Le soldat israélien Gilad Shalit, détenu par le mouvement islamiste
palestinien Hamas à Gaza depuis plus de cinq ans, a été libéré et se trouvait en
territoire égyptien tôt dans la matinée du 18 octobre, selon des sources militaires
israéliennes. L'échange entre Shalit et 477 détenus palestiniens a
débuté dans la nuit de lundi à mardi 18 octobre avec le départ d'un convoi de 96 prisonniers. Suivant l'accord signé
sous médiation égyptienne entre Israël et le Hamas, un second groupe de 550
détenus palestiniens doit être libéré dans les deux mois. Cet article, paru le 13 octobre sur Slate.com etle 17 sur Slate.fr, revient sur les échanges déséquilibrés de prisonniers dans la région.
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Israël a annoncé un accord qui devrait permettre au soldat Gilad Shalit, otage du Hamas depuis 2006, de retrouver les siens. En contrepartie, l’Etat hébreu s’est engagé à libérer 1.027 prisonniers palestiniens. Si on calcule le rapport prisonniers palestiniens/Israélien libéré, on arrive à plus du double de ce qui avait été «payé» lors d’un échange resté célèbre en 1985 et dans le cadre duquel Israël avait relâché 1.150 prisonniers pour obtenir la libération de trois soldats capturés lors de la première guerre du Liban. Quel est donc le «cours» de l’otage israélien?
Environ 350 pour 1. Si chaque accord qui permet de libérer des otages politiques ou militaires découle de circonstances bien particulières, celui conclu cette semaine et prévoyant l’échange de 1.027 Palestiniens pour un seul Israélien apparaît incroyablement inéquitable. D’après l’agence Reuters, sur les trente dernières années, Israël a relâché environ 7.000 prisonniers originaires de Palestine et du reste du monde arabe pour obtenir la libération de seulement 16 de ses ressortissants.
Mathématiquement, cela revient à 438 Arabes pour un Israélien, ou 269 pour 1 si on prend en compte les 10 dépouilles qui ont également été restituées à leurs familles dans le cadre de ces échanges. Lors de l’accord de Jibril, intervenu en 1985 (et que nous avons déjà mentionné), on échangeait 383 Arabes contre un Israélien. En 2004, un accord plus complexe a permis à Israël de rapatrier un ancien colon israélien et trois dépouilles en échange de 400 prisonniers palestiniens, de 35 prisonniers d’autres nationalités et des restes de 59 combattants et civils libanais.
Ailleurs dans le monde, pour de nombreuses raisons, ce genre d’accords est généralement plus équitable. Ainsi, les Etats-Unis ont pour principe de refuser toute négociation avec les preneurs d’otage, préférant recourir à la force pour libérer leurs citoyens. Lors de la crise iranienne des otages, par exemple, le président Jimmy Carter a refusé d’extrader le Shah en exil contre la libération de 52 Américains.
A la place, il a imposé une batterie de sanctions et a fini par envoyer une mission de sauvetage héliportée qui s’est d’ailleurs terminée en véritable fiasco. Les otages ont finalement été libérés grâce à un accord conclu par l’entremise de l’Algérie, après la mort du Shah et l’élection de Reagan à la présidence américaine.
Autre exemple, lorsque des pirates somaliens ont capturé le capitaine d’un navire américain en 2009 et demandé une rançon de 2 millions de dollars, le président Obama a déployé un escadron de snipers de la Navy qui a abattu 3 pirates et libéré l’otage. D’autres pays et entités privées, en revanche, préfèrent payer plutôt que de risquer un bain de sang.
Dans les conflits militaires, les échanges sont généralement assez rares. La Convention de Genève autorise les belligérants à détenir des prisonniers de guerre jusqu’à la fin des hostilités, mais ils doivent impérativement tous les libérer à la fin du conflit. Il arrive aussi que des prisonniers soient libérés sans contrepartie pour des raisons humanitaires.
Toutefois, pendant la Guerre froide, plusieurs échanges d’espions sont intervenus entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. Le plus souvent, les deux parties libéraient le même nombre de prisonniers, sans que ce soit pour autant systématique. Ainsi, deux ans après la capture d’un pilote de la CIA aux commandes d’un avion espion U2 alors qu’il survolait le centre de la Russie, les Soviétiques l’ont libéré, ainsi qu’un étudiant américain, en échange d’un colonel du KGB. En 2010, les Etats-Unis ont échangé 10 agents dormants russes contre quatre prisonniers accusés d’être des agents doubles à la solde de l’Occident.
Lors de tels échanges, les chiffres varient parce que les prisonniers n’ont pas tous la même valeur: certains ont plus de prix que d’autres aux yeux de leur gouvernement. Par exemple, en Colombie, les Farc ont proposé de libérer presque tous leurs otages contre rançon, à l’exception de 40 d’entre eux qu’ils ne consentiront à relâcher qu’en échange de la libération d’environ 500 de leurs membres emprisonnés. Dans ce cas, on est à un «taux de change» de 12,5 pour 1. Le gouvernement est d’ailleurs resté sourd à ce genre de proposition, préférant lancer des raids militaires pour récupérer les otages.
Alors, comment les Palestiniens ont-ils pu monnayer si chèrement la libération de Gilad Shalit? C’est tout simplement à cause de la loi de l’offre et de la demande. Israël détient de très nombreux prisonniers palestiniens, pour la plupart relativement anonymes dans leur pays.
En revanche, la capture d’un soldat israélien fait systématiquement les gros titres et Israël a, à plusieurs reprises, accepté de payer au prix fort la libération de ses citoyens. Bien que l’accord entourant la libération de Gilad Shalit a été accueilli dans la liesse par les deux pays, il semblerait que certains Israéliens commencent à se demander si une telle inflation du cours des prisonniers reste acceptable.
Will Oremus
Traduit par Micha Cziffra