On dit parfois que prendre la parole, c’est prendre le pouvoir, mais pour eux le pouvoir sera (peut-être) pour le candidat dont ils portent la voix: ce sont les porte-parole de campagne présidentielle.
La fonction a été récemment mise en lumière par les rebondissements de l'affaire Karachi où, après la mise en examen de l’ancien directeur de campagne d’Edouard Balladur en 1995, Nicolas Bazire, pour complicité d’abus de biens sociaux, il a été rappelé que Nicolas Sarkozy n’avait été «que» le porte-parole de l’ancien Premier ministre. «Il n'a jamais exercé la moindre responsabilité dans le financement de cette campagne. Il en était le porte-parole», s’est défendu l’Elysée.
Au cours des précédentes campagnes, la fonction a pu propulser son occupant au porte-parolat du gouvernement (François Baroin en 1995), au ministère de l’Ecologie (Roselyne Bachelot en 2002) ou de la Justice (Rachida Dati en 2007), voire à Matignon (Pierre Mauroy en 1981). La preuve qu’un porte-parole peut acquérir un poids important dans une campagne, en fonction des circonstances.
«Darty de la politique»
Très rares pendant les premières campagnes présidentielles, les porte-parole sont devenus nécessaires face à l’ampleur de la couverture médiatique et à la «personnalisation» du débat public: les idées ont besoin d’être incarnées pour être comprises, voire acceptées.
Leur rôle: gérer l’agenda médiatique des interventions du candidat, suivre le fil des dépêches de l’AFP pour pouvoir rapidement écrire des communiqués et remplacer le candidat au micro d’une radio, sur le plateau d’une chaîne de télévision ou face aux questions des journaux et sites Internet.
Un don d’ubiquité doublé d’une fonction de «Darty de la politique» selon l’expression de Stéphane Pocrain, porte-parole de Noël Mamère en 2002, qui évoque la «gestion de l’après-vente des déclarations des candidats». «Il y a un travail de vulgarisation», précise Guillaume Peltier, trentenaire choisi par Philippe de Villiers pour sa candidature en 2007, pour qui la confiance avec le candidat et la réactivité sont les compétences nécessaires pour être un bon porte-parole, une «vitrine du candidat». Voire plus: Yannis Youlountas, le porte-parole de la campagne de José Bové en 2007, explique avoir aussi été l’un de ses artisans de sa candidature, en lançant une pétition qui rassembla près de 40.000 signataires et en s’occupant de l’activation des réseaux nécessaires pour obtenir les 500 signatures d’élus.
Ce rôle de «doublure» n’est pas forcément évident à gérer. «Le plus dur était de décrocher une interview avec les grands titres et les chaînes télévisées, qui préféraient avoir Marie-George Buffet», concède l’un de ses porte-parole de 2007, Stéphane Coloneaux. «Le système médiatique, qui réclame des personnes connues pour s’exprimer, réduit le rôle des porte-parole», avance Christian Delporte, historien des médias à l’université de Versailles Saint-Quentin.
Des fiches bristol à la radio
Pour être crédible, le porte-parole se devra d’être médiatiquement visible, mais cela ne sera possible que si son candidat acquiert un poids suffisant. Une impression partagée par le député Nouveau Centre Jean-Christophe Lagarde qui, une fois François Bayrou gratifié de près de 15% d’intentions de vote à l’hiver 2006, a pu participer à des débats face à des «petits» candidats. «Quand on devient le porte-parole d’un gros candidat, on peut refuser telle ou telle émission ou discuter avec les journalistes pour mieux fixer le cadre de l’interview», explique-t-il.
Tous ses titulaires soulignent l’exigence de la fonction. «On ne peut pas avoir un coup de fatigue en direct sur France Info ou France Télévisions», avoue Guillaume Peltier, qui estime avoir beaucoup appris sur le tas. «Une campagne présidentielle, c’est très long, affirme Jean-Christophe Lagarde. Au bout d’un moment, vous risquez la lassitude. Vous devez apporter des éléments nouveaux sans dévoiler tout d’un coup.»
La fonction de porte-parole laisse peu de place à l’improvisation, comme le soulignait une une feuille de route distribuée en mars 2002 aux porte-parole de Lionel Jospin: ne pas dire «Moi, je pense …», utiliser de préférence des fiches bristol pour éviter les bruits de papier à la radio, avoir recours à une «formule ou une image percutante» en cas de courte déclaration sur les ondes...
Porte-parole perroquet et porte-parole thématique
Pour être nommé, le porte-parole a auparavant pu compter sur sa relation personnelle avec le candidat ou sur l’analyse politique de ce dernier. En 2002, quand Jean-Pierre Chevènement a choisi le député Michel Suchod comme porte-parole, les deux hommes se connaissaient depuis plus de trente ans: «On ne donne pas ce poste pour faire plaisir, mais par proximité politique», estime néanmoins ce dernier.
