Attention aux déçus du futur G20, qui se tient les 3 et 4 novembre à Cannes. Alors que les «indignés» manifestent un peu partout, d’Athènes au cœur de New York, contre l’arrogance du monde de la finance et l’impunité de certaines têtes d’affiches, deux dossiers symboliques vont être particulièrement suivis: celui sur les paradis fiscaux, et l’autre sur les transactions financières.
Deux dossiers au centre desquels figure la finance internationale, et qui n’en finissent pas de traîner alors que les conclusions à apporter sont depuis longtemps clairement énoncées.
Mais tout se passe comme si les chefs d’Etat et de gouvernement étaient incapables de franchir le pas, cédant aux intérêts financiers de la même façon que dans la gestion de la crise. D’où le caractère symbolique de ces dossiers, qui permettra d’apprécier l’indépendance du politique et sa capacité à s’extraire d’un système au bord de la faillite pour inventer un autre modèle financier.
Ces paradis fiscaux qui défient la gouvernance mondiale
Commençons par les paradis fiscaux. On se rappelle que, au G20 de Londres en avril 2009, les principaux chefs d'Etat leur avaient déclaré la guerre. Au mois de septembre suivant au sommet de Pittsburg, le président français enfonçait le clou:
«Les paradis fiscaux, le secret bancaire, c'est terminé!»
Mais quatorze mois plus tard, alors que les chefs d’Etat se réunissaient à Londres, ils étaient toujours là.
Les territoires en question ont contourné les quelques obligations nouvelles. Ainsi, pour apparaître coopératifs dans l’échange d’informations et la lutte contre le blanchiment d’argent, ils se sont attribués mutuellement des certificats de bonne conduite pour passer d’une liste grise à une liste banche finalement… pas très claire!
Leurs propres petits paradis
«Le G20 joue sa crédibilité sur les paradis fiscaux, met en garde Mathilde Dupré, de l’ONG CCFD-Terre Solidaire. Or, la crise financière a tendance à disperser les anciens alliés dans la lutte contre ces territoires.» Pour preuve, selon un rapport de cette ONG, après un tassement des sommes détournées en 20008, les flux illicites sortant des pays du Sud auraient continué à augmenter en 2009, atteignant 950 milliards d’euros et privant ces Etats de 125 milliards d’euros de recettes fiscales.
Pourtant, la présidence française du G20 constituait un temps de mobilisation sans précédent du fait du rôle moteur joué par la France dans ce combat, souligne l’ONG inquiète de la mobilisation à venir sous présidence mexicaine.
Mais problème: c’est la souveraineté des Etats qui est en jeu, de tous les Etats et même ceux du G20 puisque la plupart des membres de ce club très fermé possèdent eux-mêmes un ou plusieurs petits paradis fiscaux, qu’il s’agisse de l’Etat du Delaware pour les Etats-Unis, des îles anglo-normandes pour la Grande-Bretagne, de Hong-Kong pour la Chine, d’Andorre pour la France... Sans parler du Luxembourg, de la Suisse, de Monaco ou de Singapour qui figurent dans la liste des territoires opaques du réseau d’ONG Tax Justice Network.
«Les Etats membres représentent à eux seuls 39% de l’opacité internationale», précise CCFD-Terre Solidaire, et même 88% si on ajoute les pays membres de l’Union européenne qui ne sont pas au G20. Ce qui semble vouer toute action d’envergure à l’échec. Au point que les Etats eux-mêmes ne semblent plus croire à la capacité du G20 de pouvoir s’attaquer au problème.
L’opinion publique, face à l’austérité, attend des décisions
Mais l’opinion publique, elle, attend de ses dirigeants qu’ils passent à l’action. En France par exemple, un sondage CSA de septembre 2011 [PDF] indique que près de sept Français sur dix considèrent la lutte contre l’évasion fiscale vers les paradis fiscaux comme prioritaire. Pour huit personnes sur dix, elle serait une bonne façon d’augmenter les recettes et réduire les déficits publics. Un sujet particulièrement sensible pour les contribuables inquiets des mesures d’austérité annoncées, alors que les pouvoirs publics ne cessent de répéter que de nouvelles recettes budgétaires doivent être dégagées.
