lycées agricoles le constatent déjà, leurs élèves «hors cadre familial», autrement dit, non issus d'une famille agricole, sont désormais en majorité. Et le phénomène est particulièrement flagrant autour des métropoles.
Pour les aider, des structures se sont mises en place. L'association Terre de Liens, par exemple, a créé une société d'investissement solidaire. Chacun peut y acheter des actions grâce auxquelles la Foncière acquiert des terres qu'elle loue à des agriculteurs. Car là se trouve bien le «hic» à cette vision des villes du futur entourées de maraîchages: la pression immobilière.
«Seule une volonté politique peut rendre possible ce futur», explique André Torre. Les décideurs politiques doivent protéger des espaces de l'urbanisation. Le mouvement a commencé: ainsi, le dernier schéma directeur de la région Ile-de-France a officiellement «marqué» les espaces agricoles. Et une vingtaine de collectivités locales comme Grenoble, Lille, Nantes, Lyon… membres de l'association Terre en Ville, réfléchissent à des projets «agri-urbains» pour promouvoir l'agriculture péri-urbaine. Dans certains cas, elles pourraient même acheter des terrains pour y installer des agriculteurs en fermage.
Que les admirateurs de Rungis et les amateurs de denrées exotiques se consolent: même si les villes reverdissent, leur autonomie alimentaire totale n'est pas encore pour demain....
Catherine Bernard
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