Le ministre de l'Industrie, de l'Energie et de l'Economie numérique, Eric Besson, a posté sur son compte Twitter mercredi 19 octobre un message qui a déclenché une vague de plaisanteries en tous genres sur le site de micro-blogging:
«Quand je rentre je me couche. Trop épuisé. Avec toi?»
Un message à caractère privé que le ministre voulait en fait envoyer à un de ses contacts Twitter par «Direct Message» («DM»), l’équivalent d’un email ou d'un texto en termes de vie privée sur le réseau social. Mais par une erreur de manipulation, le texte s’est retrouvé publié comme un «tweet» classique sur le profil public d’Eric Besson, lisible et accessible par les plus de 13.000 personnes abonnées au compte du maire de Donzère (et de tous les autres par le biais des retweets).
Dans le jargon Twitter, cela s’appelle un «DM Fail», une erreur assez courante qui, pour peu qu’elle soit commise par une personnalité et que le message en question tourne de près ou de loin autour du sexe, entraîne l’hilarité et les moqueries des utilisateurs du réseau. Il suffit par exemple d’oublier d’écrire un «d» avant le «@» qui précède le destinataire du message pour que celui-ci passe de la sphère privée à la sphère publique.
Rien de nouveau donc avec le cas Besson. On peut même établir un lien de filiation entre le DM Fail et son ancêtre, l’email envoyé à toute une chaîne de destinataires, voire à toute une entreprise, alors qu’il était destiné à une seule personne et que son contenu ne devait surtout pas être lu par tout le monde.
Ce qui rend le cas Eric Besson intéressant, et en fait même une exception, c’est la manière dont le ministre a réagi à sa propre erreur. Il l’a tout de suite reconnue, et s’est même excusé, avec le message suivant:
Le déni est un sport national chez les personnalités auteures de DM Fail ou qui écrivent volontairement un tweet pour se rendre compte quelques minutes plus tard que celui-ci était en fait sexiste, insultant ou tout simplement stupide.
Là encore, rien de nouveau: les maris infidèles comme le chanteur Shaggy n’ont pas attendu l’arrivée de Twitter pour sortir l’excuse du «c’était pas moi» à leur femme suspicieuse. Mais Internet a apporté aux dissimulateurs un alibi passe-partout qui est vite devenu leur arme de riposte préférée: «c’est de la faute des ignobles pirates informatiques qui ont hacké mon compte». La star de la NBA Ray Allen, le député britannique David Wright ou encore l'actrice et chanteuse Lindsay Lohan ont tous eu recours à l'excuse du hacker.
En France, un message à caractère sexuel publié sur le compte d'Erwann Gaucher, blogueur, consultant et formateur en journalisme web, avait déchaîné les utilisateurs de Twitter pendant plusieurs jours, qui y ont vu un des plus beaux DM Fails de la courte histoire du réseau social. L’intéressé a toujours soutenu qu’il s’agissait d’un piratage.
En juin dernier, le démocrate américain Anthony Weiner a involontairement posté publiquement une photo destinée à une femme habitant Denver où l’on devinait son pénis en érection sous son caleçon. Se rendant compte de son erreur, il a paniqué, retiré le message de son compte et affirmé qu’il avait été victime d’un piratage, avant de reconnaître –une semaine et un tourbillon médiatique plus tard– qu’il avait fait une erreur. Accablé par de nouvelles révélations autour d'autres envois de photos osées, il a été contraint de démissionner.
Faire/pas faire
En termes de communication, le cas Weiner est à montrer dans toutes les écoles sous le chapitre «à ne pas faire». D’abord parce qu’il vaut en général mieux reconnaître tout de suite une erreur lorsque celle-ci est rendue publique. Mais surtout parce que le hacking est sans doute le plus mauvais alibi que l’on puisse trouver, comme l’explique Dimitri Granger, directeur de clientèle chez Publicis Consultants:
«Trouver des fausses excuses est dangereux parce qu’il y aura toujours des personnes qui vont essayer de se renseigner, et le fait de démentir encourage les gens à vérifier l’information que vous leur donnez. Le risque en termes d’image est grand: si vous vous faites démasquer, vous rajoutez le mensonge à la faute initiale. L’alibi du piratage informatique est encore plus risqué à cause de la culture du fact-checking sur Internet.»
Au contraire, la réaction d’Eric Besson, communiquant chevronné qui n’en est pas à sa première controverse médiatique, ressemble plutôt à la réponse parfaite. Le ministre a d’abord été très réactif tout en évitant de céder à la panique et d’invoquer le joker «hackers»: il a publié son message d’excuse 10 minutes après son «DM Fail».
Ensuite, il a donc reconnu son erreur, s’en remettant judicieusement au proverbe «faute avouée à moitié pardonnée», et expliquant même l’origine de la fausse manipulation: il a appuyé par erreur sur la touche envoi de son brouillon, une fonctionnalité de l’application iPhone qu’il utilise. Preuve de la vigilance des internautes: même cette explication plausible n’en a pas empêché certains de chercher à démontrer qu’Eric Besson avait menti en invoquant les brouillons sur iPhone.
Autre bon point, le ministre «a utilisé l’humour et l’autodérision avec l’acronyme “LOL”, un bon moyen de calmer les esprits, en tout cas sur un sujet aussi léger», précise Dimitri Granger. Enfin, il a utilisé les codes du réseau, comme le souligne le spécialiste de la communication:
«Twitter est un média personnel où n’importe qui peut vous interpeller, même si vous êtes une personnalité. Eric Besson a utilisé les codes de Twitter en répondant à certains de ses “abonnés” qui l’ont interpellé.»
La petite bourde d'Eric Besson vient rappeler que les réseaux sociaux sont, comme leur nom l’indique, conçus pour partager plutôt que pour garder des secrets. Après tout, pourquoi ne pas envoyer ce genre de messages par texto?
Grégoire Fleurot