Née de parents immigrés et spécialiste des questions de justice et de sécurité (elle avait été chargée de la rédaction d’un projet de loi sur la prévention de la délinquance en 2003), Rachida Dati a elle été choisie par Nicolas Sarkozy en 2007 car il voulait une porte-parole qui soit la «traduction de la France d’aujourd’hui».
La nomination d’un porte-parole est donc un message politique en soi: «C’est un affichage et ce n’est pas un hasard si on choisit quelqu’un de jeune, une femme ou une personne issue de la diversité», argue Christian Delporte.
Un candidat peut n’avoir aucun porte-parole (longtemps le choix d’Arlette Laguiller ou de Jean-Marie Le Pen), un ou plusieurs, cette option restant souvent celle des gros partis politiques comme l’UMP ou le PS: Lionel Jospin en comptait par exemple cinq en 1995, dont Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn. C’était aussi celle du PCF en 2007 pour la candidature de Marie-George Buffet, qui avait quatre porte-parole thématiques. Stéphane Coloneaux était plus disposé à répondre aux questions sur la lutte contre les discriminations, l’Outre-mer et le logement. «Il y a deux types de porte-parolat: le porte-parole perroquet qui va expliquer les grandes lignes de la campagne et le porte-parole qui est là pour innover et refléter d’autres aspects de la candidature», distingue–t-il. «Lorsqu’on a des porte-parole thématiques, on vise à gagner en expertise et en technicité. En revanche, un seul porte-parole donne un visage.»
Pas un jumeau du candidat
Un visage qui n'est pas toujours totalement jumeau de celui du candidat. «On s’exprime soi-même et on porte la parole d’un autre», résume Guillaume Peltier. Une dualité qu'il a expérimentée, un jour, sur le plateau du Grand Journal sur Canal+, à propos de la réinstauration de la peine de mort, sujet sur lequel Philippe de Villiers réclamait un référendum. «Par conviction», Peltier s’oppose à la peine de mort et sait qu’une telle déclaration pourrait «porter à confusion les électeurs»: ce jour-là, il donne toutefois son avis personnel, «par souci de transparence».
La question de l’ego du porte-parole doit donc être étudiée avant: «C’est absurde si le porte-parole pense qu’il est le candidat», affirme Michel Suchod. Mais il peut exprimer ses divergences, voire claquer la porte: issu «d’horizons libertaires», Yannis Youlountas a présenté sa démission (refusée) quand il a estimé que la campagne, sous l’influence du conseiller de Bové Denis Pingaud, commençait «sans aucune décision démocratique» à «rentrer dans un moule politicien», lui qui voulait que Bové s'inscrive dans une «candidature Coluche».
«Porte-parole de fait mais jamais désigné» de François Bayrou, Jean-Christophe Lagarde affirme lui avoir suggéré en février 2007 un changement de tempo au candidat, critiqué par les deux grands partis sur son absence supposée de stratégie de campagne, hormis une posture de rassemblement au-delà des partis politiques. Comme «l’élection présidentielle se gagne à un moment avec une prise maximale de risques», l’actuel député-maire de Drancy lui avait suggéré de «créer l’événement, la discussion, une ambiance politique» sur quelques propositions. En vain selon lui.
Une famille avec un seul gagnant
Les conseils des anciens porte-parole à leurs successeurs? Pour Guillaume Peltier, le porte-parole aura plus de fronts à convaincre avec la «multiplication hallucinante des supports médiatiques», incluant les chaînes d’info continue, les autres chaînes de la TNT, les web radios, la presse web et les réseaux sociaux. Il ajoute que, dans «cette ère de zapping médiatique où les idées complexes ont du mal à passer», les porte-parole se doivent d’avoir «la formule plus concise et imagée». Rachida Dati adresse un conseil particulier au prochain porte-parole de Nicolas Sarkozy:
«Ce sera le porte-parole d’un président sortant. La crise est passée par là, il faudra être plus pédagogique sur les réformes adoptées.»
«Parfois, ils rentrent par le même avion, se retrouvent dans le dernier train, se doublent, sans se voir, sur l'autoroute ou se croisent, au petit matin, devant la réception d'un hôtel anonyme», racontait Le Monde en avril 1995 en décrivant le tour de France des porte-parole, où, entre réunions avec des associations locales et visites d’écoles maternelles, se jouent des futurs destins politiques. «Il y a une famille des porte-parole: nous faisons face à la même pression médiatique, la pression des sondages et de l’enjeu», reconnaît Guillaume Peltier, aujourd'hui à l’UMP, où il s’occupe des questions d’opinion.
Toutefois, comme pour les candidats, la victoire est au final l’apanage d’un seul, comme Rachida Dati en 2007:
«Quand on gagne, on oublie les moments de découragement et de tension. On a la victoire au bout.»
Les perdants, eux, peuvent toujours y puiser un surcroît d'expérience pour une éventuelle future campagne comme premier rôle. En 1995, quelques jours après la défaite d’Edouard Balladur, celui-ci avait confié à son porte-parole Nicolas Sarkozy:
«Souvenez-vous de ce qui se passe, Nicolas, regardez bien, n'oubliez rien.»
Judith Chetrit