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«Imminente». C'est l'inquiétant qualificatif concernant la menace pandémique qu'il faudra retenir de la conférence de presse internationale organisée dans la soirée du mercredi 29 avril depuis son siège de Genève par l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Une conférence de presse transmise par téléphone à l'échelon planétaire lors de laquelle Margaret Chan, directrice générale de cette institution onusienne, a annoncé qu'elle venait de relever une nouvelle fois le niveau d'alerte qui est désormais fixé au niveau 5 sur une échelle qui n'en comporte que 6. «J'ai décidé de relever le niveau d'alerte à la grippe de la phase 4 à la phase 5, a ainsi déclaré Mme Chan. Tous les pays doivent immédiatement activer leur plan de préparation à la pandémie.»
«La décision de l'OMS n'est clairement pas une bonne nouvelle » a aussitôt commenté le Pr Didier Houssin, directeur général français de la santé et délégué interministériel en charge de la lutte contre les épidémies grippales. Aux Etats-Unis où l'on recense désormais près d'une centaine de cas dans dix Etats le président Barack Obama a, le même jour qualifié la situation de «grave». Lors d'une conférence de presse organisée à la Maison Blanche pour marquer le centième jour de sa présidence, M. Obama a promis que son administration ferait « tout ce qu'il faut » pour réduire l'impact de l'épidémie d'une grippe qu'il convient désormais de dénommer non plus « porcine » mais bien «mexicaine».
Décidé le 27 avril, le passage du niveau 3 au niveau 4 marquait une forte augmentation du risque. Passer quarante-huit heures plus tard au niveau supérieur signifie «un signal fort qu'une pandémie est imminente». En d'autres termes, selon l'OMS les autorités sanitaires nationales n'ont plus que très peu de temps pour se préparer à organiser la lutte. «C'est un changement majeur, a tenu à souligner le Dr Keiji Fukuda, numéro deux de l'OMS pour qui non seulement «aucun signe de ralentissement» de la progression épidémique n'avait été constaté mais que bien au contraire les zones de diffusion géographique du nouveau virus grippal pathogène ne cessaient de s'étendre.
Le déclenchement de la phase 5 s'accompagne d'une série de recommandations concernant au premier chef les pays où des cas ont été disgnostiqués. Il s'agit notamment du confinement à leur domicile des personnes atteintes de maladies respiratoires, de l'aménagement des horaires de travail, de la fermeture des écoles, du port de masques individuels de protection et d'une manière générale de tout ce qui permet de réduire au maximum les situations facilitant la transmission interhumaine du virus grippal.
«Les personnes peuvent aussi faire beaucoup, en restant à la maison si elles sont malades, en se lavant les mains et en mettant la main devant bouche pour tousser», a expliqué la directrice générale de l'OMS. Mme Chan recommande aussi «d'éviter de se saluer en se faisant la bise ou en se serrant dans les bras chaleureusement»; une recommandation qui, selon elle, vaut aussi pour les habitants de Genève (Obama l'a à son tour répété mercredi soir). Le niveau d'alerte 5 a aussi pour effet d'inciter à la préparation à la production industrielle de vaccins préventifs. Selon l'OMS les données virologiques sont toutefois encore insuffisantes pour lancer cette production.
La décision de relever le niveau d'alerte a, comme la fois précédente, été prise sur recommandation du «Comité d'urgence du Règlement sanitaire international» réuni sous l'égide de l'OMS et composé d'une quinzaine d'experts internationaux. Cette initiative était inévitable compte tenu des dispositions du nouveau Règlement sanitaire international (RSI) dès lors qu'on a identifié des foyers infectieux en dehors de cercles familiaux ou scolaires, dans plus de deux pays d'une même « région » de l'OMS.
Or en quelques jours le nouveau virus grippal A/H1N1 (constitué de gènes d'origine porcine, aviaire et humaine) a été retrouvé dans un nombre croissant de pays. Outre le Mexique (où il pourrait avoir fait 159 morts) et les Etats-Unis (qui viennent d'annoncer leur premier mort, un enfant de deux ans au Texas) des cas ont été diagnostiqués au Canada, en Allemagne, en Autriche, au Costa-Rica, au Pérou, en Grande-Bretagne, en Israël, en Nouvelle-Zélande en Espagne et en Suisse. La France n'en est pour l'heure qu'au stade des cas «suspects» ou «probables». On en compterait trente-deux.
Dans un ballet désormais classique les responsables de l'OMS ont tenu à alerter tout en cherchant, autant que faire se peut, à rassurer. L'OMS «a le devoir d'informer complètement» sur la situation mais il ne faut pas «céder à la panique» a ainsi déclaré Mme Chan. «Nous devons maintenir un niveau de calme pour pouvoir continuer à gérer cette affaire de manière rationnelle» a-t-elle dit.
Pour l'heure, l'OMS ne recommande ni la fermeture des frontières, ni la restriction de la circulation des personnes et des biens. Ceci n'empêche pas que la question de l'arrêt des liaisons arériennes entre l'Europe et le Mexique soit officiellement posée. Pour sa part le gouvernement péruvien a, le 29 avril, annoncé la fermeture des aéroports du pays à tous les vols en provenance du Mexique et ce par mesure de prévention. Les Etats-Unis n'ont pas fermé leur frontière avac le Mexique et la pays n'est pas en état d'isolement. Toutefois les annulations des liaisons aériennes se multiplient. La société britannique Thomas Cook a ainsi « annulé tous ses vols, pour sept jours, vers la station balnéaire mexicaine de Cancun ». Les recommandations de l'OMS pourraient d'ailleurs être revues à la hausse si l'on devait passer au stade 6 avec la déclaration officielle de la situation pandémique correspondant à une accélération de la contagion inter-humaine sur plusieurs continents.
«L'évolution du virus est imprévisible: il peut disparaître, ce qui serait une excellente nouvelle, mais il peut aussi devenir plus dangereux, a encore déclaré la directrice générale de l'OMS. Quelque soit la tournure des événements, le monde est mieux préparé à faire face à une pandémie qu'il ne l'a jamais été dans l'histoire.» De ce point de vue, et quelle que soit l'évolution de la situation épidémiologique, force est bien de reconnaître que la menace d'un risque de contamination massive de l'espèce humaine par le virus A/H5N1 responsable de la grippe aviaire aura -en France notamment- grandement aidé à la prise de conscience collective et à l'organisation de la lutte préventive. De la même manière l'OMS dispose aujourd'hui d'une expérience qu'elle n'avait pas avant la crise épidémique du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) survenue en 2003.
Jean-Yves Nau
Photo: A l'aéroport de Taiwan Nicky Loh / Reuters