Économie

L'Europe doit agir vite

Temps de lecture : 4 min

Le 23 octobre, les dirigeants européens peuvent encore sauver et la Grèce et la zone euro. Mais ils ne doivent pas rater l’occasion. Le regain de confiance des marchés qui s’est manifesté dans les premiers jours d’octobre s’est montré fragile.

Des gaz lacrymos autour du parlement grec, lors d'une manifestation en juin 2011. REUTERS/Panagiotis Tzamaros
Des gaz lacrymos autour du parlement grec, lors d'une manifestation en juin 2011. REUTERS/Panagiotis Tzamaros

Dire la même chose que les économistes de grandes banques américaines, c’est forcément prendre le risque d’être accusé de trahison envers l’Europe. Mais, puisqu’il faut choisir son camp, autant choisir celui de la raison, en répétant qu’on peut à la fois reconnaître que la Grèce ne pourra jamais rembourser l’intégralité de sa dette et penser qu’elle peut et doit rester dans la zone euro. La position des dirigeants européens a été trop longtemps irréaliste, pour ne pas dire contreproductive.

Il est vrai qu’il aurait été préférable de pouvoir tenir le cap défini au départ: si la Grèce fait les efforts nécessaires, ses partenaires agiront pour lui permettre de passer ce cap difficile, moyennant quelques aménagements de la dette.

Malheureusement, on n’en est plus là. Chaque jour qui passe apporte la preuve que le rétablissement des finances publiques grecques sera beaucoup plus long et difficile qu’on ne le pensait.

Il n’a pas fallu attendre plus tard que le 2 octobre pour que le gouvernement reconnaisse qu’il n’atteindrait pas l’objectif de réduction du déficit public fixé en juin pour 2011: ce sera probablement 8,5% du PIB et non pas 7,4%.

Angela Merkel a ouvert la voie

Or le temps presse. Angela Merkel, on le voit maintenant, a eu raison de demander un effort aux banques. Mais l’abandon «volontaire» accepté par celles-ci de 21% du montant de leurs créances sur la Grèce risque fort de ne pas suffire.

Il leur faudra probablement accepter une perte, une «haircut» comme disent les Anglo-Saxons, plus importante. C’est très clairement ce qu’avait suggéré Dominique Strauss-Kahn dans son intervention télévisée, où il n’avait pas parlé que des événements survenus au Sofitel de New York:

«La dette, on voit bien qu’elle est massive et qu’il faut la supprimer à tout prix, sauf au prix de la stagnation et de la récession

François Fillon avait aussitôt réagi, sans nommer l’ancien directeur général du FMI, en qualifiant ses propos d’irresponsables. Selon le Premier ministre, cela reviendrait à faire financer par les autres le laxisme budgétaire d’un Etat.

Eh oui, c’est le principe même de la faillite! Peut-on refuser de voir la réalité, au nom de la morale et de la vertu budgétaire outragée (domaine dans lequel la France n’a guère de leçons à donner, comme le rappelle un peu brutalement Moody’s, en la mettant sous surveillance)?

Si l’on rejette l’idée d’une réduction significative de la dette grecque (il semblerait toutefois excessif d’aller jusqu’à 80% comme le suggèrent certains), que se passera-t-il? La Grèce ne pouvant faire face, l’Europe sera amenée à lui donner de l’argent pour financer ses autres dépenses de façon à ce qu’elle puisse dégager les sommes nécessaires au paiement des intérêts et au remboursement des emprunts venant à échéance.

C’est très clairement ce qui a été envisagé jusqu’à présent: il s’agirait de consacrer à la Grèce l’essentiel des fonds structurels destinés à aider les régions en retard. Autrement dit, pendant des années, on afficherait l’image d’une Grèce qui rembourse sa dette rubis sur l’ongle alors qu’elle serait en fait maintenue sous perfusion par les dizaines de milliards en provenance du budget de l’Union européenne.

La solvabilité grecque? Une fiction

Si donc les Européens réussissaient à se mettre d’accord pour éviter un défaut de paiement de la Grèce, ce serait une victoire, mais une victoire à la Pyrrhus. La fiction de la solvabilité grecque pourrait être acceptable si elle était utile, si, en sauvant les apparences, on pouvait maintenir debout l’édifice européen. Il n’est pas sûr que ce puisse être le cas.

Pour des raisons politiques d’abord: si la Grèce siphonne les budgets européens pendant de longues années, l’opinion publique risque de s’exaspérer, dans les pays qui contribuent le plus à ces budgets comme dans ceux qui trouveraient normal d’avoir eux aussi une part du gâteau. On voudrait aviver les tensions et semer la discorde en Europe, on ne s’y prendrait pas autrement.

Pour des raisons tactiques ensuite: si la Grèce ne fait pas l’objet d’un traitement vraiment particulier et si on ne sépare pas son cas de celui des autres pays européens d’une façon très nette, on crée toutes les conditions de l’effet domino que l’on voudrait éviter.

Si on dit «la Grèce paiera, comme les autres» et s’il est manifeste qu’elle ne peut pas payer, tous les autres seront immédiatement attaqués sur les marchés. La situation deviendrait alors très dangereuse.

Considéré dans son ensemble, le système bancaire européen peut supporter un défaut de paiement substantiel sur la dette grecque, il ne peut supporter une défaillance de l’Espagne ou de l’Italie. Pour éviter que la crise ne s’étende, il n’existe qu’une solution: ramener la confiance en montrant bien que le cas grec ne peut être extrapolé.

Tout ne sera pas réglé le 23 octobre

Cette politique risque d’être mal vécue en Grèce. Mais le Premier ministre Georges Papandréou n’a plus rien à perdre; en acceptant une «restructuration» profonde de la dette, il rendrait un grand service à son pays et à la zone euro.

Ce choix suppose que, parallèlement, les autres pays, Italie en tête, fassent ce qu’il faut pour ne pas être assimilés à la Grèce. L’économiste Patrick Artus suggère d’essayer de gagner du temps avant un défaut grec pour que l’Italie ait pu réduire son déficit extérieur et démontrer ainsi que son cas est différent de celui d’Athènes. Mais le temps presse; il n’est pas sûr que cette stratégie puisse être mise en œuvre surtout si, comme le prévoient l’Insee et d’autres économistes, l’Italie et l’Espagne entrent en récession au cours de ce semestre.

Politiquement comme techniquement, il n’est pas facile de procéder à un défaut de paiement «contrôlé». Mais si l’on veut une fois pour toutes faire mordre la poussière à ceux qui jouent contre l’Europe, sa monnaie et ses banques, il faut pratiquer une politique de vérité: apporter au problème grec une solution jugée crédible et s’organiser pour résister à d’éventuels retours des interrogations sur la solidité des finances publiques européennes (renforcement des moyens d’action du Fonds européen de stabilisation financière, mise en place accélérée de son successeur, le Mécanisme européen de stabilité, etc.). Tout ne sera pas réglé le 23 octobre, ainsi que le ministre allemand des Finances l’a déjà annoncé. Mais l’impulsion doit être donnée. Sans ambiguïté.

Gérard Horny

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