On voit bien l’énorme bénéfice politique que pourrait tirer le G20 –et d’abord la présidence française– d’une décision forte dans la lutte contre les paradis fiscaux. Ou, a contrario, la déception qui pourrait naître d’un statu quo.
Taxer les transactions financières pour l’aide aux pays pauvres
L’autre dossier est celui de la taxe sur les transactions financières (TTF). Le principe d’une «taxe Tobin» est dans l’air depuis plusieurs années, et elle progresse. Par exemple, cette année, Nicolas Sarkozy l’a inscrite au programme du G20. Il est soutenu par le Parlement européen qui a adopté une résolution en ce sens en mars dernier, par le Parlement français qui l’a imité trois mois plus tard, et par la Commission européenne qui a fini par adhérer en septembre. L’objectif est clair: taxer les 3 millions de milliards d’euros échangés chaque année dans le monde pour financer le développement et réduire les inégalités entre pays riches et pays pauvres.
Les 23 principaux Etats bailleurs de fonds de la planète procurent déjà une aide aux plus pauvres: 129 milliards de dollars (environ 92 milliards d’euros) ont été versés en 2010. Mais l’aide mondiale est loin des ambitions affichées pour réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim. L’Europe, par exemple, avait prévu de consacrer 0,7% de son PIB à l’aide publique au développement en 2015; elle n’en est qu’aux deux tiers. D’où la nécessité de trouver une recette pérenne.
De l’oxygène aussi pour les économies développées
Certes, on n’est pas ici dans la problématique de la crise de la dette souveraine. Mais on n’en est pas très loin. Compte tenu de l’impérative réduction des déficits budgétaires, les pays donateurs ne sont pas prêts à contribuer à l’aide mondiale au développement au niveau qui était prévu; cette taxe permettrait de combler le différentiel.
Car les sommes en jeu méritent qu’on s’arrête sur la question: par exemple, l’association Unitaid a établi que, avec une pression fiscale de 0,01% seulement, le produit de cette TTF serait de l’ordre de 265 milliards d’euros par an (soit le double de l’aide annuelle actuelle) si elle était appliquée par tous les pays du G20, dont 28 milliards pour la France et l’Allemagne réunies.
Si la TTF était décidée à un niveau suffisamment élevé, elle pourrait même se substituer pour partie à cette aide, dégageant des marges de manœuvre pour que les pays donateurs puissent soulager leurs finances publiques. Et réaffecter les sommes épargnées dans la lutte contre la crise de la dette souveraine. Ainsi, indirectement, cette taxe serait-elle également utile pour les caisses publiques des pays les plus riches et aussi… les plus endettés.
Une question de justice face à la crise
Les Européens ont bien compris l’importance du sujet. Selon un sondage Eurobaromètre portant sur près de 27.000 citoyens des 27 pays membres de l’Union, 61% déclarent soutenir le principe d’une taxe sur les transactions financières.
Alors que les personnes interrogées sont de plus en plus en plus nombreuses à penser que la crise sera longue (de 26% à 36% en sept mois) et qu’une majorité de plus en plus grande (57%) estime que l’euro n’a pas atténué les effets de cette crise, les partisans de cette TTF considèrent que cette taxe permettra de lutter contre les effets de la spéculation et fera contribuer les acteurs financiers au coût de la crise.
Une question de justice face à la crise qui, compte tenu de l’apparente sensibilisation de l’opinion publique –en Europe mais aussi au Japon ou aux Etats-Unis parmi les «indignés»– rend ce dossier éminemment politique pour les chefs d’Etat et de gouvernement du G20.
Gilles Bridier